Il y a quelques jours, le gouvernement grec a présenté une liste de propositions dans l’espoir de sortir de l’impasse avec les «institutions», c’est-à-dire la Commission européenne, le Fonds monétaire international et la Banque centrale européenne. Sur le fond, le gouvernement a manifesté son accord pour établir des excédents primaires (solde budgétaire positif avant le paiement des intérêts de la dette): de 1% en 2015 et de 2% en 2016. Pour atteindre ces objectifs, il a proposé de relever la TVA sur une gamme de produits de grande consommation ainsi qu’une série d’impôts sur les entreprises et les ménages disposant de «hauts» revenus. Il a également proposé des coupes substantielles concernant les retraites. L’ensemble cumulé de ces mesures atteint quelque 8 milliards d’euros sur la période 2015-2016. Elles seraient immédiatement mises en œuvre.
Le paquet a certainement des effets déflationnistes à un moment où l’économie grecque est à nouveau sur le seuil de la récession. Il est quasi certain que cela va contribuer à la contraction de la production et à une hausse du chômage en 2015-16. En outre, les chances sont maigres que cela soit compensé par un programme d’investissements financé par l’UE. Cette proposition représente donc un recul majeur effectué par le gouvernement de Syriza.
Pour la Grèce dans son ensemble, la perspective d’un accord réalisé sur cette base serait tout simplement épouvantable. Le pays pourrait être forcé d’adopter des mesures d’austérité sévères dictées par les bailleurs de fonds, sans aucune possibilité réaliste d’allégement substantiel de la dette, ou d’un programme d’investissement important. Les «institutions» visent une fois de plus à imposer des politiques qui ont échoué lamentablement depuis 2010, provoquant une énorme contraction du PIB, un vaste chômage et une paupérisation de masse. Ce serait une catastrophe nationale accompagnée de l’humiliation totale du gouvernement de Syriza.
A l’étonnement général, la réponse des «institutions», dirigées par le FMI, consiste à exiger des mesures encore plus sévères pour atteindre les mêmes objectifs. Ces dernières comprennent des augmentations importantes de la TVA, une diminution de la charge fiscale pesant sur les entreprises et des économies plus grandes dans le système des retraites. Si ces exigences sont appliquées, le gouvernement ne sera même pas en mesure d’affirmer qu’il a déplacé une partie de l’augmentation du fardeau fiscal en faveur des travailleurs et des pauvres.
Pour ceux qui examinent l’Union européenne (UE) sans lunettes teintées de rose, il n’y a pas de surprise concernant l’attitude des créanciers. L’UE et en particulier la zone euro sont placées sous l’emprise de l’austérité, même institutionnalisée au moyen desdits six-pack (objectif budgétaire) et two-pack (surveillance économique). Les créanciers se sont donc opposés, de manière inéluctable, à la levée de l’austérité en Grèce, et ils semblent croire – bêtement – que l’austérité «fonctionne». En outre, ils souhaitent infliger une défaite politique à un gouvernement de gauche qui a osé défier le statu quo européen. L’Europe a montré un visage dur et cynique envers la Grèce, quels que puissent être les défaillances de la Grèce elle-même.
La vraie question est la suivante: le gouvernement du Syriza doit-il accepter ces exigences extraordinaires? Doit-il se soumettre à un chantage? Syriza a remporté les élections en janvier 2015, avec un programme qui promettait de mettre fin à l’austérité et à introduire des changements radicaux en Grèce, tout en restant dans la zone euro. Il estimait que son robuste mandat démocratique l’aiderait à conduire avec succès d’ âpres négociations avec les créanciers. La réalité a prouvé être très différente dans la mesure où les créanciers ont utilisé le cadre de la zone euro pour créer une pénurie de liquidités et de financement qui a paralysé la Grèce. Dans le même temps, à la fois les prêteurs et les forces nationales (grecques) qui souhaitent continuer avec les politiques d’austérité – y compris, la plupart du temps, les riches et l’élite financière – ont manifesté un alarmisme sans vergogne concernant le Grexit (sortie de l’euro). Face à la puissance de la finance, la stratégie de Syriza se délite.
La Grèce et le gouvernement du Syriza vont maintenant se retrouver face à face avec la réalité impitoyable de la zone euro. Pour maintenir le pays dans l’eurozone, les créanciers exigent qu’il se soumette au chantage et accepte des politiques qui conduiraient à un déclin national. La société grecque ferait face à une croissance faible, à un chômage élevé, à une pauvreté enracinée et à l’émigration de ses jeunes qualifiés, comme l’expérience de ces cinq dernières années l’a montré.
Il y a une voie alternative pour la Grèce. Elle impliquerait de quitter la zone euro. Cette sortie permettrait de libérer le pays du piège de la monnaie commune, ce qui l’autoriserait à mettre en œuvre des politiques qui pourraient revitaliser l’économie et la société. Cela ouvrirait un chemin praticable qui pourrait offrir un nouvel espoir, même si d’importantes difficultés d’ajustement en découlaient au cours de la période initiale.
Le choix repose finalement dans les mains du peuple grec. Malgré les sondages fréquemment exposés montrant, vraisemblablement, un fort soutien pour la zone euro, la réalité sur le terrain révèle la colère et la frustration parmi les travailleurs, les pauvres et la classe moyenne inférieure ruinée. Ce sont ces couches sociales qui pourraient placer le pays sur une trajectoire différente de croissance et de justice sociale. A cet égard, il incombe à Syriza de repenser sa stratégie et d’offrir un leadership renouvelé au peuple grec. Dans les prochains jours, on peut s’attendre à une intervention importante de son aile gauche influente, la «plate-forme de gauche» (Courant de gauche, Rednetwork, etc.). La Grèce a besoin rapidement d’un débat public et d’une réorientation de sa politique. Le pays a la force de survivre et il le fera. (Traduction A l’Encontre; article publié dans The Guardian, le 25 juin 2015; Costas Lapvitsas, économiste, enseignant au SOAS de Londres, est député de Syriza et est actif en Grèce.)
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