Grèce. Tsipras, le bon élève de la classe «il n’y a pas d’alternative»

Le ministre des Finances, Euclide Tsakalotos, se consulte avec Tsipras
Le ministre des Finances, Euclide Tsakalotos, se consulte avec Tsipras

L’Eurostat publie tous les 17 octobre, à l’occasion de la «Journée internationale pour l’élimination de la pauvreté», des données sur la part de la population, dans l’Union européenne, «menacée de pauvreté ou d’exclusion sociale». La définition de ce statut est la suivante: ces personnes doivent être «affectées par au moins une des trois conditions suivantes: en risque de pauvreté après transferts sociaux (pauvreté monétaire), en situation de privation matérielle sévère ou vivant dans des ménages à très faible intensité de travail».

En 2014, selon Eurostat, 122 millions de personnes, soit 24,4%, entrent dans les clous de cette définition. En Grèce, le pourcentage est estimé à 36%. Concrètement, cela signifie: ne pas disposer de suffisamment de nourriture (plus de 2300 écoles ont demandé une aide alimentaire pour assurer un repas par jour aux écoliers), ne pas pouvoir se chauffer durant l’hiver, être incapable de faire face aux dépenses minimales de santé, ou encore de payer la note d’électricité. En resserrant le focus, on apprend que les personnes menacées de pauvreté n’ont pas les disponibilités monétaires pour se payer «une semaine de vacances» hors de leur domicile. En Grèce, cette impossibilité prend un tour particulier. En effet, se rendre dans le village ou la bourgade d’origine où se situe la petite maison familiale participe d’une tradition sociale. La statistique ne précise pas plus concrètement ce que signifie vivre avec moins de 500 euros (pauvreté monétaire) par mois. Par exemple, avec 450 ou 380 euros. Ce qui est une différence plus qu’importante. En 2012, le pourcentage de population «en risque de pauvreté» était estimé à 30%, en 2013 à 33%. La courbe est croissante, mais des mesures sérieuses sont prises par le gouvernement. 

Dans la nuit du vendredi 16 au samedi 17 octobre, une loi omnibus (loi collective qui intègre un grand nombre de mesures d’austérité) a été adoptée par 154 voix, soit la majorité parlementaire contrôlée par l’alliance entre Syriza et les Grecs indépendants (Anel). Une seule voix manquait: celle de l’«opposant» Dimitris Kammenos (qui n’a rien à voir avec le ministre de la Défense Panos Kammenos). Ce dernier, suite à des propos homophobes et antisémites sur son compte Twitter, a dû se retirer de la coalition, sans perdre son poste de député. Les néonazis d’Aube dorée ont voté contre l’adoption de ce paquet de lois. Le KKE (PC) a fait de même. La Nouvelle Démocratie, le Pasok, To Potami (La Rivière), qui avaient soutenu en juillet l’adoption du mémorandum (protocole d’entente), ont voté contre. Il est vrai qu’ils avaient déjà voté en 2010 et 2012 pour le début de ce long programme d’austérité qui continue. Au strict plan politique, il est aisé de saisir l’absurdité de ces jeux parlementaires, au moment où la Vouli n’est rien d’autre qu’une chambre d’enregistrement des vœux de la troïka et de ses junior partenaires de la classe dominante grecque. La manifestation le 16 au soir devant le parlement a réuni quelque 2000 personnes. La plus grande partie proche de l’Unité populaire. Le KKE a organisé, de manière séparée, une autre manifestation.

Nous publions à titre d’information, ci-dessous, un article de Romaric Godin, qui éclaire une partie des décisions présentées par Alexis Tsipras. Nous y ajoutons une contribution d’Adéa Guillot sur le «protectorat chinois» sur le Pirée. (Rédaction A l’Encontre)

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Premier train de réformes

Par Romaric Godin

Alexis Tsipras avait promis aux créanciers de la Grèce d’aller vite. Il a tenu parole. Vendredi 16 octobre, les députés grecs débattront du projet de loi unique intégrant les «actions préalables» au versement des fonds du Mécanisme européen de stabilité dont le pays a besoin en octobre, soit 2 milliards d’euros. Le vote est prévu samedi.

Hausse des taxes, surtout de la TVA

Cette loi collective regroupe de nombreuses mesures, en tout évaluées par le gouvernement grec à 4 milliards d’euros. Elle inclut la ratification de l’accord passé avec les créanciers le 13 juillet dernier et qui va déterminer l’ensemble de la politique économique du pays pour les trois prochaines années. On y trouve surtout des éléments de taxations. Certaines mesures sont conformes à l’ambition de Syriza de «mieux partager» le fardeau budgétaire comme l’augmentation du taux d’imposition des bénéfices de 26 % à 29 %, celui de la taxe sur le luxe de 5 % à 13 %, le rétablissement de la taxe sur la publicité télévisée, le relèvement de la taxe de solidarité et la contribution exceptionnelle des revenus de plus de 500’000 euros. Mais le gros du fardeau continuera à porter sur la modification de la répartition des taux de la TVA qui doit rapporter pas moins de 2,4 milliards d’euros en tout, dont 795 millions sur la seule année 2015.

sintaksiouxoi-triti-ilikia-630La réforme des retraites lancée

L’autre grand élément de ce texte, c’est la première étape de la réforme des retraites, avec le report d’ici à 2022 de l’âge légal de départ à la retraite de 65 à 67 ans, la disparition prévue à la même date des retraites anticipées, le relèvement de 4% à 6% des cotisations maladies pour les retraites et l’introduction d’une cotisation de 6% sur les retraites complémentaires. Ces annonces sont déjà fort douloureuses pour les retraités grecs, mais il ne s’agit que d’une première étape. Le gouvernement doit assurer des économies de 1% du PIB par an, soit 1,8 milliard d’euros sur le système de retraite pour les prochaines années. Un comité doit déterminer des pistes et les soumettre ce jeudi au ministère du travail. Selon le quotidien grec To Vima, ce comité préconise de réduire les frais de fonctionnement et d’unifier les onze régimes existants. Il demande également des coupes plus modérées dans les retraites, alors que le gouvernement envisagerait de fortes baisses pour les retraites de plus de 1000 euros. Le choix devra être fait dans les jours qui viennent, mais il sera impossible d’éviter de nouvelles baisses de retraites. [Selon le Quotidien des rédacteurs du 17 octobre, la réduction des retraites supérieures à 1000 euros pourrait atteindre 30% et le transfert, sous forme d’impôts, en direction du système des retraites doit encore fortement réduire l’ensemble des revenus des retraités. Le minimum de 360 euros mensuels n’est pas assuré dans le cadre de la «réforme».]

Quelques retouches

Le texte ne devrait pas poser de problème au gouvernement. La majorité parlementaire d’Alexis Tsipras est stable. Le premier ministre a cependant dû revenir sur une décision pour s’assurer de la fidélité de ses troupes. La taxation des revenus locatifs devait être relevée de 11% à 15% au-dessous de 12’000 euros, et de 33% à 35% au-dessus. Le gouvernement y a finalement renoncé… pour l’instant. La mesure a été retirée du texte, mais elle devrait revenir dans le prochain paquet de réformes en novembre. C’est un premier signe de révolte très timide contre les créanciers. Il conviendra d’observer la réponse de ces derniers qui pourraient demander de réintroduire cette mesure ou immédiatement, ou lors du prochain «paquet» en novembre. Ce sera, en attendant, un test important pour un gouvernement qui, selon le ministre de l’Education Nikos Filis, cherche toujours à éviter le relèvement de 13% à 23% de la TVA sur l’enseignement privé par «des mesures alternatives».

Obtenir la «compréhension» des créanciers

La stratégie d’Alexis Tsipras est cependant toujours la même. Du côté de l’opinion publique, affirmer que ces textes sont «mauvais», mais qu’il n’y a pas d’alternative et, du côté de la troïka, jouer parallèlement le «bon élève» pour obtenir ce qu’il est possible d’obtenir des créanciers. Son premier objectif est, évidemment, la négociation sur la dette qui aura lieu en novembre après la première revue de la troïka. Si l’idée d’une restructuration semble acquise, les conditions risquent d’être déterminées par d’autres considérations que les besoins grecs. Et Athènes veut être en position de force pour les négocier. Autre ambition: l’intégration de la Grèce dans le QE, le programme d’assouplissement quantitatif de la BCE pour réduire la récession qui s’annonce et dégager de nouvelles marges de manœuvre. Enfin, en cas de bonne surprise, Alexis Tsipras voudrait pouvoir utiliser à sa guise une partie de la «cagnotte» et il lui faudra pour cela une validation des créanciers.

Le mirage du plan européen de 35 milliards d’euros

Reste que la Grèce demeure à la merci de ses créanciers. La Commission européenne qui avait promis un «paquet exceptionnel» de 35 milliards d’euros pour la Grèce – en réalité des fonds bloqués pour raisons politiques – a annoncé le déblocage la semaine prochaine… de 800 millions d’euros. Alexis Tsipras avait beaucoup espéré de ce «plan» pour soutenir l’activité. Ce plan redevient ce qu’il n’a jamais cessé d’être : les fonds prévus pour la Grèce par le cadre budgétaire 2014-2020. Comme le plan Juncker, ce plan ne devrait guère être utile à la Grèce pour soutenir sa croissance.

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«Le Pirée va devenir un protectorat chinois»

Par Adéa Guillot

Vivre de la mer et des bateaux n’est pas une mince affaire. Cela marque le territoire et les visages. Dans les villes ouvrières de Pérama, de Drapetsona ou de Kératsini, les cités voisines du port du Pirée, les hommes ont la dureté, la rugosité mais aussi l’humour de ceux qui ont fait cent fois le tour du monde ou se sont éreintés à bichonner des monstres de fer.

China Ocean Shipping Group Co. (COSCO)Container Port In Athens«Durant onze ans, j’ai peint des coques de cargos sur les chantiers navals de Pérama, raconte Néradzis Sidéras, 56 ans, entre deux cigarettes et de viriles embrassades avec d’anciens camarades métallos. C’était un beau métier. Descendre tous les jours de chez toi vers la mer, ça te débouche l’horizon! Et puis les bateaux sont partis. Là, ça a été la fin.»

A partir du début des années 2000, les chantiers de Turquie, de Malte ou de Croatie, à la main-d’œuvre moins chère, sont devenus plus compétitifs et ont absorbé année après année le trafic de réparation de navires en Méditerranée.

Et la zone de Pérama, l’un des fleurons de l’industrie grecque pendant plus de trente ans, s’est lentement éteinte. Des quais quasi déserts, des grues abandonnées et des hommes désœuvrés. Pour survivre, Néradzis Sidéras devient chauffeur de camion à 1 300 euros par mois. «Dans la crise, ils ont baissé mon salaire à 580 euros par mois. Les bateaux, c’était dur, mais c’était digne.» Néradzis Sidéras en fera un infarctus en 2012. Il grossit depuis les rangs des quelque 80% de chômeurs de Pérama et s’investit désormais totalement dans l’Initiative de solidarité du quartier (Sinelevsi Pérama).

Exigence des créanciers

Ce soir-là justement, il y a réunion au local de la Sinelevsi et toutes les discussions portent sur la privatisation à venir du port du Pirée, le gros employeur de la région.

Enclenchée en mars 2014, c’est l’une des exigences des créanciers du pays dans le cadre plus large d’un vaste programme de privatisations, censé rapporter sur trente ans jusqu’à 50 milliards d’euros pour rembourser la dette publique.

Au total, 67% des participations de l’Etat dans l’Organisation du port du Pirée (OLP) – la société anonyme qui gère les activités de transport de passagers, de croisière, de terminal voiture ou container d’une partie du port du Pirée – seront cédées à un investisseur privé. Soit 51% dans les prochains mois, à la clôture de l’appel d’offres en cours, et les 16% restants au cours des quatre prochaines années.

«Je n’arrive pas à comprendre pourquoi ils veulent vendre les parts et pas juste céder la gestion de l’activité pour un temps donné comme ils ont fait avec Cosco», s’interroge Georges Kouvelas, 60 ans, un ancien d’OLP.

En 2009, en effet, l’Etat grec a déjà cédé l’exploitation, pour trente-cinq ans, d’une partie de l’activité container du port au géant chinois Cosco, qui exploite plus de 160 ports dans 49 pays.

Aujourd’hui, Cosco est sur les rangs pour acheter le reste du port en concurrence avec APM Terminals du danois Maersk, présent dans 38 pays et 62 ports, et le groupe philippin ICTS, particulièrement actif en Asie et en Afrique.

Crainte pour l’emploi

«Si Cosco gagne, alors on aura un énorme monopole chinois au Pirée, alors que l’OLP avait tous les moyens de rester sous contrôle public, se désole Georges Gogos, secrétaire général de l’Union des dockers de l’OLP. L’OLP est bénéficiaire, dispose de 50 millions d’euros de réserves propres. Avec une véritable politique publique, nous pouvons devenir aussi compétitifs qu’un investisseur privé et garantir une concurrence saine sur la zone du Pirée.» M. Gogos s’inquiète aussi de ce que rien dans l’appel d’offres pour cette privatisation ne soit prévu pour garantir le maintien de 1200 emplois de l’entreprise.

Christos Vretakou, le maire des communes adjacentes de Kératsini et Drapetsona, se mobilise lui aussi contre la privatisation:

«Le Taiped, le fonds en charge de la valorisation des actifs publics grecs, a décidé de céder quasiment l’ensemble du patrimoine de l’OLP, bien au-delà des activités commerciales. Cela concerne, par exemple, des terrains qui sont aujourd’hui le seul accès direct à la mer pour mes administrés, ou d’autres sur lesquels devait ouvrir un centre de santé. L’OLP public nous les avait loués pour 1 euro symbolique, car il y avait aussi une vision sociale. Que fera le nouveau propriétaire?»

«Pour séduire un investisseur, il faut bien lui donner la possibilité d’élargir l’activité en créant de nouvelles marinas ou de nouveaux quais, répond un proche du dossier. La privatisation aura lieu. Autant que tout le monde collabore au lieu de négocier chacun pour une petite partie du gâteau.»

D’autres privatisations devraient suivre

Le gouvernement du parti de la gauche radicale Syriza a beau répéter qu’il est idéologiquement opposé à la privatisation, il s’est engagé à la mener à terme dans les prochains mois. De Pérama à Kératsini flotte désormais un petit air de résignation. Les dockers et les maires menacent bien de mener des «actions coups de poing» pour tenter d’enrayer la machine. Mais cela a tout du baroud d’honneur.

Dans sa petite épicerie de quartier à Pérama, le vieux Lambros, trente ans de mer derrière lui, en deviendrait presque philosophe. «Le Pirée va devenir un protectorat chinois… mais quand l’Etat en est à ne plus pouvoir payer les retraites ou les hôpitaux, il ne peut pas investir comme il le faudrait dans ce port. Alors il faut peut-être mieux apprendre à manger avec des baguettes et laisser faire.»

Après le Pirée, c’est le port de Thessalonique, puis dix autres petits ports régionaux, qui seront privatisés. Et dans les mesures adoptées vendredi 16 octobre au Parlement, la Grèce pourrait aussi privatiser la société de train. (Publié dans Le Monde en date du dimanche 18 octobre et du lundi 19 octobre, page 5, «Economie&Entreprise)

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