Italie. Piémont: «La campagne sur les coûts de la santé sert à réduire les investissements»

Entretien avec Eleonora Artesio conduit par Giuliana Cupi

medici-strillo1La dette dans la santé publique est probablement le thème le plus «chaud» dans la région du Piémont depuis plusieurs semaines : la rencontre de mardi 18 juin 2013 entre Roberto Cota[1] et le Ministre de l’économie [Fabrizio Saccomanni] (voir déclaration du ministe) n’est que le dernier chapitre d’une histoire loin d’être terminée. Dans ce contexte, nous trouvons indispensable de comprendre de façon plus précise et détaillée comment on en est arrivé à une situation susceptible, d’après les plans du Gouverneur de la Région, d’accroître davantage la charge fiscale de la population du Piémont.

 

 

Pour quelles raisons la dette du secteur de la santé publique a-t-elle augmenté dans la Région du Piémont?

Je pense qu’avant de parler du déficit, il faudrait expliquer brièvement comment se constitue budget de la santé publique, que ce soit en Piémont ou dans les autres Régions d’Italie. Tout d’abord, il y a un budget de la santé publique issu de l’Etat qui repose sur des paramètres tels que la population, l’âge moyen de cet ensemble, la présence d’immigrés et/ou celle d’urgences sociales. Ce fonds alloué à la santé pubique s’élève à 7,8 milliards d’euros dans la Région du Piémont. Puis, nous pouvons mentionner d’autres ressources issues du budget de la Région, lesquelles sont destinées à des services qui vont au-delà dudit Niveau d’assistance sanitaire de base (LEA)[2] prévu par la loi. Au Piémont, ces sommes atteignent 400 millions d’euros. Maintenaient, puisque nous sommes contraints à l’équilibre budgétaire («fiscal compact», «règle d’or» ou, en Suisse, le «frein à l’endettement), ce montant ne peut toutefois plus atteindre 400 millions d’euros. Il doit en effet correspondre à la moyenne des autres régions, ce qui implique une réduction importante du financement de ces prestations. et financent une participation plus élevée aux frais payés par les personnes âgées, [et leurs familles], hospitalisées auprès des Etablissements médico-sociaux (EMS)[3], dont «l’intensité assistantielle» est par ailleurs plus élevée que la moyenne, soit 56% contre 50%). Mais aussi pour les communicateurs vocaux destinés aux patients souffrant de sclérose latérale amyotrophique (SLA), les perruques pour les femmes soumises à une chimiothérapie après avoir été opérées du cancer des seins, etc. Enfin, il y a les bénéfices obtenus grâce à la mobilité des patients provenant des autres régions. Un déficit se produit lorsque les dépenses sont supérieures aux recettes. Au Piémont, cela s’est produit déjà en 2004, lorsque la Municipalité était dirigée par Enzo Ghigo[4]. A cette occasion, il a fallu également se conformer à l’équilibre budgétaire au même titre que la Ligurie et la plupart des Régions du Sud de l’Italie.

Que signifie se conformer à l’équilibre budgétaire en matière de santé publique?

Cela signifie que vous encourez des sanctions: le fonds consacré à la santé ne transfert plus la totalité des financements. L’Etat retient un montant donné (dans notre cas, il était de 509 millions d’euros!) et exige des manœuvres pour atteindre l’équilibre budgétaire. En 2006, la Municipalité de la commune de Bresso [ à même dû contracter une dette qui coûte à nos jours 80 millions d’euros par année, et qui constitue un fardeau énorme pour la région et les établissements sanitaires. Tout cela pour éviter qu’un déficit amène à une accumulation de dettes supplémentaires.

Est-ce que ces mesures suffisaient?

Non. L’endettement n’a pas diminué. [Le gouverneur de la] Région du Piémont [Roberto Cota est membre de Ligue du Nord] n’a pas pour autant été convoqué par le Gouvernement italien pour discuter un plan pour réduire la dette et atteindre l’équilibre budgétaire. A la différence d’autres régions moins habiles, le cas du Piémont [5] ne constituait pas une priorité nationale. A l’époque, quand j’étais Conseillère [au Ministère] de la santé à Rome, on me disait toujours qu’il n’y avait pas de raisons pour se préoccuper à propos de ce thème. Le Piémont a proposé même une loi permettant de ne pas être soumis à la contrainte budgétaire dans certaines conditions. Or, Roberto Cota, dès son élection en avril 2010, a souhaité se conformer à l’équilibre budgétaire (pensant peut-être le justifier comme une imposition de la part de l’Etat central en tant que membre de la Ligue du Nord!), en prenant des mesures telles que la négociation de reconversions professionnelles, la réduction des effectifs, etc.

L’attitude de Roberto Cota n’était-il pas contradictoire, sachant que l’endettement s’est développé durant la Municipalité gouvernée par le centre-droit, celle de la dernière législature?

Il y a une complexité spécifique au Piémont. Quand la Région transfert des montants supplémentaires au fonds de la santé, elle le fait en accord avec les Conseils de la Région qui a des prérogatives concernant le budget et la santé. […] Cependant, la santé n’a pas pu disposer des 865 millions d’euros alloués en 2007, car le Directeur des finances de la Région a décidé d’utiliser ce montant pour le budget de l’ensemble de la Région, dans l’idée que la santé devait atteindre l’équilibre budgétaire dans un horizon temporel plus long.

Quand le cas du Piémont a attiré l’attention du Gouvernement italien, la Région en question se voit imposer la restitution immédiate de cet argent, sans quoi il est contraint de prélever ce montant par des impôts plus élevés sur le revenu des personnes physiques (IRPEF). Si le gouvernement italien n’avait pas imposé des mesures en vue d’atteindre un équilibre budgétaire, cette question aurait été résolue par la Région elle-même. Or, ce régime de «surveillance spéciale» permet au Gouvernement italien de décider par quelle voie les Régions doivent régler leurs propres dettes internes. Ainsi, Roberto Cota peut accuser [l’actuel gouvernement de] «centre-gauche» [de Prodi] d’être à l’origine du problème […].

Maintenaient, que pourra-t-il se passer?

Nous savons tous que Roberto Cota ne veut pas augmenter l’impôt IRPEF. Les parlementaires semblent avoir affirmé que le Piémont n’est pas «hors contrôle», que les établissements sanitaires n’ont pas de dettes démesurées car elles n’attendent que les financements de la Région. Seule une intervention politique peut arrêter ce processus, par exemple par une norme transitoire ad hoc, de la part du Ministère du développement économique, celle-ci étant composé par des fonctionnaires encore plus puissants que le Parlement lui-même, au point de pouvoir ordonner des coupes budgétaires au milieu d’une année (comme cela s’est produit, en 2011, quand a été introduite une participation des patients aux visites médicales). Les plans d’équilibre budgétaire sont des véritables fardeaux et, pourtant, le Piémont est encore créancier face à l’Etat, en raison de l’argent retenu par ce dernier dans le cadre de pénalités financières.

La gestion de la santé publique n’est donc pas si mauvaise et ses coûts ne peuvent pas être définis comme étant exagérés…

En Italie, la santé représente 7% du Produit intérieur brut (PIB) contre 9% en France et Allemagne. Donc, non, le système de santé italien est bien moins cher que celle des autres pays et, surtout, tout le monde peut en bénéficier malgré ses nombreux défauts. La propagande sur des coûts de la santé est le résultat d’un projet politique qui vise à réduire les investissements dans le secteur.

Il y a par exemple la volonté de réduire les dépenses des prestations de santé destinées aux personnes âgées et aux handicapés, en transférant leur charge de la Région aux communes. Or, si on tient compte de la situation difficile que connaissent plusieurs grandes communes piémontaises, en commençant par Turin et Alessandria, nous pouvons bien comprendre quels seront les développements futurs. (Traduction A l’Encontre)

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Eleonora Artesio, actuelle conseillère régionale de la Fédération de la Gauche, qui a été de 2007 à 2010 conseillère municipale de la commune de Bresso, située près de Milan tout en faisant partie de la Région du Piémont.


[1] Président de la Région du Piémont et secrétaire adjoint du Ministère du Développement économique. Il est membre de la Lega Nord.

[2] Ensemble des prestations, services et activités que les citoyens ont le droit à obtenir de la part du Service sanitaire national (SSN).

[3] Entités locales, publiques ou privées, qui offrent des services sanitaires non hospitaliers aux personnes âgées.

[4] Président de la Région du Piémont de 1995 à 2005, puis membre du Sénat de la République italienne de 2006 à 2013, quand il a participé à la Commission permanente « Igiène et santé » pour le compte des formations politiques dirigés par Silvio Berlusconi : Forza Italia et Popolo della libertà.

Beatrice Lorenzin du Peuple de la Liberté de Berlusconi
Beatrice Lorenzin du Peuple de la Liberté de Berlusconi

[5] La Stampa, du 30 juin 2013, donnait des chiffres concernant les dépenses de santé, per capite. Les dépenses, selon cet indicateur, son de 1601 euros dans les Marches, 1633 en Lombardie, 1634 en Sardaigne, en 1924 dans le Lazio. Ces chiffres devraient certainement être contextualisés afin de rendre leur sens. Les dépenses en chiffres absolus, selon la Cour des comptes, sont les suivants, en euros: quelque 18 milliards pour la Lombardie et quelque 3 milliards pour la Calabre. Les projets «Pacte pour la Santé» de la ministre de la Santé, Beatrice Lorenzin, dans le cadre des «contraintes budgétaires» imposées par la Troïka et le gouvernement d’Enrico Letta – afin de réduire le prix de la reproduction de la force de travail sur la durée d’une vie – sont nombreuses. Cela sera l’objet d’un article. Un exemple toutefois: pour un contrôle de santé (cardio, analyses diverses, visite auprès d’un spécialiste, etc.), en moyenne, une personne doit payer un «ticket» (une prise en charge directe par le patient, dit aussi participation aux «frais») de 176 euros. La contre-réforme – sans laisser penser que la situation actuelle a des traits sociaux corrects – va reposer sur une limitation des dépenses, en 2014, de quelque 10 milliards qui sont censés être réinvestis. Où et comment, cela n’est pas du tout clair! Mais l’argument classique, aujourd’hui, lors de mesures dites d’économie, consiste à répéter qu’elles sont faites en vue d’investissements plus efficaces! (Rédaction A l’Encontre)

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La version italienne a été publiée sur le site http://www.fabionews.info/View.php?id=16554

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