Par François Burgat
Personne n’y croit vraiment. La portée de frappes aériennes sur un «ennemi» implanté notamment dans une ville de plus de deux millions d’habitants est déjà en train de montrer ses limites, les cibles faisant même défaut aux Rafale français. [Selon diverses informations disponibles et changeantes, les villes d’Irak – nous ne mentionnons pas ici la Syrie – où les forces de l’EI «contrôlent» la situation sont: Mossoul, Sinjar (avec frappes de la «coalition»), Baiji, Tikrit, Samarra, Baakouba, Fallouja (avec frappes de la «coalition»), Ramadi (avec frappes de la «coalition»), Hith – Réd. A l’Encontre. Voir carte 1 en fin d’article sur les «frappes» en Syrie et les zones dites contrôlées par l’EI dans les deux pays.]
La lutte va se jouer ailleurs. L’entrée en guerre de la Turquie apporte une dimension nouvelle relativement importante [du moins au plan des déclarations d’Erdogan qui assimile sous la catégorie unique «terroriste» ceux de l’EI et ceux du PKK et PYD qui affrontent l’EI à Kobané; voir le plan photographique 2 qui montre le rôle de spectateur de l’armée turque à Kobané; par contre la répression policière contre les Kurdes en Turquie est très active, comme le contrôle militaro-policer des Kurdes qui sortent de Syrie et ceux qui voudraient y entrer pour combattre – Réd. A l’Encontre].
Hormis les Turcs, seuls des combattants kurdes irakiens (peu désireux semble-t-il de faire plus que d’assurer la défense de leur territoire et certainement pas de conquérir le «Sunnistan» irakien) ou alors des chiites, irakiens ou même iraniens, sont susceptibles en effet de contrer l’Etat islamique sur le terrain. On connaît toutefois mal jusqu’à ce jour la dimension et les objectifs que la Turquie est prête à assigner à son intervention. Elle semble notamment fort réticente à aider les Kurdes syriens à garantir leur autonomie alors qu’elle la refuse à ses propres ressortissants kurdes.
Le destin de «l’EI» en Irak comme en Syrie comporte une seconde inconnue: c’est la nature de la relation que ses combattants sont en train d’établir avec la population qu’ils ont «libérée» de la présence de l’impopulaire armée d’Al-Maliki [Nouri al-Maliki, premier ministre irakien de mai 2006 à septembre 2014; et vice-président depuis le 9 septembre 2014 – Réd.].
Cette population ne s’est manifestement pas opposée à l’entrée de l’EI. Mais, s’agissant de la relation qui va se nouer avec la grande majorité d’entre elle, ainsi qu’avec ses élites tribales, tout reste encore à faire. Or c’est bien la capacité que les combattants de l’EI auront ou n’auront pas à «gagner les cœurs» d’une partie au moins des sunnites irakiens qui est aujourd’hui en jeu.
Rappelons que l’organisation compte dans ses rangs un grand nombre de combattants non irakiens, y compris non arabes. Outre son autoritarisme, c’est au moins une de ses dimensions qu’elle devra faire oublier, sauf à générer une réaction de type nationaliste, que ses adversaires locaux et régionaux se hâteront alors d’exploiter.
En l’absence de reportages moins biaisés que ceux de… France 24 (et de la plupart de ses «sœurs») dont le code déontologique simplifié est désormais connu, il est aujourd’hui encore trop tôt pour répondre avec certitude à cette question essentielle.
Certains reportages sur l’état d’esprit des Kurdes occupés laissent toutefois entrevoir une réalité plus complexe que la dichotomie officielle entre des «bons» et des «méchants». CNN a publié ainsi le témoignage d’un jeune Kurde qui, après avoir été détenu – et brutalisé par l’EI –, dit en avoir acquis une impression favorable, ce qui en dit long sur l’importance des ressources idéologiques de l’organisation (ou/et) de sa capacité d’endoctrinement des segments les plus jeunes des populations concernées. (Extrait d’un «Entretien avec Nabil Ennasri», à paraître, 8 octobre 2014)
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