De Gaza au Caire: passage par l’enfer…

Entretien conduit par Baudouin Loos

Il a 22 ans et s’appelle Ziyad. Il est de Gaza, du camp de réfugiés de Jabalya. Ziyad est doué pour les langues. Il connaît ainsi déjà bien l’italien sans avoir mis les pieds en Italie. Ce rêve, il vient de le réaliser grâce à une bourse. Il a atterri à Rome il y a quelques jours. Mais cela ne fut pas sans peine. Voici le récit de son périple de Rafah au Caire. 

Comment avez-vous décidé de quitter Gaza?

Il est très difficile de décrire la situation à Gaza. Ce qui s’y passe s’assimile à une catastrophe humanitaire. Le blocus imposé par Israël et l’Egypte depuis des années a profondément changé le quotidien des Gazaouis, je ne parle pas seulement de la situation économique mais politique, etc. Après le coup d’Etat de 2007, le Hamas a essayé d’appliquer de nouvelles lois pour garantir ses intérêts. D’autre part, pour voyager, le rêve de tant de gens, le gouvernement égyptien joue un rôle essentiel dans l’aggravation de la situation misérable des Gazaouis. Car il contrôle le passage de Rafah, que l’on a d’ailleurs surnommé «le passage de l’enfer». Moi, depuis que j’ai eu en main un visa italien, ma décision était prise, malgré les aléas qu’elle impliquait.

Votre première action en vue de partir?

Le voyage depuis Gaza est une galère indécise et périlleuse qui commence par l’inscription à la frontière palestinienne. C’est la première démarche obligatoire pour réserver une place. Et encore, ce n’est que le début. Je me suis inscrit au ministère de l’Intérieur de Gaza pour réserver une place au mois de février 2017 afin de pouvoir voyager en octobre 2017. Environ 30’000 personnes inscrites pour quitter Gaza attendent toujours leur tour. Des malades, des étudiants, des gens qui n’ont pas vu leurs familles depuis des années se trouvent bloqués à cause de la fermeture des frontières.

Le 18 novembre 2017, le gouvernement égyptien a annoncé l’ouverture du passage de Rafah pour trois jours seulement. Je me suis préparé et j’ai quitté la maison à 3h30 du matin. On nous a placés dans la salle «Youcef Al- Najar» qui se trouve à Khan Younès, une ville au sud de Gaza, où les bus qui devaient nous prendre pour la frontière nous attendaient depuis des heures… La salle était comble.

C’était poignant de voir tous ces gens malheureux à cause des autorités égyptiennes qui ferment la frontière de Rafah et à cause du Hamas qui a détruit les rêves des Gazaouis. Les bus nous ont ensuite emmenés à la frontière côté palestinien, où nous sommes arrivés à 8 heures. Toutes les démarches étaient vraiment compliquées pour rien du tout.

Puis ce fut l’arrivée en Egypte, juste à côté…

Il y avait aussi des bus – payants – qui nous attendaient pour nous conduire du côté égyptien. Notre bus est arrivé en Egypte après deux heures attente devant le portail de Rafah. Je n’arrive pas à décrire la situation. Les mots misère ou enfer me viennent à l’esprit. Le comportement des Egyptiens avec nous les civils était très mauvais, comme toujours. Là, je me suis senti pour la première fois de ma vie sans valeur, comme un esclave, sans identité, sans les droits d’un être humain. Les Egyptiens nous traitent comme des coupables, et juste parce que nous voulons voyager.

Je suis resté du côté égyptien pendant douze heures en attendant mon passeport, avant de pouvoir partir, pour aller ensuite directement à l’aéroport du Caire. J’étais dans une salle qui contenait au moins cinq cents personnes. Chacun de nous avait une histoire à raconter, mais ce qui a attiré mon attention c’était un Palestinien malade et paralysé qui pleurait de douleur. Je lui ai donné de l’eau et essayé de le calmer. Il attendait son passeport comme moi.

Après douze heures d’attente, les Egyptiens nous ont dit que nous allions passer la nuit dans la salle puisque le couvre-feu avait commencé.

Trois services de renseignement égyptiens m’ont interrogé pour savoir pourquoi je voulais voyager, et si je ne leur donnais pas une raison convaincante on me renvoyait à Gaza. Je suis passé devant le service de la sécurité nationale égyptien, puis le service de renseignement militaire et à la fin le service de renseignement général. Tout ça pour savoir pourquoi je voulais voyager.

La corruption est partout, les militaires égyptiens aux frontières sont tous corrompus, j’ai vu des gens qui payaient 3000 dolars pour entrer en Egypte rapidement. On appelle ça «coordination avec les officiers militaires»…

Quand avez-vous pu partir pour Le Caire?

Le lendemain à 7 heures du matin, les Egyptiens nous ont mis dans des bus pas du tout équipés pour un voyage de dix heures. Nous étions mal traités, des gens ont été volés. Au Sinaï, la situation est catastrophique. L’armée égyptienne a pensé que notre bus était un bus des djihadistes alors ils ont commencé à tirer dessus. Les femmes et les bébés pleuraient, les hommes essayaient de protéger leurs familles. Je tremblais de peur, j’ai cru que j’allais mourir au Sinaï, j’en ai encore les larmes aux yeux. C’était un cauchemar, je pensais à ma famille qui s’inquiétait, je voulais vraiment les voir, je me sentais seul.

Après dix heures de route, et je n’avais pas encore dormi, je suis arrivé à l’aéroport où une nouvelle galère a commencé. La police de l’aéroport nous a parqués dans une pièce qui ne contenait aucune commodité. On était supposé dormir par terre. Toutes sortes d’insectes pullulaient. J’y suis resté une autre nuit sans dormir en attendant mon vol prévu le lendemain.

Les policiers de garde ont exigé de l’argent, c’était un chantage continuel, et on était obligé de payer sinon on était menacé d’avoir «des problèmes». Ils étaient agressifs. Avec tout cela, je n’avais pas encore eu mon passeport, j’attendais toujours qu’ils y appliquent un cachet afin de prendre l’avion et quitter cet enfer. Ce sont les mêmes policiers qui ont finalement fait l’enregistrement de mes bagages car ils craignaient que je m’échappe de l’aéroport.

Puis l’avion a décollé, pour votre plus grand soulagement…

Je n’ai pas dormi pendant trois jours. Maintenant, je suis très content car j’ai pu passer à travers cette mission impossible, mais je pense toujours aux nombreux Gazaouis qui veulent voyager. J’espère de tout de mon cœur que cette misère se terminera bientôt. L’humanité passe avant tout, non? (Article publié dans Le Soir en date du 29 novembre 2017)

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