La crise frappe fort

Par Névine Kamel et Dahlia Réda

Depuis assez longtemps nous donnons, sur ce site, des informations ayant trait à la situation sociale dans ce pays clé du Moyen Orient. La crise frappe fort. Le régime Moubarak, soutenu par toutes les puissances impérialistes, exerce un pouvoir dictatorial que les touristes ne semblent pas vouloir – ou pouvoir ? – percevoir. Voici un reportage sur cette situation. Il est écrit par des journalistes qui vivent au Caire. C’est un texte ayant une valeur informative, qui ne se situe pas sur le plan d’une orientation politique que nous pourrions, plus ou moins, partager. (Réd.)

Avec des licenciements incessants depuis cinq mois, les conséquences de la crise financière mondiale sont aussi un cauchemar pour les employés et ouvriers égyptiens. Selon l’Organisme central des statistiques et de la mobilisation (CAPMAS), au cours du dernier trimestre 2008, 88’000 personnes sont allées rejoindre les rangs des chômeurs, menant ainsi le chiffre des sans-emploi en Egypte à 2,20 millions de personnes.

«Trois semaines après le début de la crise, la banque dans laquelle je travaillais a décidé de mettre 40 de ses employés à la porte pour réduire ses coûts. Elle s’est même permise de ne nous payer qu’une partie de nos salaires», raconte Hassan, père de deux enfants. «Il y a maintenant trois mois que je suis à la maison, sans travail ni revenu. J’ai dû dépenser toutes mes économies pour continuer à vivre et la période à venir sera plus difficile si je ne trouve pas un autre emploi», ajoute Hassan.

Malgré sa situation difficile, il se trouve malgré tout dans une situation bien meilleure que d’autres employés et ouvriers plus modestes, dont les quelque 100 L.E (livre égyptienne: 1 LE = 0,20 centimes de franc suisse) de salaire entretenaient toute une famille. Omar Baligh, employé dans une entreprise privée de textile, a dû par exemple vendre les bijoux de sa femme pour pouvoir subvenir à ses besoins après que le propriétaire de l’entreprise eut décidé de réduire de moitié son salaire et de supprimer les heures supplémentaires. «Les hommes d’affaires ne parlent que la langue du business. Pour eux, cela ne me vaut pas la peine de dépenser s’ils ne réalisent pas de profits», regrette Baligh.

Mesures insuffisantes

Le gouvernement a pourtant promis à maintes reprises de soutenir les entreprises et de leur accorder une assistance pour faire face à leurs charges, mais «rien n’a encore été adopté à cet égard», comme le note Adham Nadim, directeur du Centre de la modernisation industrielle et propriétaire de l’entreprise Nadim pour la fabrication des meubles.

Et de poursuivre : «Le secteur privé répète à l’envi son désir de sauvegarder les emplois, mais jusqu’à quand pourrons-nous le faire ?». Il est vrai que le gouvernement avait annoncé dès le début de la crise l’injection de 15 milliards de L.E., dont la grande majorité est destinée aux travaux d’infrastructure, pour «créer de nouveaux emplois et freiner le chômage». Or, ces mesures, pour la grande majorité des hommes d’affaires, sont insuffisantes. Comme le note Mohamad Aboul-Enein, PDG de l’entreprise Ceramica Cleopatra, «le gouvernement traîne à injecter l’argent. Pourtant, il doit nous aider pour faire face à la tempête. Alors comment le gouvernement peut-il nous demander de sauver les emplois si nous ne réalisons pas de profits ?».

Pour Leïla Al-Khawaga, professeur d’économie à l’Université du Caire, l’injection de ces 15 milliards ne contribuera pas forcément à apporter une solution et il faut que ces projets soient à haute densité d’ouvriers pour engloutir le plus grand nombre de nouveaux chômeurs résultants de la crise. «Mais le gouvernement avait visé des projets de drainage sanitaire qui n’exigent pas énormément de main-d’œuvre et demande plutôt des équipements.»

L’avenir des ouvriers s’annonce d’autant plus sombre avec la régression des secteurs embauchant un grand nombre d’employés. Selon une étude effectuée par Naglaa Al-Ahawani, vice-présidente du Centre égyptien pour les études économiques, «avec les déséquilibres actuels sur le marché du travail et les répercussions de la crise, le taux de croissance de ces secteurs a chuté de manière importante depuis le début de la crise».

A titre d’exemple, le taux de croissance du Canal de Suez a baissé, pour atteindre 3,9 % au cours de la première moitié de l’année fiscale 2008-2009, contre 18,3 % au cours de la même période l’année précédente. Celui du tourisme a chuté de 15,9 à 0,6 % sur la même durée. Ces fortes régressions auront de mauvaises répercussions sur l’embauche au cours de la prochaine période car, comme le note Al-Ahawani, «chaque régression de 1 % du taux de croissance est accompagnée d’une régression de 0,5 % du taux de l’embauche». Samir Radwan, conseiller auprès du ministère de l’Investissement et expert dans les affaires ayant trait au travail,  ajoute que «les répercussions de la régression de ces secteurs sont au moins calculées. Mais celles du secteur informel sont les plus dangereuses et la crise a en fait ici levé un voile».

Selon l’étude d’Al-Ahawani, le secteur informel représente environ 50 % du marché du travail. «Cette prédominance résulte du système compliqué des contrats en Egypte, contrairement à ceux des pays étrangers et même arabes. Les contrats du travail en Egypte ne présentent aucune protection pour les employés. Et en même temps, une fois un employé licencié, le gouvernement ne lui apporte aucune aide», note Radwan.

Déséquilibre du marché

L’influence de la crise sur le marché du travail est donc catastrophique. Comme l’indique Dorothea Schmidt, spécialiste des affaires de l’emploi auprès de l’Organisation Internationale du Travail (OIT) au Caire, la situation actuelle du marché de l’emploi égyptien s’explique essentiellement par son déséquilibre.

«Les turbulences structurelles de ce marché sont les plus dangereuses», dit-elle. D. Schmidt évoque ainsi «le grand écart qui existe entre les nécessités du marché du travail et les qualifications des ouvriers, la faiblesse, voire l’absence de mesures les soutenant en cas de chômage, et le plus important, l’absence d’un cadre régulateur juste pour les employés du pays».

Pour elle, l’influence de la crise pourrait être plus «légère» si le marché lui-même était plus «sain». L’Egypte a en effet fortement régressé dans l’indice international de la performance du marché du travail. Elle est passée de la 58e place sur 114 pays en 2005-2006 à la 81e position sur 134 pays en 2007-2008. La surprise, comme la dévoile Helmi Aboul-Eich, président du Conseil national égyptien de la concurrence, est que cette régression est calculée selon les chiffres de 2008, ce qui veut dire avant le début de la crise financière !

Entre complications contractuelles, manque de qualifications, secteur informel et absence de soutien en cas de chômage, les employés et ouvriers égyptiens ne font pas beaucoup d’envieux. De surcroît, ils payeront plus cher la facture de la crise comme le montrent les orientations actuelles du gouvernement de réduction de primes sociales.

* Cet article a été publié dans l’hebdomadaire Al-Ahram.

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