Par Yannis Milios
Tout le monde attend la victoire de Syriza et le changement qui va venir de la Grèce. Une victoire-message aux peuples de l’Europe qu’il existe une autre voie et que cette voie est possible.
Au cours des derniers jours, on a beaucoup parlé de nous et on nous a accusés d’encore plus de choses.
Pourtant, ceux qui votent se sont rendu compte de la vérité: la victoire de Syriza n’est pas un scénario «catastrophe» et cela non pas parce que nous n’allons pas changer de politique, non pas parce que nous n’allons pas mettre fin à l’austérité, mais parce qu’aucun côté (l’Union européenne-Grèce) ne veut détruire l’autre. Un défaut de paiement n’est dans l’intérêt de personne. Il ne frapperait pas seulement le pays qui se trouverait dans une incapacité de payer, mais aussi la Banque centrale européenne et la zone euro dans sa totalité. Nous ne voulons pas cela et nous sommes sûrs que nous trouverons une manière pour mettre fin à l’austérité et arriver à un accord.
Il y aura un accord, ce qui veut dire que les deux parties se mettent d’accord, autrement dit la Grèce ne va pas donner son accord à quelque chose de pré-établi. Une négociation va démarrer et elle aboutira. Tous reconnaissent enfin que la dette souveraine grecque n’est pas viable non seulement parce qu’elle est trop élevée, mais parce que le gouvernement jusqu’à présent l’utilisait comme un instrument piège pour instaurer l’austérité, avec la récession qui en découle. Cela en acceptant que la réduction de la dette – mesurée en pourcentage du PIB, alors que ce dernier se réduisait et donc le ratio augmentait – va venir d’excédent primaire immense et en bradant la propriété publique. Nous n’allons pas pouvoir sortir de ce piège si on ne change pas de politique et si on ne supprime pas la plus grande partie de la dette, comme ce fut le cas en 1953, avec le Congrès de Londres pour l’Allemagne [1]. Ce n’est dans l’intérêt de personne d’avoir des moments difficiles en Europe, ni d’un côté ni de l’autre.
Négociation veut dire qu’il y a des différences, mais qu’on s’assoit à la table de discussion pour les résoudre avec un accord entre les deux parties. Après notre victoire électorale, nous allons remplacer l’austérité, le mémorandum, avec le plan gouvernemental que nous avons annoncé à Thessalonique [2]. Nous allons négocier avec nos partenaires la question de la dette.
L’austérité va être stoppée, le gouvernement grec va exprimer la volonté du peuple grec, le pouvoir du peuple est plus fort que toute autre institution, parce que l’Europe est un continent de démocratie, et puisque le peuple sera à nos côtés, nous allons pouvoir y parvenir. Nous allons entrer dans une voie de recomposition et de relance de la société et, par conséquent, de l’économie. Je suis tout à fait persuadé que lorsqu’un tel changement se concrétisera, en très peu de temps nous allons voir une baisse radicale des spread [taux d’intérêt sur les obligations de la dette avec comme point de référence les taux accordés à l’Allemagne] et la crédibilité financière. Autrement dit, l’Etat grec aura la possibilité d’emprunter sur les marchés à chaque fois que l’Etat le jugera opportun.
A présent, le pays dispose d’un potentiel de développement immense, lequel pourra croître lorsqu’il y aura un changement de politique quand on enterrera enfin l’austérité. Pour nous, la croissance économique a du sens lorsqu’elle est dans l’intérêt de la majorité du peuple grec. Les investisseurs à long terme qui veulent être présents en Grèce, dans une perspective de développement et de stabilité, sont toujours les bienvenus.
Les premières mesures sont celles que nous avons annoncées pour soutenir la société, réformer l’Etat et pour la démocratie. Nous allons apporter de la stabilité et de la transparence dans la fonction publique, nous allons démarrer l’ensemble des mesures pour faire face à la crise humanitaire et pour stabiliser le marché du travail. Parmi les premières mesures, il y aura la hausse du salaire minimum à 751 euros [3], mais en même temps la possibilité pour les personnes qui sont aujourd’hui en marge de la société d’espérer à nouveau [création d’emplois].
Il y a quelques années, quand on disait que Syriza pouvait déclencher un courant de grands changements dans toute l’Europe, on se moquait de nous, on nous critiquait. Maintenant, c’est l’heure de la gauche européenne pour qu’elle redonne naissance à l’espoir. Pour donner une vision nouvelle aux générations à venir, pour une autre Europe, pour un monde nouveau. La chance nous a été donnée de réaliser ce rêve.
Si ce n’est pas maintenant, quand? (Publié dans Avgi, quotidien très proche de Syriza, samedi 24-dimanche 25 janvier 2015. Traduction A l’Encontre)
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[1] L’accord de Londres sur les dettes extérieures allemandes de 1953 a abouti à un allégement de la dette, accord signé entre la République fédérale allemande et les pays créanciers. Parmi les participants à cette conférence se trouvaient entre autres: la Belgique, le Canada, le Danemark, la France, la Grande-Bretagne, la Grèce, l’Iran, l’Irlande, l’Italie, le Liechtenstein, le Luxembourg, la Norvège, l’Espagne, la Suède, la Suisse, l’Afrique du Sud, les Etats-Unis, la Yougoslavie. L’URSS et ses satellites ne participèrent pas à cette vaste opération de restabilisation de l’Allemagne dans un contexte de guerre froide qui prit forme dès 1947. La réduction de la dette de l’Allemagne a été de 62% et sur une période de plus de 50 ans. A la tête de la délégation allemande, ce qui symbolise continuité et stabilisation, se trouvait Hermann Josef Abs. Ce dernier, issu d’une famille catholique fort conservatrice, est, en 1935, associé de la banque Delbrück, Schickler & Co. à Berlin. Très lié aux grandes banques allemandes, il entre en 1937 au directoire de la Deutsche Bank à Berlin. Il assume la responsabilité du secteur étranger jusqu’en 1945. Il était aussi membre du directoire d’IG Farben, la grande firme qui puisait dans le camp de concentration d’Auschwitz pour obtenir une main-d’œuvre gratuite, firme qui produisait le gaz d’extermination Zyklon B. Autrement dit, Abs était vraiment bien placé pour négocier la dette. L’analogie avec la conférence de 1953 peut certes être utilisée pour indiquer une réduction de dette pour un pays détruit (la Grèce), partiellement, par les mesures de la Troïka. Toutefois, les limites de l’analogie doivent être plus sérieusement appréhendées, car le contexte est plus que différent et les motivations des bourgeoisies d’Europe ainsi que d’institutions financières sont autres. (Réd. A l’Encontre)
[2] Voir à ce propos les articles publiés sur ce site concernant la Grèce en janvier. Le discours de Thessalonique, qui résume le programme officiel de Syriza pour les élections, a été tenu le 14 septembre, lors de la Foire internationale de Thessalonique où se sont exprimés Alexis Tsipras et Antonis Samaras. (Réd. A l’Encontre)
[3] Le rétablissement du salaire minimum à 751 euros mensuels pour un travail à 100% est une des revendications fortement ressenties. Toutefois, la discussion commence dans les milieux syndicaux sur la question du taux d’emploi. Pour réduire de facto ce salaire, le patronat peut aisément réduire le temps de travail contractuel individuel, ce d’autant plus que la majorité des salariés sont engagés aujourd’hui à temps partiel. (Réd. A l’Encontre)
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Yannis Milios est un des économistes de Syriza qui est apparu dans de nombreux médias internationaux. Il parle allemand et anglais. En novembre 2014, il a accompagné le véritable bras droit de Tsipras à Londres, Giorgos Stathakis, pour rencontrer une vingtaine de représentants des banques et de hedge funds. Les avis sur le résultat de cette rencontre diffèrent. Des représentants de banque ont considéré qu’une négociation «douce» relevait d’un rêve. En outre, ce voyage a été contesté au sein du comité central de Syriza, qui réunit 220 délégués, et Milios a pris ses distances avec cette visite. Ce que n’a pas fait Stathatis, qui, avec Giannis Dragasakis, sont actuellement les deux piliers de la politique économique de Tsipras. (Réd. A l’Encontre)
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