Jérusalem: Al-Aqsa unifie le combat des musulmans

Par Amira Hass

Un jeune homme non religieux de la région de Ramallah a exprimé son étonnement sur la façon dont (la question de) Jérusalem était en train d’unifier l’ensemble du peuple palestinien, et a comparé Omar al-Abed, l’auteur de l’attaque à Halamish [Omar al-Abed, âgé de 19 ans, a tué les trois membres de la famille de Yossef Salomon 70 ans – soit Chaya Salomon, 46 ans, et le fils, Elad Salomon, 36 ans – dans la colonie d’Halamish, Cisjordanie occupée] vendredi soir [21 juillet], à Saladin [XIIe siècle, premier sultan d’Egypte et Syrie, premier dirigeant – «d’origine» kurde – de la dynastie ayyoubide qui a régné un siècle; Saladin a gagné une bataille décisive à Hattîn, en 1187, près du lac dit de Tibériade, au nord-est de la Palestine, contre le Croisés, ce qui a permis la reconquête de Jérusalem presque un siècle après sa conquête par les Croisés en 1099].

Une comparaison idiote, tous en conviendraient. Néanmoins, le besoin de mentionner Saladin résume le ras-le-bol ressenti par les Palestiniens quant à ceux qu’ils considèrent comme les nouveaux Croisés.

Ce jeune homme ne peut pas aller à Jérusalem-Est ni dans la Vieille Ville, qui est à moins de 30 kilomètres (environ 18 milles) de chez lui, parce que, même en temps ordinaire Israël n’accorde pas d’autorisations d’entrée «comme ça» à des gens de son âge. Et peut-être fait-il partie de ceux qui estiment qu’il est humiliant d’avoir à demander une autorisation d’entrée dans une ville palestinienne. La dernière fois qu’il est allé (à Jérusalem) c’était quand il avait 13 ans – il y a presque 13 ans.

Et donc ce jeune Palestinien n’a pas entendu vendredi à Jérusalem quelques-uns des prédicateurs parler de leur nostalgie de Saladin. Parce que les Palestiniens s’en sont tenus à leur interdit d’entrer à Al-Aqsa en passant par les détecteurs de métaux israéliens, des soi-disant («self-styled») prédicateurs se sont adressés à des groupes de fidèles qui s’étaient rassemblés dans les rues de Jérusalem-Est et de la Vieille Ville, encerclés par des membres de la Police des Frontières les visant avec des fusils de précision à longue portée.

Un de ces prédicateurs a déclaré que s’il n’y avait pas eu les positions et les actions de différents régimes dans le monde dans le passé et dans le présent, les Juifs ne l’auraient pas emporté sur les Palestiniens. Puis il a marqué une pause et a ajouté, «S’il n’y avait pas eu l’Autorité Palestinienne, qui collabore, les Juifs n’auraient pas pris le dessus.» Il s’est aussi demandé: «Est-il possible que de toutes les armées musulmanes dans le monde aujourd’hui, pas une ne puisse faire apparaître un Saladin?» Et il a alors promis que le jour viendrait où les armées venues de Djakarta, d’Istanbul et du Caire arriveraient pour libérer la Palestine, Jérusalem et Al-Aqsa. Un autre prédicateur a fait de semblables déclarations à un touriste de Turquie avant le sermon. Le contenu et le style rappelaient le parti islamiste et salafiste du Hizb El Tahrir [parti créé en 1953 en Jordanie ; une rupture des Frères musulmans. Il a connu une évolution depuis 1977 et a connu une extension en Asue Centrale, en Indonésie et propose l’établissement d’un nouveau califat sur le monde musulman et prône le rétablissement généralisé de la charia].

Il ne s’agit pas de sermon pour une lutte armée contre l’occupant israélien, mais d’une foi profonde en un jour où le monde musulman se mobilise et fait tomber les «Croisés Juifs.»

Quand le prédicateur a eu terminé, quelques-uns seulement se sont joints à l’appel avertissant les Juifs que «l’armée de Mahomet reviendrait» – mais pas un n’a protesté contre la qualification de «collaborateur» faite à l’AP [Autorité Palestinienne, dirigée depuis janvier 2005 par Mahmoud Abbas]. De toute façon, ses activités sont interdites à Jérusalem. Israël a évincé l’OLP (à laquelle l’AP est théoriquement subordonnée) de tout le rôle unificateur, culturel, social ou économique qu’il avait jusqu’à l’année 2000. Un vide comme lui-là ne peut être comblé que par des entités et des expressions religieuses qui donneront un sens à une vie pleine de souffrances. La position constante de l’OLP (Organisation de libération de la Palestine) et de l’AP selon laquelle il ne s’agit pas d’un conflit religieux et qu’il ne doit pas être permis à Israël de lui donner cette dimension ne semble pas particulièrement convaincante pour Jérusalem.

Depuis que la plupart des Palestiniens de la Bande de Gaza et de Cisjordanie ne peuvent plus se rendre à Jérusalem, la ville et en particulier la Mosquée Al-Aqsa sont pour eux des endroits abstraits, un «concept» ou une image accrochée au mur; non pas une réalité vécue. Mais ce lieu «abstrait», Al-Aqsa, réalise ce que le siège de Gaza et de ses deux millions de prisonniers, ce que l’extension des colonies et la confiscation des réservoirs d’eau et des panneaux solaires des villages de la Zone C [1], ne réalisent pas: il est en train de les unifier. Le discours anti-colonial, qui est essentiellement national, politique et laïc, est canalisé vers des messages sur Facebook, vers des articles universitaires qui n’atteignent pas le grand public et vers des slogans creux marmonnés par des dirigeants, dont la durée de leur fonction dirigeante et de leur mandat a depuis longtemps expiré.

En d’autres mots, le discours national et la fonction dirigeante nationale d’anciens combattants ne sont plus considérés aujourd’hui comme appropriés. Alors qu’Al-Aqsa, en revanche, parvient à créer une opposition populaire de masse au dominateur israélien étranger – et cela allume l’imagination et l’inspiration des autres qui ne peuvent aller à Jérusalem [2]. Il n’y a pas que des personnes non religieuses qui sont venues vendredi aux sanctuaires de Jérusalem pour être avec les leurs. Un certain nombre de Chrétiens palestiniens se sont joints aussi aux groupes de fidèles musulmans et ont prié, à leur façon, le visage tourné vers Al-Aqsa et La Mecque.

Bien sûr, il s’agit d’abord et avant tout de la force de la croyance religieuse. Plus la foi est profonde, plus l’insulte faite à ses éléments sacrés est grande. Le fait que Al-Aqsa est un site commun à tous les Musulmans est un élément donnant plus de pouvoir. Mais il ne s’agit pas que de cela: Jérusalem connaît la plus forte concentration de Palestiniens qui côtoient le dominateur israélien étranger, avec tout ce que ceci implique en termes de piétinement de leurs droits et de leur humiliation.

Ils n’ont pas besoin des «lieux symboliques» de l’occupation, comme les postes de contrôle militaires, pour se rappeler de l’occupation ou exprimer leur colère. Et l’esplanade d’Al-Aqsa, quant à elle, est l’endroit où le plus grand nombre de Jérusalémites (Hierosolymitains) peuvent se rassembler en un seul lieu afin d’avoir l’impression d’être un collectif. Et quand ce droit de se rassembler leur est enlevé, ils protestent comme un seul homme; ce qui rappelle aussi au reste des Palestiniens que la population dans son ensemble forme une unité, endurant la même domination étrangère.

Mais cette même population unifiée ne peut plus exprimer son unicité dans des actions collectives. Elle est enfermée, morcelée en des enclaves en apparence souveraines, et divisée en classes sociales avec des écarts sociaux, économiques et affectifs qui vont en s’accentuant. Sa route vers les lieux symboliques de l’occupation, qui entourent chaque enclave, est bloquée par les forces de sécurité palestiniennes aussi bien que par l’adaptation à la vie dans l’enclave.

Voici ce qui constitue le fondement politique et factuel de la présence ininterrompue des assaillants solitaires [de«loups solitaires»: référence aux trois Palestiniens qui ont attaqué et tué deux soldats israéliens à la Porte des Lions, entrée est de la vieille ville de Jérusalem; ils ont pris la fuite sur l’esplanade des Mosquées où les trois ont été abattus], sans porter une attention particulière au résultat de leurs actions. Cela est dû tout d’abord, à l’intolérable prolongation de l’occupation; ensuite au souffle qu’inspire Al-Aqsa en tant que lieu qui unifie, sur le plan religieux et sur le plan social; à des dirigeants décevants, affaiblis et faibles; et, enfin, à une volonté de mourir qui est un mélange de foi dans un Paradis et par une vie sans espoir. (Article publié dans le quotidien Haaretz, en date du 23 juillet; traduit par Yves Jardin; édition par A l’Encontre)

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[1] Aux termes d’un accord qualifié «d’autonomie», les territoires sous contrôle israélien et de l’AP sont divisés en 3 zones: la Zone A qui, 1994, inclut les villes de Jéricho, Jlninem Qalqilya, Ramallah, Tulkarem, Naplouse, Bethléem (Hébron a un statut à part depuis 1997, statut remis en cause par le gouvernement israélien) et Gaza. Formellement l’AP y exerce un pouvoir juridique et de police (sur ce terrain en se partageant la tâche avec les services spéciaux d’Israël); une zone B, qui inclut les autres parties de la Cisjordanie; les compétences juridiques, de police et militaires reviennent ; Une zone C qui intègre les colonies qui couvrent quelque 55% ou plus de ce territoire. (Rédaction A l’Encontre)

[2] Les autorités musulmanes à Jérusalem ont demandé aux fidèles de continuer à boycotter l’esplanade des Mosquées. Israël a décidé de retirer des détecteurs de métaux controversés installés à l’entrée du troisième lieu saint de l’islam.

Selon l’AFP, en date du 25 juillet 2017, malgré la décision d’Israël de retirer les détecteurs de métaux et les caméras installés aux entrées de la Mosquée Al-Aqsa, le Waqf a appelé les fidèles musulmans au maintien du boycott d’Al-Aqsa. Ces nouvelles caméras équipées de logiciel de reconnaissance faciale permettront, selon le gouvernement Netanyahou, d’assurer la sécurité des touristes (sic) et des fidèles religieux dans l’ensemble de la Vieille Ville. Traduisons : les listes policières seront complétées.

Le Waqf, l’organisme sous autorité jordanienne qui administre le complexe «de l’Esplanade des Mosquées», a déclaré: «Pas d’entrée dans la mosquée Al-Aqsa jusqu’à ce qu’un comité technique du Waqf fasse une évaluation de la situation pour déterminer si elle est aussi recevable qu’avant le 14 juillet». Selon RFI du 25 juillet 2017: «Les responsables religieux réservent donc leur décision tout en répétant leur position de principe: ils demandent un retour à la situation qui prévalait avant le 14 juillet et l’attaque qui a coûté la vie à deux policiers israéliens. Ils se disent opposés à des contrôles qui entraveraient la liberté de culte, y compris par le biais d’outils technologiques.

La décision du Waqf sera un élément important pour déterminer si la crise est terminée. Les partis politiques palestiniens largement discrédités, ont donné l’impression de suivre la rue depuis une dizaine de jours.»

Mahmoud Abbas, conscient du discrédit de l’AP, ce qui n’est pas très difficile, a néanmoins déclaré le maintien du gel de la coopération avec Israël, décidé la semaine dernière, en dépit du retrait des détecteurs de métaux à l’entrée de l’esplanade des Mosquées. «Tant que toutes les mesures (de sécurité) ne reviennent pas à ce qu’elles étaient avant le 14 juillet, il n’y aura pas de changement» au gel de la coopération (policière, entre autres) avec Israël, a-t-il dit lors d’une réunion avec des dirigeants palestiniens.

«Toutes les mesures israéliennes sur le terrain depuis cette date jusqu’à présent doivent disparaître et prendre fin. Ensuite, les choses retourneront à la normale à Jérusalem et nous reprendrons notre travail concernant les relations bilatérales avec eux (Israël)», a-t-il ajouté.

A propos des rapports structurés avec le Royaume Jordanien et Israël, selon l’AFP du 25 juillet, une «entente» a été établie, une fois le règlement de la crise de l’esplanade des Mosquées, la Jordanie autorisera «le retour en Israël d’un diplomate accusé d’avoir tué deux Jordaniens», a indiqué une source gouvernementale. Les deux pays sont liés par un traité de paix signé en 1994. «Amman a autorisé le diplomate israélien à quitter le pays après l’avoir entendu sur l’incident qui a eu lieu à l’ambassade d’Israël à Amman». L’affaire (de l’incident à l’ambassade) «est à présent dans les mains de la justice», a-t-elle ajouté sous le couvert de l’anonymat. La source gouvernementale a ajouté que «l’entente» à laquelle les autorités jordaniennes sont parvenues «avec le gouvernement israélien concerne la situation à Jérusalem et la mosquée d’Al-Aqsa».

Nétanyahou en perte de crédibilité face à sa droite. Marc Henry, dans Le Figaro en date du 26 juillet 2017 écrit: «Le premier ministre a répondu que la police israélienne restera maîtresse des lieux et disposera d’un réseau de caméras «intelligentes» capables de repérer des hommes armés dans une foule. Détail important: ces caméras ne seront pas disséminées aux entrées de l’esplanade, mais aux portes de la vieille ville. Benyamin Nétanyahou s’est aussi livré à une opération de relations publiques. Il s’est présenté comme le sauveur du garde, à qui il a réservé un accueil digne d’un héros national. Il faudra toutefois attendre la prière de vendredi, qui rassemble des dizaines de milliers de fidèles, pour ­savoir si cet accord tient bon.

En Israël, Benyamin Nétanyahou a eu droit à une volée de bois vert. La majorité des commentateurs ont critiqué ses «zigzags». Nahum Barnea, un influent éditorialiste du quotidien ­Yediot Aharonot, estime que les initiatives de Benyamin Nétanyahou ont prouvé qu’Israël «n’est pas le patron» sur l’esplanade des Mosquées. «Plutôt que d’installer des caméras intelligentes dans la vieille ville, a-t-il suggéré, il serait peut-être préférable de les utiliser à la table du gouvernement, où la sagesse fait le plus défaut.» (Rédaction A l’Encontre)

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