Egypte: médecins en grève pour un autre système de santé

Par Ola Hamdi

Le lundi 1er octobre 2012, le Comité de grève des médecins des hôpitaux publics d’Egypte, lors d’une conférence de presse, soulignait ses trois revendications: l’accroissement de la part du budget réservée à la santé publique; une amélioration des conditions de travail; une augmentation du salaire minimum. L’extension du mouvement a été confirmée. Il touche les hôpitaux publics des gouvernorats du Caire, de Guiza, d’Alexandrie, de Luxor, de Suez, de Qena (Haute-Egypte), de Port-Saïd et de Kafr Al-Sheikh, à quelque 130 kilomètres au nord du Caire. La doctoresse Mona Mina a indiqué que des  administrateurs menaçaient, souvent, les médecins engagés dans le mouvement de grève. Elle a insisté sur la nécessité d’une solidarité entre les jeunes médecins (concernés par le salaire minimum) et les spécialistes, parfois réticents. Elle a mis en relief que la grève avait comme  objectif de créer un cadre permettant d’assurer de meilleurs soins aux patients. Dans la mesure où les hôpitaux concernés sont ceux placés sous la direction du Ministère de la santé, le Comité de grève a clairement fait savoir que les promesses faites par Morsi, lors d’une rencontre en date du  22 septembre 2012, devaient être tenues: soit une hausse du salaire minimum pour les nouveaux médecins et un accroissement du budget de 11% et non pas de 5% comme annoncé. Cette grève met en relief la situation dans laquelle se trouve le président Morsi, issu des Frères musulmans: il a multiplié les promesses sociales et politiques et, simultanément, il obéit aux injonctions des plans d’ajustements structurels imposés par le FMI – ce qui, par ailleurs, correspond aux options économiques des Frères – tout en essayant de renforcer la position politico-institutionnelle de la Confrérie. Les médecins ont reçu un appui des étudiants des facultés de médecine de diverses villes. Le 9 octobre 2012, la grève continuait.

Comme dans la très large majorité des grèves de médecins et du personnel hospitalier, la jonction avec les «patients», l’effort visant à faire comprendre les raisons de la grève, ainsi que les modalités pratiques de la conduite de la mobilisation sont un enjeu de poids. Cette question ressort dans le reportage de Al-Ahram que nous reproduisons ci-dessous. Et elle indique l’apprentissage de la lutte à faire dans de tels secteurs, après des décennies de régime autoritaire. (Rédaction A l’Encontre)

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Près de la place populeuse d’Oum Al-Masriyine, se situe l’hôpital qui porte le même nom, l’un des trois principaux hôpitaux publics qui servent le sud du gouvernorat de Guiza. La semaine dernière, les patients de cette région défavorisée ont été stupéfaits de voir les médecins de leur hôpital en grève partielle n’acceptant de recevoir que les cas d’urgences. «Quelle est la raison de cette grève? Et où peut-on trouver les soins médicaux?». La même question revient en boucle à l’adresse de l’effectif de l’hôpital. Avec une seule réponse: «Vous pouvez aller à l’hôpital universitaire de Qasr Al-Aïni, on travaille là-bas!» Certains se résignent, alors que d’autres se mettent à hurler de rage : ils n’ont pas assez d’argent pour être admis dans l’autre hôpital.

Oum Al-Masriyine dispose de 540 lits et de nombreuses cliniques qui ont été toutes fermées. Elles assuraient un service médical à un prix économique non seulement aux habitants de Guiza, mais parfois même à ceux de la Haute-Egypte qui viennent chercher des soins médicaux dans la capitale. Exclu de la grève, seul le service des urgences fonctionne.

Dans le bâtiment principal à Oum Al-Masriyine, les grévistes, une quinzaine de médecins et plusieurs infirmières, sont réunis dans une petite salle. Les jeunes médecins consultent sur leurs ordinateurs la page consacrée à la grève sur Facebook, «le syndicat électronique» des médecins, pour être en contact avec les autres hôpitaux participant à la grève. Les plus âgés, comme les chefs de sections, discutent entre eux et demandent de temps en temps les actualités aux jeunes.

Dr Aksam Fathi, 50 ans, chef du service des urgences, a commencé à expliquer les mauvaises conditions de travail dont souffrent les médecins depuis longtemps. «Nous travaillons dans des conditions pénibles, il n’existe pas de chambre propre pour les médecins, nous restons tous dans un petit local avec une seule toilette pour hommes et femmes. Nous souffrons du manque de matériel et d’espace, de la surpopulation dans les différentes sections et de conditions hygiéniques difficiles à supporter», se plaint-il. Et d’ajouter: «Le médecin étudie pendant plus de 7 ans après le baccalauréat, et touche un salaire très faible». Mohamad Abdel-Moneim, 30 ans, un autre médecin, assure de son côté que lui et ses collègues sont bien conscients de la situation économique qui empire d’un jour à l’autre, et qu’ils n’attendent pas l’argent du ministère des Finances. «Nous voulons comme première étape une redistribution du budget déjà alloué au secteur de la santé et «remercier» les 50 conseillers du ministre de la Santé qui touchent des sommes monstrueuses sans rien faire», affirme Abdel-Moneim. «Avec un salaire de 300 L.E.,[36 CHF], comment les jeunes médecins pourront-ils payer leurs études supérieures? Et comment pourront-ils vivre dans des conditions humaines?», se demande-t-il.

L’un des grévistes, Mohamad Hussein, 34 ans, propose pour sa part que le ministère ferme la moitié des hôpitaux pour un certain temps et qu’il dirige le budget au développement des autres, afin de mieux servir les patients. «Il faut que l’on soit en grève complète pendant un ou deux jours pour que l’Etat réponde à nos revendications et qu’il améliore le secteur de la santé. J’ai entendu que le ministère de la Santé a engagé des médecins pour 600 L.E. par jour pour remplacer les grévistes. C’est le même système suivi par l’ancien régime, personne ne règle les problèmes», indique Hussein.

Les grévistes sont décidés à continuer leur grève pendant une autre semaine. Si les autorités restent sourdes à leurs demandes, ils lanceront un ordre de grève totale et fermeront aussi le service des urgences. «Nous avons perdu patience, nous ne ferons pas de concessions!», affirme la majorité des grévistes d’Oum Al-Masriyine.

Pour leur part, les familles des patients se sont rassemblées devant la chambre des médecins pour manifester leur colère. La mère de Suzanne, 25 ans, raconte la souffrance de sa fille, au corps gravement brûlé, à cause du manque de médecins spécialistes. «Ma fille attendait un spécialiste qui devait venir du gouvernorat de Kafr Al-Cheikh, mais avec la grève, personne n’est venu. Les médecins demandent plus d’argent durant la grève, et moi je demande qu’on sauve la vie de ma fille», dit-elle en pleurant.

Dr Mervat Choukry, 48 ans, essaye d’expliquer que les problèmes des médecins ne se limitent pas au côté financier. «Nous voulons assurer un meilleur service médical aux patients, nous voulons donner les médicaments gratuitement aux gens, nos revendications concernent les médecins et les patients», affirme Choukry. Mais l’argument est loin d’être convaincant pour les patients.

Les médecins du secteur public ont déclenché la grève dans le pays en vue de revendiquer l’augmentation des salaires et de revaloriser le budget alloué au secteur de la santé. Ils demandent une hausse de 15 % du budget de la santé, l’amélioration de leurs conditions de travail et la sécurisation des hôpitaux. La grève touche 540 hôpitaux publics, soit environ 40 % des services de santé à la population au niveau du pays. Selon le ministère de la Santé, le taux de participation à la grève n’a atteint que 15 % alors que le syndicat général des Médecins a affirmé qu’il a dépassé 50 %. Des sources officielles du ministère ont confirmé que le taux des pertes subies par la grève dépasse 30 millions de L.E.

Ibrahim Moustafa, vice-adjoint du ministre de la Santé pour l’assurance médicale et chargé du dossier de la grève, a assuré que le ministère prendra des mesures administratives et légales contre les médecins grévistes, afin de les pénaliser. «Le budget du ministère s’élève à 27 milliards de L.E., dont 11,5 milliards pour les salaires et 8,5 milliards pour le traitement aux frais de l’Etat. Le ministère a encore besoin de 5 milliards de L.E. pour répondre aux revendications des médecins. D’autre part, le projet de loi sur le cadre des médecins (une grille salariale spéciale) n’est pas encore approuvé à cause de l’absence du Parlement» [dissout], explique Moustafa.

Les déclarations du président Morsi remettant en question la légitimité de la grève des médecins – qui, selon lui, portent un préjudice aux patients innocents – ont fait monter la colère des grévistes. Certains médecins accusent le président de vouloir ternir leur image en appelant les imams des mosquées à reprendre son argument dans le prêche du vendredi.

Mais quelques heures après son discours, le président a promis via son compte Twitter un règlement des problèmes financiers des médecins à travers un statut salarial spécial qu’il ratifierait. La décision – qui risque d’attendre l’élection d’un nouveau Parlement – n’a pas été prise au sérieux par l’ordre des Médecins.

De son côté, le Conseil supérieur de la grève a suggéré un certain nombre de mesures pendant la deuxième semaine de la grève. On envisage notamment des actions en justice contre le ministère de la Santé pour l’obliger à fournir une assistance médicale gratuite au service des urgences, et à assurer une redistribution éthique du budget salarial.

Les grévistes ont l’intention d’organiser une série de sit-in devant les hôpitaux en grève s’appuyant sur slogan «Ensemble pour des hôpitaux qui maintiennent les droits des patients et de ceux qui assurent le service médical». (9 octobre 2012)

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