Entretien avec Panagiotis Lafazanis
Deux entretiens ont été conduits le 22 février par les journalistes Vasili Skouri et Helen Stergiou avec Panagiotis Lafazanis, ministre de la Reconstruction productive, de l’Environnement et de l’énergie. Ces entretiens ont été accordés alors que les négociations avec l’Eurogroupe étaient en cours et que leur résultat n’était pas connu. Les réponses de Panagiotis Lafazanis permettent de mesurer l’écart entre ce qu’il défendait (et défend encore?) le 21 février et les accords conclus dès le 23. Ce texte a été publié sur le site d’Iskra.gr, site du Courant de gauche. Ces entretiens indiquent les fondements du débat ouvert dans Syriza suite à l’accord et aux propositions faites par le gouvernement Tsipras, propositions acceptées par le Parlement allemand, avec le vote de Die Linke, le vendredi 27 février.
L’ampleur des controverses et leur dynamique au sein de Syriza vont être testées dans les jours à venir. La définition des choix politiques au sein du Courant de gauche – qui dispose de ministres – est un facteur important pour la recomposition des rapports de force au sein de Syriza. A cela s’ajoute la réaction de membres se situant au «centre» de Syriza face à la manière dont le gouvernement Tsipras fixe ses relations avec les instances de Syriza, y compris dans la perspective d’un congrès. Le Comité central de Syriza qui se tient le 28 février et le 1er mars donnera des informations à propos de ces diverses interrogations. Les choix qui se concrétisent dans les semaines à venir et la mobilisation (ou non) populaire vont créer l’espace favorable à une contre-attaque de la classe dirigeante grecque, qui doit certes réorganiser ses forces politiques. Les prises de position du directeur de la Banque centrale, Yannis Stournaras, en sont un indice.
Le gouvernement va présenter dès lundi 2 mars les premières mesures législatives. Elles se concentrent sur ladite crise humanitaire : rétablissement de l’électricité pour 300’000 ménages ; bons alimentaires ; possibilité de payer par tranches les dettes envers la sécurité sociale et les impôts ; pour des dettes en dessous de 50’000 euros, il n’y aura ni arrestation, ni prison ; non-expulsion de la résidence principale si sa valeur est inférieure à 300’000 euros ; réouverture de l’ERT (radio-TV publique, fermée en juin 2013), sans précision sur qui sera réengagé ; révocation du permis d’exploitation des mines d’or dans les Skouries. Une grande partie de ces mesures relèvent d’une conception d’un «filet de sécurité» pour les paupérisés, dans l’esprit de ce que la Banque mondiale propose dans divers pays dits de la périphérie. (Rédaction A l’Encontre)
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Répondant aux questions, Panagiotis Lafazanis a souligné qu’aucun «accord avec l’Eurogroupe ne devrait annuler l’option radicale anti-mémorandum, l’orientation progressiste de notre programme gouvernemental». Il a souligné que la «ligne rouge à ne pas franchir devrait prévoir que tout accord ne doit pas créer d’obstacles à la mise en œuvre cohérente, régulière, sans recul, des éléments et des engagements fondamentaux du programme électoral et gouvernemental».
Panagiotis Lafazanis a insisté avec force sur le fait que «notre gouvernement ne doit pas et ne sera pas transformé en un otage du conservatisme allemand extrême». Il a souligné que la présence du FMI dans notre pays et la tutelle de l’Union européenne (UE) sont absolument non souhaitables et impliquent une sorte de mise en esclavage.
Dans une autre partie de l’entretien, Panagiotis Lafazanis a souligné qu’il était en désaccord avec la proposition de Dimitris Avramopoulos (Commissaire européen) à la présidence de la République, comme il était en désaccord avec les implications politiques découlant de la proposition de Prokopis Pavlopoulos à la présidence, bien qu’il ait été élu, de manière disciplinée, par le Parlement [à l’exception de la députée de SYRIZA Gianna Gaitani ; voir l’article à ce propos, sur ce site, en date du 20 février].
Panagiotis Lafazanis a également souligné que «reste valable la revendication de suppression de l’essentiel de la dette». Il a également insisté que «DEH (Public Power Corporation), DESMIE (Hellenic transmission sytem operator) et DEPA (Public gas corporation) ne devraient pas être privatisées et devraient rester des propriétés publiques au même titre que leur gestion, et que ces entités publiques devraient fonctionner selon des critères sociaux et de développement». Il a souligné qu’il n’était «pas question de privatiser l’OLP (Piraeus Port Authority) et OLTH (Thessalonki Port Authority) et les chemins de fer grecs». Enfin, Panagiotis Lafazanis a aussi noté que «pour le pays c’est la seule façon de mener jusqu’au bout des changements progressistes».
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Voici des extraits de l’entretien conduit par Vasili Skouri sur Real News.
V.S. Etes-vous d’accord avec le consensus symbolique qui a présidé à l’élection du nouveau président (Prokopis Pavlopoulos)?
P. L. J’avais une opinion différente sur les caractéristiques politiques que devait traduire le président de la République. Dans le cadre de notre choix, j’ai eu l’occasion de l’expliquer, en particulier au Premier ministre, et lors du débat au sein du groupe parlementaire. Je ne pense pas, cependant, que le choix qui s’est finalement porté sur Prokopis Pavlopoulos traduise un consensus général, symbolique, dans le champ politique. Nos différences avec l’arc politique néolibéral pro-mémorandum restent massives.
V.S. Pourquoi vous êtes-vous catégoriquement opposé au choix de Dimitris Avramopoulos?
P.L. Mon opposition au choix de Dimitris Avramopoulos n’était pas d’ordre personnel, elle était purement politique et propre à une orientation politique.
V.S. Avant de passer à des questions plus importantes, je voulais vous demander M. Lafazanis quelque chose auquel beaucoup s’intéressent: la «plateforme de gauche» «empêche-t-elle» le nouveau Premier ministre de faire les ouvertures qu’il souhaite…
P.L. La «plateforme de gauche» [la courant réunissant le Courant de gauche et le Red Network] n’est pas un obstacle dans le parti Syriza et encore moins pour le gouvernement et le Premier ministre. Par contre, la plateforme de gauche comme tendance du parti est une force qui doit contribuer de façon significative à une évolution radicale la plus cohérente et soutenue, et de la sorte étendre notre influence dans la société.
V.S. Dans quelle mesure le gouvernement peut-il dépasser les «lignes rouges», pour obtenir un accord avec les «partenaires» (Eurogroupe)?
P.L. Nos lignes «rouges» ne seront pas outrepassées. C’est, d’ailleurs, la raison pour laquelle elles sont caractérisées comme «rouges». Aucun accord avec nos prétendus partenaires ne devra annuler l’orientation progressiste radicale anti-mémorandum du programme gouvernemental.
V.S Si les partenaires décident finalement la rupture, que ferez-vous? Etes-vous préoccupé par une répétition du «modèle» de Chypre en Grèce? Et, en général, le gouvernement dispose-t-il d’un plan b dans ce contexte?
P.L. La Grèce ne va pas devenir un second Chypre de Nikos Anastasiadis [président de la République de Chypre, dirigeant du conservateur Rassemblement démocrate]. Si l’Allemagne choisit la rupture avec force, alors elle-même subira des conséquences dévastatrices…
V.S. Une solution alternative pour vous n’est-elle pas de vous financer auprès de la Russie ou de la Chine? Si, bien sûr, un tel financement est possible…
P.L. La Grèce avec un gouvernement dont SYRIZA est le centre de gravité est un pays indépendant. Dès lors, les décisions qui seront prises dans divers domaines, y compris celui des sources de financement, doivent avoir pour seul but de servir le pays et d’avoir un équilibre entre tous les paramètres, cela avec l’objectif exclusif de défendre l’intérêt national.
V.S. Votre engagement électoral pour une réunion au sommet afin de réduire la dette selon les mêmes critères appliqués pour celle de l’Allemagne en 1953 [voir la note 1 de l’article publié le 25 janvier 2015] est-il toujours valable ou a-t-il été abandonné, en silence, Monsieur le ministre?
P.L. Pas un seul engagement électoral n’a été abandonné. Nous restons sur la position de notre conférence (juillet 2013) qui est de supprimer l’essentiel de la dette.
V.S. Comment jugez-vous la position post-électorale du KKE?
P.L. Le parti communiste grec, après les élections, s’enferme dans son propre monde et ne veut pas voir les questions en jeu actuellement.
V.S. Voyez-vous une quelconque évolution dans la Nouvelle Démocratie (ND) et le centre gauche? Et, si oui, dans quelle direction?
P.L. Je pense que la ND et le soi-disant centre-gauche, pour paraphraser une célèbre formule, n’ont actuellement pas plus de réaction que Kouropatkine [allusion au général russe qui se refusa de lancer une offensive car il attendait l’arrivée de troupes par le transsibérien, ce qui se conclut par une défaite].
V.S. Si un accord intervient avec les partenaires (Eurogroupe), estimez-vous que le peuple grec devra l’approuver? Ou devra-t-il tout simplement être présenté devant le seul parlement?
P.L. Cette fois, je ne peux pas dire quelque chose de précis. En tout cas, la façon dont l’accord devra être approuvé devra être démocratique et transparente.
V.S. Vous insistez sur votre annonce pour annuler la privatisation de Public Power Corporation (PPC) et Public Gas Corporation (DEPA)?
P.L. Bien sûr! PPC et DEPA ne devraient pas être privatisées et devraient rester des propriétés publiques au même titre que leur gestion et ces entités publiques devraient fonctionner selon des critères sociaux et de développement.
V.S. Le ministre des Finances [Yanis Varoufakis] a dit que les chemins de fer peuvent être vendus pour un euro, et s’est prononcé en faveur de la privatisation du Piraeus Port Authority et du Thessalonki Port Authority. Etes-vous d’accord?
P.L. Je ne pense pas que ce que le ministre des Finances a dit a été correctement interprété.
V.S. Avec les oléoducs que ferez-vous?
P.L. Nous soutenons la Trans Adriatic Pipeline (TAP4) et réclamons des compensations. Nous voulons que la Grèce développe des liens et des connexions énergétiques multidimensionnelles sans nous retrouver dans une situation de dépendance de type satellitaire et en nous fondant sur l’intérêt national.
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Voici des extraits de l’entretien avec Panagiotis Lafazanis dans l’influent journal Proto Thema dimanche 22 février, conduit par la journaliste Helen Stergiou.
H.S. Le gouvernement, pendant 20 jours, a négocié avec ses partenaires et ses créanciers un accord «pont» [de six mois], en laissant des questions comme la dette pour plus tard. Cette stratégie est-elle correcte et aurait-il fallu choisir une autre orientation? Ne partons-nous pas ainsi empêtrés dans ces discussions?
P.L. Le terme «empêtré» que vous utilisez dans votre question est correct. Mais ce genre de «pagaille» dans les négociations est inévitable. L’important est que notre gouvernement maintienne intactes ses «lignes rouges» dans ces négociations. Et la principale «ligne rouge» est la suivante : tout accord (même passé) ne doit pas créer d’obstacles à la mise en œuvre cohérente et constante, sans recul, des engagements fondamentaux pris lors des élections et spécifiés dans notre programme de gouvernement.
H.S. Selon l’attitude des «partenaires» et en particulier de Berlin, pensez-vous obtenir un compromis honorable ou une humiliation pour le pays? Et même la chute du gouvernement?
P.L. Les milieux les plus conservateurs de Berlin ont avant tout pour but de piéger le gouvernement grec en le contraignant à s’engager sur une voie d’annulation de ses engagements et de le contraindre à une logique de privatisations, de déréglementation et de démolition néolibérale. Notre gouvernement ne devrait pas et ne deviendra pas un otage du conservatisme extrémiste allemand. La seule voie que nous avons devant nous réside dans notre application cohérente d’un programme progressiste. Aucune autre.
H.S. Conformément à la proposition du gouvernement grec, nous nous dirigeons vers un nouveau programme, même au mois d’août. Dans quelle mesure SYRIZA a une autre orientation que celle du gouvernement précédent? Est-ce simplement parce que le mémorandum sera maintenant appelé «Contrat pour la relance et le développement»?
P.L. La comparaison du nouveau gouvernement avec celui de Samaras et Venizelos ne résiste pas. Le nouveau gouvernement est à la recherche, comme je le disais, d’un accord qui sera compatible avec la mise en œuvre cohérente de nos engagements progressistes et radicaux. La Grèce ne va pas revenir en arrière. Cette page a été tournée avec le vote du 25 janvier d’abord et avant tout parce que la vigilance du peuple grec s’exerce.
H.S. Vous savez, je suis surprise que vous vous ressentiez comme normale la présence du FMI dans notre pays. Le FMI est-il notre allié finalement?
P.L. Cette présence du FMI n’est pas du tout naturelle ni souhaitable. Sans mentionner la supervision de l’UE. Nous voulons mettre un terme le plus rapidement possible à la Troïka et à toute autre surveillance…
H.S. Si le nouvel accord contient une grande partie de l’ancien mémorandum, peut-il être approuvé par le Parlement? Ou est-ce possible qu’il soit refusé?
P.L. La Troïka et les mémorandums sont le passé grâce à la volonté et aux luttes du peuple grec. Les deux ne seront pas remis à l’ordre du jour.
H.S. Nous assistons à une mobilisation populaire qui remplit les places en soutien au gouvernement. Cela ne peut-il être une arme à double tranchant, car il n’est pas facile de répondre aux attentes? Ne craignez-vous pas l’éclosion d’une déception?
P.L. La mobilisation populaire sans précédent et largement spontanée n’est pas du tout une épée à double tranchant. Elle représente la force et une arme du pays qui affirme sa dignité, sa volonté de survie et un avenir. Je ne crains rien quand les gens descendent dans la rue et aussi longtemps qu’ils y sont ils ne seront jamais déçus. Au contraire, le peuple mobilisé doit susciter la déception de ceux qui sont acquis aux décisions des centres européens qui veulent piéger notre pays… (Traduction Antonis Martalis, édition par A l’Encontre)
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