A l’appel de douze syndicats d’Air France (SUD-AERIEN, SNPAF, FO, CFTC, ALTER, SNPL, SNPNAC, SNPNC, SPAF, CGT, UNSA-PNC, UNAC) un rassemblement est prévu pour le 22 octobre 2015 à 13h30 devant l’Assemblée nationale (Paris). C’est ce qu’annonce un communiqué de Sud-Aérien, que nous publions ici.
«Cette unité syndicale a longtemps été réclamée par le personnel! L’ensemble des salarié·e·s d’Air France, qu’il soit personnel au sol ou navigant, doit manifester leur opposition aux plans de la direction et leur soutien aux collègues menacés de licenciements.
Le 5 octobre 2015 au-delà des événements sur-médiatisés, nous avons assisté à une forte mobilisation et nous étions près de 2000, toutes catégories de personnel représentées. De nombreux PN (personnel navigant) s’étaient mobilisés, et dans le cortège jusqu’aux aérogares chaque métier a pu expliquer ses problèmes et son ras-le-bol général. C’est un constat d’échec pour la direction d’Air France qui tente depuis plusieurs mois d’opposer les salarié·e·s entre eux, incriminant les PNT (personnel navigant technique) comme responsables de tous nos malheurs. Or, c’est la direction qui a écopé d’amendes record pour entente illicite sur le fret; c’est la direction qui a trop tardé à développer les bases provinces; c’est la direction qui n’a pas anticipé la baisse du pétrole. Et c’est cette même direction qui veut maintenant se défausser de sa responsabilité.
Tout comme Frédéric Gagey (président-directeur-général d’Air France), qui s’est défaussé de sa responsabilité en s’enfuyant du CCE (Comité central d’entreprise) pour ne pas voir des salariés mécontents.
TRANSFORM [projet de restructuration] s’est traduit par de lourdes pertes en termes de salaire, d’ancienneté, de jours travaillés, etc… Pour nous, il est hors de question que la direction nous impose de nouveaux plans d’austérité tous les deux ans!
Elle nous annonce que dans les secteurs de l’entreprise qui ne seront pas au «prix du marché» il y aura des départs «contraints», c’est intolérable!
La direction a toujours le même objectif: faire baisser sa masse salariale, quelles que soient les conséquences sociales ou financières. Dans un contexte de croissance du transport aérien mondial, d’augmentation du trafic, l’annonce de la diminution de la flotte est en totale contradiction avec les indicateurs qui sont tous dans le vert. Alors que d’autres compagnies vont tirer bénéfice de cette prospérité (29 milliards de dollars de bénéfices attendus en 2015), Air France annonce, dès à présent, qu’elle se lance dans un plan de sous-activité.
Le Président de la République (François Hollande) en appelle au dialogue social à Air France comme s’il n’y était pour rien dans l’affaire. C’est pourtant l’Etat qui a la main sur la désignation du PDG, c’est l’Etat qui est représenté au conseil d’administration et qui a mandaté Alexandre de Juniac (président-directeur general du groupe Air France) pour appliquer son plan et supprimer encore des emplois. Rappelons que, depuis 2008, ce sont 12’000 emplois qui ont été supprimés dans la Compagnie!
Il va jusqu’à placer des anciens chefs de cabinet [il s’agit l’ex-directeur adjoint du cabinet de Manuel Valls, Gilles Gateau, qui entre en fonction le 1er novembre] comme DGRH (directeur général des ressources humaines) et il ne serait pas au courant qu’il n’y a pas de dialogue social à Air France? Xavier Broseta [son prédécesseur], lui, prend de la promo: il est nommé DGRH du groupe AF-KLM! Ils se moquent vraiment de nous…
Quant au premier ministre, il a préféré insulter les grévistes en les traitant de «voyous» plutôt que de comprendre qu’il ne s’agit que de salariés inquiets et en colère, venus pour discuter avec leur PDG.
Provocation supplémentaire, 66 millions d’euros ont été donnés par l’Etat à Air France pour promouvoir la compétitivité et l’emploi (CICE: crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi). Au final pour les deux prochaines années, 2921 emplois supprimés.
Le 14 octobre 2015, à la réunion Economie et Production préparatoire au prochain CCE du 22 octobre, la direction a détaillé son plan B:
Listing des suppressions de postes par entités Air France (CDG: Charles de Gaule; PNT: personnel navigant technique; PNC: personnel navigant commercial):
Parce que la violence est du côté du patronat, le 22 octobre, nous devons nous mobiliser pour empêcher les suppressions de postes et les licenciements de tous nos collègues. Appel à la grève du mercredi 21 octobre 22h au vendredi 23 octobre 7h. De 1h à 24h. Rassemblement à Paris, assemblée nationale jeudi 22 octobre 2015 à partir de 13h. (16 octobre 2015, Sud-Aérien)
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«Traités comme des bandits»
«Traumatisés» d’avoir été «traités comme des bandits», les salariés d’Air France, poursuivis «pour violence» sortent du silence. Jeudi 15 octobre, ils déclarent à l’AFP (Agence France Presse), qu’ils s’estiment désignés «coupables avant d’être jugés», par le gouvernement et la compagnie, qui a voulu selon eux «faire un exemple» pour éteindre la révolte.
Suite à la manifestation du 5 octobre («deux chemises déchirées» de dirigeants d’Air France) sous la double menace d’une condamnation pénale et d’un licenciement, les salariés doivent faire face à des plaintes déposées par 9 vigiles (sic) et cinq cadres. «Je ne regrette pas d’avoir participé à une manifestation pour sauver mon boulot», déclare David (prénom modifié). «On est venu là pour nos emplois, pas pour casser.» Le nouveau plan de restructuration, «c’est une catastrophe sociale», dit Mickaël (prénom modifié). «C’est des divorces, des pertes de maison, de vie… c’est injustifié», soupire-t-il.
Tous gardent en mémoire la date du «12 octobre», jour de leur interpellation, à l’aube et devant leurs familles. Après une nuit de travail, Mickaël trouve trois policiers devant son domicile, peu après 6 heures du matin. «Ils ont fouillé chez moi, j’avais l’impression d’être un terroriste.» «Le pire, c’est pour les enfants: «Il a disparu papa, qu’est-ce qu’il a fait?» Direction la Police aux frontières (PAF) à Roissy, en charge de l’enquête, pour être interrogés.
A plusieurs reprises, ils affirment que leur «présomption d’innocence» a été balayée dans le flot de réactions qui ont suivi le 5 octobre. «Des voyous», s’était exclamé le premier ministre «socialiste» Manuel Valls.
«Nous sommes coupables avant d’être jugés, même par les médias et par Valls», affirme Mickaël.
Le chef du gouvernement a assuré jeudi au Sénat qu’il «ne peut pas y avoir d’impunité (…), à l’égard d’actes qui méritent une sanction judiciaire et des sanctions dans l’entreprise».
Les cinq salariés, âgés de 35 à 48 ans, seront jugés le 2 décembre devant le tribunal correctionnel de Bobigny pour des «faits de violences en réunion». Ils ont également été mis à pied jeudi à titre conservatoire, sans solde. «Une double peine», pénale et disciplinaire, tranche David.
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Valls «patron parmi les patrons»
Le 15 octobre Hubert Huertas écrivait sur Mediapart: «On se frottait les yeux mercredi 14 octobre. Devant l’Assemblée nationale, Ségolène Royal corrigeait publiquement le premier ministre en demandant à la direction d’Air France de retirer son plan social, et Manuel Valls, penaud, était contraint de contredire Manuel Valls. Une semaine plus tôt, chauffé à blanc, le même homme traitait de «voyous» les syndicalistes impliqués dans l’épisode de la chemise, et grimpait dans le char de l’Etat pour «soutenir la direction». Dix jours après, ce soutien sans faille s’est transformé en retraite en rase campagne: «Le plan de restructuration peut être aujourd’hui évité si le dialogue social s’approfondit», a-t-il déclaré devant les députés.
«C’est qu’entre-temps les symboles ont tourné. La séquence du DRH fuyant par-dessus la clôture a choqué le pays, mais pas seulement dans le sens escompté. Tout en regrettant les débordements, les Français comprennent le désarroi des salariés, et déplorent les méthodes et l’attitude de la direction. Emmanuel Macron (ministre des Finances) a été pris à partie. Un syndicaliste a refusé, devant les caméras, de serrer la main de François Hollande [lors de la visite présidentielle sur le chantier naval STX à Saint-Nazaire] en solidarité avec ses cinq camarades arrêtés le matin même, comme de grands délinquants. [Sébastien Benoît a déclaré à Hollande.«Il n’y a pas de politesse à avoir, il y a des actes concrets à faire». Il a reproché au président de ne «pas dénoncer la violence patronale». Un acte concret.]
«En quelques heures, le pouvoir s’est trouvé pris à contre-pied, victime du croc-en-jambe qu’il s’est lui-même réservé au nom du réalisme, et il est au tapis, comme Villepin en 2006, à un an de la présidentielle. Le premier ministre de l’époque, nommé par Jacques Chirac pour empêcher l’élection de Nicolas Sarkozy, avait cru bon, au nom de la lutte contre le chômage, d’inventer un «contrat de première embauche» (CPE) conçu comme une réponse en direction de jeunes, et la jeunesse l’avait ressenti comme un ghetto. Court-circuit dans les symboles.
«Dans l’affaire Air France, Manuel Valls a pensé rassurer un pays inquiet en faisant preuve d’autorité, et il s’est trompé de levier. Il a pris un drame social pour une question d’ordre public, et s’est mis à accélérer quand il devait freiner: déflagration dans les valeurs.
«Si l’incident a pris cette proportion, s’il est sorti de l’entreprise pour prendre une dimension d’État, c’est qu’il révèle un égarement. À force de « pragmatisme officiel », le pouvoir élu en 2012 a tourné le dos aux principes historiques du mouvement qu’il représente. […]
«Le problème, avec la «social-démocratie» ou le social-libéralisme modèle Hollande, Valls et Macron, c’est que ce courant ne propose plus de dépasser les rapports de forces, il les nie. Il n’y a plus de conflit du tout dans cette société-là. Plus d’adversaires, plus de puissants qui exercent un pouvoir et peuvent en abuser, plus de faibles qui veulent en conquérir un peu, plus de frottements, plus d’étincelles, plus d’incendies, plus d’intérêts divergents, plus de lutte des classes dont la négociation arrondirait les angles. Il n’y aurait qu’une société lisse, unanime, où l’entente naturelle entre interlocuteurs égaux et sans arrière-pensées prévaudrait au coup par coup sur la loi, et où l’expression plus ou moins musclée des désaccords serait le signe d’une irresponsabilité que le 49-3 [l’article 49-3 permet de valider un projet de loi sans vote] serait chargé de réprimer.
«Ce que l’affaire Air France illustre n’est pas la «trahison» d’un pouvoir socialiste vis-à-vis de la gauche, mais vis-à-vis de lui-même, c’est-à-dire la négation du compromis qu’il est censé incarner. Quand au moment même où un PDG faisait annoncer par la presse la suppression de 2 900 emplois, Manuel Valls décrétait le soutien de l’Etat, il ne se posait plus en médiateur, mais en partie prenante, en patron parmi les patrons, histoire de faire le chef. Pire encore, refusant jeudi matin de voir autre chose qu’un fait divers dans l’histoire de la chemise, il revenait à sa posture de premier flic de France et s’en prenait encore aux fameux «comportements de voyous». […]
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A voir: Médiafact (16 octobre 2015)
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