Un an après son investiture, Mohamed Morsi, premier président démocratiquement élu de l’après-Moubarak, est renversé sous la pression de la rue. Promesses non tenues, verrouillage politique, arrogance des Frères, toutes les raisons sont là pour expliquer sa chute.
«Dégage». Deux ans et demi étaient passés depuis que ce slogan a retenti pour la première fois dans les rues et les places du Caire. Il a fallu à Mohamed Morsi seulement 12 mois pour provoquer les mêmes scènes et les mêmes cris qui avaient accompagné la chute de Moubarak. Après 18 jours, Moubarak a été évincé du pouvoir, Morsi n’a tenu finalement que 3 jours. L’armée a vite fait son choix en destituant le président Frère, appuyé par quelques millions de manifestants.
Depuis des mois, des Egyptiens disaient qu’il fallait un autre 25 janvier pour se débarrasser d’un président qui marche sur les pas de son prédécesseur. Ses 12 mois au pouvoir se sont achevés par une campagne de collecte de signatures en faveur d’élections présidentielles anticipées durant laquelle 22 millions de signatures ont été réunies. Une campagne menée par le jeune mouvement Tamarod (rébellion), qui avait appelé à des manifestations le 30 juin, un an jour pour jour après l’investiture du chef de l’Etat. La dégringolade de Morsi s’explique par une performance des plus lamentables, selon les observateurs. Le président, élu avec 50% des voix et des poussières, culminait trois mois seulement après son investiture à 78% d’opinions favorables, selon un sondage réalisé par le centre Baseera. Trois mois plus tard, en décembre, ils n’étaient plus que 23% à juger son action satisfaisante et 19 % fin mai.
Selon le même centre, environ 63% des Egyptiens estimaient que leur niveau de vie s’est détérioré depuis l’arrivée au pouvoir de Morsi. Les prix des denrées ont fortement augmenté et la justice sociale, l’une des revendications de la révolution de 2011, n’était apparemment pas une priorité du président islamiste. La politique fiscale adoptée par son gouvernement favorisait les plus riches, l’inflation, le chômage, les dettes continuaient à augmenter alors que 25% des Egyptiens vivent en dessous du seuil de pauvreté, comme le note l’expert économique Ahmad Al-Naggar. Le climat des investissements n’était pas des plus favorables et le tourisme, l’une des plus importantes sources de revenus, gravement touché depuis la révolution, peinait à décoller. La semaine qui a précédé la chute de Morsi a témoigné d’une grave pénurie d’électricité, d’essence et de gasoil.
Pourtant, ce n’est pour l’économie seulement que les Egyptiens ont lâché leur président élu. Elu avec une petite marge face au candidat de l’ancien régime, Ahmad Chafiq, Morsi n’a pas tenu ses promesses faites à l’opposition qui s’était ralliée à lui au second tour de la présidentielle. Dès sa prise de fonction, il se montre très réticent à gouverner au sein d’une coalition, refusant de nommer un chef de gouvernement de «consensus», et les remaniements ministériels successifs ne faisaient que confirmer la mainmise de la confrérie des Frères musulmans sur le pouvoir. Les postes-clés revenaient ainsi aux Frères qui jouaient la carte de la «majorité», criant à la «légitimité des urnes». «C’est l’agenda de la confrérie qui primait au grand dam de l’opposition et de l’intérêt même du pays», croit le politologue et ancien député Wahid Abdel-Méguid, ancien partisan des Frères. Les conseillers et assistants nommés par Morsi ont fini par démissionner surtout après la fameuse déclaration constitutionnelle émise fin novembre qui fait de lui le seul maître à bord et qui empêche la justice de contester ses décisions ou ses lois.
Le texte provoque un tollé et divise les Egyptiens. Le président parle à la télévision, mais le fossé entre lui et le peuple grandit. Quelques heures auparavant, ses partisans s’attaquent à une foule opposée à la «déclaration dictatoriale» opérant un sit-in devant le palais présidentiel.
Les scènes de morts et de torture poussent Morsi et sa confrérie à accélérer la rédaction d’une nouvelle Constitution en l’absence de l’opposition. Une version rédigée à la hâte, ligotant la liberté d’expression et les droits des femmes, est finalement approuvée par référendum.
Le divorce était fait. Et les appels de Morsi à l’opposition pour entamer un dialogue reçoivent une fin de non-recevoir, car «jamais il n’a cherché à ouvrir un dialogue sur les questions critiques», dit Hamdine Sabbahi, figure de l’opposition et ancien candidat à la présidentielle. «Au début, il écoutait et ne faisait rien puis il a arrêté d’écouter», dit un autre ancien candidat et dissident de la confrérie, Abdel-Moneim Aboul-Foutouh.
Le seul allié qui restait de Morsi, le parti salafiste Al-Nour, a fini lui aussi par lâcher l’ex-président. Celui-ci devenait de plus en plus le président de ses partisans uniquement. Ses discours évoquent sans équivoque cette division «les partisans et les opposants», et ces derniers au fil des jours sont identifiés comme des hommes de main, corrompus et vestiges du régime de Moubarak. La bipolarisation est exacerbée et Morsi reste l’embryon de sa confrérie qui gouverne de facto. Lorsque par exemple l’ambassadrice américaine au Caire Anne Patterson a voulu discuter de politique, elle allait voir le guide Mohamed Badie ou le numéro deux Khaïrat Al-Chater [l’homme d’affaires]. Ce dernier concluait des marchés économiques au nom de l’Etat. C’est lui aussi qui concluait les coalitions islamiques pour soutenir le chef de l’Etat. Morsi prend pour allié la Gamaa islamiya, groupe radical, auteur d’attentats terroristes qui ont secoué l’Egypte dans les années 1990, notamment le massacre de Louqsor en 1997, qui avait fait 68 morts. Le discours sectaire prend de l’ampleur alors que les coptes souffrent déjà de violences, les chiites sont eux aussi qualifiés de tous les noms et 4 d’entre eux sont assassinés dans un village de Guiza.
Les raisons de la chute de Morsi sont multiples et englobent aussi son entrée en collision avec les institutions de l’Etat. L’armée trouvait sa politique étrangère alarmante, surtout sur l’Ethiopie et la Syrie avec ses discours va-t-en-guerre.
Le pouvoir judiciaire et les médias sont qualifiés d’ennemis et deviennent la cible préférée d’attaques et de critiques successives de la part des islamistes et de Morsi lui-même. Selon le Réseau arabe d’information sur les droits de l’homme, il y a eu quatre fois plus de plaintes contre des journalistes pour insulte au président lors des 200 premiers jours du mandat de Morsi que pendant les 30 ans de règne de Moubarak.
L’ONG compte aussi 154 morts sous Morsi. Une raison de plus pour accélérer sa chute. Mais c’est surtout parce que, comme Moubarak, il se croyait invincible qu’il est tombé.
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Al-Ahram, 10 juillet 2013
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