Grèce. Le bilan de six années de crise et la dette

Yannis Stournaras, le patron de la Banque nationale de Grèce
Yannis Stournaras, le patron de la Banque nationale de Grèce

par Stavros Tsipras

La Grèce traverse, depuis 2010 essentiellement, une crise profonde. D’économique, celle-ci est devenue humanitaire, éprouvant durement la cohésion sociale. Une brève évaluation des données économiques de ces dernières années permet de mieux rendre compte de la réalité.

Nous nous trouvons dans un pays où, de 2010 à 2013, ont été appliquées des mesures fiscales et des coupes budgétaired de tout type, qui représentent un montant global de 63 milliards d’euros (soit 31 % du PIB), d’après Yannis Stournaras, ex-ministre des Finances et actuel gouverneur de la Banque centrale de Grèce.

Dans le même temps, quasiment sur la même période, de 2009 à 2013, le PIB de la Grèce a diminué de 43 milliards d’euros, selon les chiffres de l’Office statistique hellénique ELSTAT (1). D’après le rapport trimestriel de l’Office budgétaire du Parlement (2),  le PIB a diminué de 26,2% au cours des six années de crise, alors qu’il avait augmenté de 25% lors des six années précédant la crise.

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Variation du PIB en Grèce entre 2002 et 2013 (cliquer sur l’image pour l’agrandir)

Pratiquement sur la même période, de 2008 à 2012, le montant total prévu pour le soutien aux banques s’élève à 238 milliards d’euros. Affecté à différentes catégories de sollicitations, ce montant est divisé en plusieurs sommes spécifiques allouées graduellement. Sur l’ensemble, 5 milliards sont affectés à la prévision légale pour l’achat de titres, 50 milliards sont attribués à la recapitalisation des banques (renforcement des fonds propres), laquelle s’effectue par le biais d’un emprunt auprès du mécanisme de soutien de l’UNE et du FMI – via le Fonds européen de stabilité financière (FESF) (3) – et les 183 milliards restants sont les garanties apportées par le secteur public (sous un libellé différent) aux banques. Ce montant ne comprend pas la participation de la Grèce au Mécanisme européen de stabilité (MES), adoptée dans la loi 4063/2012.

Les données évoquées ci-dessus concernant les coupes, la fiscalité et le soutien ad nauseam des banques ont logiquement des répercussions sur les vies de millions de personnes, comme l’indique le rapport remis en septembre 2014 par l’Office budgétaire du Parlement (4), indiquant que 6,3 millions de personnes en Grèce se trouvent au bord de la pauvreté. Plus spécifiquement, 2,5 millions de personnes se trouvent en dessous du seuil de pauvreté relative (23,1 % de la population), sur la base du revenu du ménage moyen (60 % de la population). De plus, 3,8 millions de personnes sont sous la menace de la pauvreté en raison de privations matérielles et du chômage. La Grèce, selon l’Office statistique européen Eurostat, se trouve dans la pire position parmi les 28 Etats membres de l’UE en ce qui concerne le risque de pauvreté. Dans le même temps, toujours d’après Eurostat (5), la Grèce affiche le taux de chômage le plus élevé de l’UE.

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Taux de chômage dans l’UE au 31 janvier 2015 (cliquer sur l’image pour l’agrandir)

Le terrible bilan évoqué ci-dessus résulte des politiques d’austérité mises en œuvre dans le cadre des engagements pris dans les «mémorandums», sous la supervision de la «troïka» (dont la raison d’être vient d’être remise en cause, du point de vue formel au moins), afin de gérer le problème de la dette publique (avec les conditions qui y sont attachées) – lequel influe directement ou indirectement sur tous les secteurs de la société – avec pour objectif la «poursuite des affaires courantes», c’est-à-dire le financement de l’Etat par le biais d’emprunts sur les marchés (!) Or, même si cela peut paraître étrange, la dette de l’Etat ne cesse d’augmenter. D’après les données de l’Organisme de gestion de la dette publique (OGDP), celle-ci était de 299,6 milliards d’euros en 2009 (soit 129,7 % du PIB), contre 318,7 milliards d’euros en 2013 (175,1% du PIB).

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Evolution de la dette publique en % du PIB  (cliquer sur l’image pour l’agrandir)

L’augmentation de la dette publique grecque n’a pu être enrayée (si ce n’est brièvement) ; ni la participation du secteur privé en 2011 (PSI), ni la décote de la dette en 2012 n’ont permis d’infléchir la tendance. Il convient d’évoquer également l’incroyable aveu de la Banque nationale de Grèce, laquelle, dans son rapport de l’été 2014, intitulé « Chronique de la Grande Crise » (6), indique que la restructuration des dettes des caisses d’assurance, d’un montant de 16,2 milliards d’euros, n’a pas réduit la dette publique, dans la mesure où il s’agissait d’une dette «intragouvernementale».

Au cours de la même période (2010 – 2013), d’après Eurostat, la dette des 18 pays membres de l’eurozone a augmenté, passant de 83,7 à 90,9 % du PIB, tandis que la dette des 28 Etats de l’UE est passée de 78,2 % à 85,4 % du PIB. Afin de mieux comprendre l’absurdité économique mondiale dans laquelle nous vivons, il convient d’évoquer ici la récente étude (février 2015) publiée par le McKinsey Global Institute (MGI). D’après celle-ci, la dette mondiale atteignait 199’000 milliards de dollars! Soit une hausse de 57’000 milliards pour la période 2007-2014.

Si l’on oublie un instant le présent pour se concentrer sur l’avenir, on constate que la dette publique constitue la véritable entrave à toute perspective de redressement social et économique. D’après l’OGDP. la Grèce devrait payer 341 milliards d’euros de 2013 à 2030 pour le service de la dette (remboursement du principal et des intérêts). Sur ce point, il convient de souligner que ce montant, toujours selon l’OGDP (7), ne comprend ni l’ensemble de la dette contractée jusqu’en 2057, ni les emprunts à long terme, tandis que 78% du portefeuille de la dette est constitué de prêts à taux d’intérêt variables!

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Projection des remboursements de la dette jusqu’en 2030 (cliquer sur l’image pour l’agrandir)

Pour avoir un élément de comparaison par rapport aux montants évoqués ci-dessus, rappelons que les privatisations envisagées de 2011 à 2018 s’élèvent à 15,5 milliards d’euros, en vertu de la loi 4263/2014, soit un montant équivalent à la moitié du service de la dette pour la seule année 2014, qui s’élève à 31 milliards d’euros selon l’OGDP.

Au vu de ce qui vient d’être brièvement exposé, on peut comprendre que le service de la dette publique, dans les conditions évoquées ci-dessus, est impossible. Que cela nous plaise ou non, que l’on soit d’accord ou non, de gauche ou de droite, peu importe. La question qui est posée, désormais, c’est de savoir quand, comment et par qui sera traitée cette question ; avec courage, honnêteté, et avec le soutien du peuple et de la société. (Publié par Okeannews, 23 février 2015)

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Notes

  1. ELSTAT – La Grèce en chiffres – 2014, p. 37
  2. (octobre – décembre 2014, p. 37)
  3. (article 3, paragraphe 1, loi 3864/2010)
  4. Rapport trimestriel, juillet-septembre 2014, p. 80
  5. Euroindicators, 30/1/2015
  6. p.107
  7. Bulletin sur la dette publique 75, septembre 2014, p. 4, tableau 6

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