Kadhafi: le terroriste d’Etat

Kadhafi lors de son discours, passé sur les écrans de la TV nationale le 22 février 2011, annonçant l'offensive contre tous les opposants

Rédaction

Les manifestations contre le pouvoir dictatorial de Mouammar Kadhafi ont commencé le 14 février. La répression massive et brutale a pris son essor suite aux larges mobilisations, placées sous le slogan «Jour de colère» le 17 février. Depuis lors, la mobilisation s’est développée dans diverses villes. Mais la répression a pris le profil d’un véritable massacre. Ainsi, Ali al-Essawi, ambassadeur de Libye en Inde, qui a démissionné de son poste, a indiqué à la chaîne Al-Jazira, le mardi 22 février, que des avions de combat avaient été utilisés pour tirer sur la population civile. Cet ambassadeur n’a pas hésité à utiliser de terme de massacres et à demander que l’ONU bloque l’espace aérien de la Libye afin de «protéger la population». Il faut noter que l’ambassadeur de Libye en Australie a coupé les liens avec le pouvoir de Kadhafi, il en va de même pour les ambassadeurs en Inde, au Bangladesh, en Malaisie, en Indonésie ainsi que des représentants des ambassades libyennes auprès de l’Union européenne et de la Ligue arabe.

A Benghazi, deuxième ville du pays, les forces anti-kadhafistes semblent avoir pris le contrôle de la ville, en particulier suite à la désertion d’unités militaires qui ont rejoint les manifestants.

La violence de la répression et le type d’armes utilisées ressortent des déclarations du Dr Ahmed à la chaîne Al-Jazira. Ce dernier indique que «des corps en trois ou quatre parties étaient retrouvés. Parfois, seulement une jambe, parfois seulement une main.» Dans cette seule ville, le nombre de personnes tuées s’élève, selon ce médecin, à quelque 300. Le mardi 22 février, durant le matin, aucune personne blessée n’a été conduite à l’hôpital. Ce même médecin, au même titre que d’autres sources, souligne le manque complet de médicaments et de matériel de soins. Selon le Ministère des affaires étrangères d’Egypte, la piste de l’aéroport de Benghazi a été détruite, ce qui empêche l’arrivée de tout avion. Des soldats, qui sont retournés dans leur caserne, ont trouvé le corps de divers autres soldats, exécutés, parce qu’ils avaient refusé de tirer sur des civils.

La répression semble avoir pris des formes encore plus violentes dans la capitale, Tripoli. Dans les quartiers de Tajoura et de Fachloum, des hommes armés parachutés par hélicoptères tiraient sur les manifestants. Ce qui a conduit des mosquées, tant la panique était grande, à lancer des appels au secours par haut-parleur.

Mouammar Kadhafi dispose depuis longtemps d’un appareil répressif très puissant et de milices liées au Comité révolutionnaire. Ces structures sont la base effective de son pouvoir, qui semblent plus solides dans la Tripolitaine.

La répression tous azimuts du pouvoir a poussé l’ambassadeur de la Libye à l’ONU, Ibrahim Dabbashi, démissionnaire, à affirmer que le pouvoir de Kadhafi avait «initié un génocide contre le peuple libyen». Dabbashi et ses collègues ont réclamé que la Cour internationale de justice de La Haye engage une enquête immédiate contre Kadhafi, ses fils et son clan pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Il sera intéressant de connaître la position de Chavez sur ce soulèvement populaire en Libye et les tueries d’Etat qui s’ensuivent. Que dira le président du Venezuela et dirigeant du PSUV (l’organe politique de la «révolution bolivarienne») qui, en octobre 2010, signait quatre accords et cinq mémorandums d’entente avec Kadhafi ? Cela d’autant plus que dans un discours télévisé – certainement enregistré précédemment et passé en fin d’après-midi du 22 février, et où Kadhafi apparaît devant l’entrée du bâtiment officiel bombardé par les Etats-Unis en 1986 – Kadhafi déclare: «Je suis un combattant, un révolutionnaire bédouin [vivant sous une tente], je mourrai en martyr, à la fin. Je n’ai jusqu’à maintenant pas donné l’ordre d’utiliser la force, ni donner l’ordre de tirer une seule balle… Quand je le ferai, tout va brûler.» Le «guide de la révolution verte» appelle ses supporters à attaquer les manifestants, à descendre dans la rue. Il leur demande de porter au bras un brassard vert pour se reconnaître et affirme: «Le peuple libyen et la révolution populaire contrôlera la Libye.» Autrement dit, Kadhafi déclare ouvrir une nouvelle phase de la guerre contre toutes celles et tous ceux qui s’opposent à son pouvoir. Le terrorisme d’Etat est assumé.

L’atterrissage de deux avions de combat à Malte, des Mirage F1, pilotés par des officiers qui ont refusé de tirer sur la foule, a éclairé le thème: de quel armement dispose Kadhafi ? En effet, Tripoli avait acheté dans les années 1970 une quarantaine de Mirage F1 à la France. Suite à l’embargo, ces Mirage ont été entretenus par des sociétés privées françaises.

C’est grâce à la vente du pétrole que le pouvoir libyen a pu, dès la fin de l’embargo international en 1999, rénové l’armement acquis précédemment en URSS et dans les pays occidentaux. Ainsi, Ukrainiens et Russes ont modernisé une escadrille de Sukhoï-24 et des hélicoptères qui avaient été achetés en masse dans les années 1970 et 1980. Le lundi 21 février 2011, ce sont des hélicoptères de transport Chinook qui ont été vus au-dessus de Tripoli. Ces hélicoptères ont été conçus par la firme américaine Boeing et sont assemblés et entretenus par la firme italienne Agusta Westland. En 2006, pour garder les frontières et consolider son accord avec l’Italie afin d’empêcher le départ de réfugiés africains («clandestins»), Kadhafi avait acheté des hélicoptères Agusta 109.

Depuis quelques années (2007) se tenait tous les deux ans à Tripoli un salon pour l’armement – le LAVEX (Libyan Aviation Conference and Exhibition) – où les marchands d’armes espéraient placer leur matériel grâce aux 45 milliards de recettes pétrolières de la Libye (même si ces dernières ont baissé à l’occasion de la crise de 2008-2009). Ainsi, Dassault espérait placer son Rafale (Mme Alliot-Marie est au Brésil ce 22 février pour tenter aussi de le vendre); Sukhoï son dernier-né, le Sukhoï-35; l’européen EADS son Typhoon. Le prochain LAVEX était prévu pour septembre 2011. Quelques regrets doivent exister chez les constructeurs mentionnés; non pas à cause des massacres de la population, mais de la très grande probabilité que Kadhafi ne pourra pas faire ses emplettes. Si la nature du régime militaire, policière et tribale du régime Kadhafi ne fait depuis longtemps aucun doute, les liens indiqués ci-dessus révèlent aussi le profil économico-politique des puissances nourrissant l’appareil sécuritaire libyen. D’ailleurs, il est significatif que l’agence de notation Standard & Poor’s a fait passer la note de la Libye de A- à BBB+. De quoi alerter certains créanciers qui doivent espérer le retour au «calme des cimetières».

La solidarité avec le peuple libyen se manifeste déjà en Tunisie, des centaines de jeunes manifestent ce mardi 22 février devant l’ambassade de Libye à Tunis. Cet exemple peut trouver un écho dans divers pays du monde arabe, comme de l’Europe.

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