Royaume-Uni. Le traitement différencié de deux attentats

Par Juliette Gramalia

Une attaque contre des passants sur un pont iconique de Londres qui fait sept morts, une attaque contre des musulmans à la sortie d’une mosquée londonienne qui fait un mort. Les deux événements, à quinze jours d’intervalle, n’ont pas bénéficié du même traitement sur les chaînes d’info et dans les JT, l’attentat de dimanche soir ne faisant pas les gros titres. Pourquoi une telle différence? @si (Arrêt sur images) tente la comparaison.

«On apprend à l’instant qu’un véhicule aurait foncé sur la foule sur le pont de Londres». Il est 23h56, en cette soirée du samedi 3 juin, et BFMTV vient de lancer une édition spéciale qui durera 24 heures sans interruption. Quelques minutes plus tôt, à 23h08 heure française (22h08 heure anglaise), une camionnette blanche a foncé dans la foule sur le London Bridge, pont très fréquenté de la capitale britannique, blessant et tuant plusieurs passants. Rapidement, les trois terroristes s’engagent dans le quartier du Borough Market, très touristique et très fréquenté à cette heure de la soirée, poignardant plusieurs dizaines de personnes. L’attaque fera sept morts et une cinquantaine de blessés. Quinze jours plus tard, dans la nuit du 18 au 19 juin, l’attaque contre des musulmans sortant de la mosquée londonienne de Finnsbury Park après la prière de rupture du jeûne (nous sommes en plein mois du ramadan), qui a fait un mort et dix blessés ne déclenche aucune édition spéciale sur la chaîne d’info continue.

Mais revenons à la nuit du 3 juin. A partir de 23h56, la chaîne d’info décide donc de continuer son direct, au lieu de passer des rediffusions des journaux de la nuit, comme c’est normalement le cas entre 00h30 et 4h30 chaque nuit. Elle ne s’octroiera qu’une pause entre 3h20 et 4h30 environ, durant laquelle on ne verra cependant que des rediffusions concernant l’attentat de la nuit à Londres. La chaîne passe durant de longues minutes les témoignages de la correspondante sur place, Laura Kalmus: «J’essaie de m’approcher pour tenter de comprendre ce qui se passe», explique-t-elle pendant près d’une heure. En plateau, les présentateurs commencent déjà leur analyse: «personne ne parle d’attentat, mais vu la situation actuelle, tout le monde est assez pessimiste», nous dit-on. Trois caméras sont déployées, de nombreux témoins interrogés. Après 4h30, une envoyée spéciale rejoint la correspondante sur place. Durant la journée, ce sont au moins trois journalistes différents qui seront présents à Londres pour étudier les développements de la situation.

 

 

Des flashs d’info et une correspondante sur place

Dimanche 18 juin, la réaction de la chaîne a été différente. L’actualité l’était également: avec le second tour des élections législatives, BFMTV avait consacré une édition spéciale aux résultats, une édition qui s’est terminée un peu avant 1h30 du matin, soit plus tard que leur coupure habituelle. Mais trop tôt pour pouvoir relater l’attaque de Finnsbury Park, qui a eu lieu vers 1h20 heure française (00h20 heure de Londres). Il faudra logiquement attendre la reprise du direct après la pause nocturne pour apprendre ce qui s’est passé.

Premier flash à 4h26: après l’annonce des résultats des législatives et du taux record de l’abstention, on apprend qu’«un véhicule a fauché plusieurs piétons cette nuit devant une mosquée». Et les journalistes d’ajouter: «on ignore s’il s’agit d’un accident ou d’un attentat». Le bandeau indique «des piétons fauchés à Londres». Le fait que ces piétons soient des musulmans n’est d’abord pas mentionné. Oubli rectifié un quart d’heure plus tard: «la plupart des victimes sont des fidèles célébrant la rupture du jeûne», apprend-on. Il n’y a pas encore de mort et la nouvelle ne reste qu’une brève reprise à chaque journal. Il faut attendre 7h42 pour que soit dégainé le logo «priorité au direct»… et le premier duplex avec la correspondante sur place, Anaïs Cordoba, qui nous apprend que «l’imam a dû protéger l’homme [qui conduisait le camion] de la foule». Il y a eu un mort, l’attaquant a été arrêté. «Le Conseil musulman de Grande-Bretagne dénonce un acte islamophobe», ajoute-t-elle. Entretemps, la Première ministre britannique Theresa May a qualifié l’événement d’ «attaque terroriste potentielle». Le bandeau de BFM ne change pas.

 

 

La différence de traitement entre les deux attaques est flagrante lorsqu’on se penche sur le journal de 13 heures. Le 4 juin, le journal tombe en plein milieu de l’édition spéciale. Dans le rappel des titres, la journaliste nous montre les images de «Londres sous le choc, Londres figé». Le rappel des faits s’enchaîne sans heurt avec le reste de l’édition, consacrée à 100% au même sujet. Le 19 juin, l’attaque contre la mosquée n’aura le droit qu’à une brève et à la rediffusion d’un court duplex à 13h14, après la rencontre entre Emmanuel Macron et l’astronaute Thomas Pesquet et les résultats des élections. Si le bandeau continue de parler de «piétons fauchés», le journaliste explique bien que «la Grande-Bretagne [est le] théâtre d’un quatrième attentat en trois mois». «Une voiture a fauché des piétons près de la tristement connue mosquée de Finnsbury Park. Le bilan est d’un mort et dix blessés», nous rappelle-t-on. Tristement connue? Comme on ne l’apprend pas dans ce flash, cette mosquée avait été connue pour avoir été dirigée par un imam aux idées radicales. Le tout aura duré à peine deux minutes.

TF1 bat le record de la brève, France 2 fait mieux

En termes de différence de traitement, TF1 ne fait pas mieux: alors que le 4 juin, le JT de 13 heures consacrait 14 minutes aux attentats sur le London Bridge et dans Borough Market, et sur ses développements, Jean-Pierre Pernaut consacrait ce lundi 19 juin à peine… 24 secondes à l’attaque contre les fidèles de la mosquée de Finnsbury Park. «Les associations musulmanes dénoncent un acte anti-musulman, bien sûr, et Theresa May évoque une forme de terrorisme car c’en était un acte», conclut le présentateur dans une drôle de circonvolution.

 

 

Du côté de France 2, le JT de 13 heures de ce lundi a consacré un sujet d’un peu plus de deux minutes à ce «nouveau drame pour les Londoniens déjà lourdement endeuillés», et donnant la parole à un témoin de l’attaque. C’est loin des 17 minutes consacrées le 4 juin aux précédents attentats, mais c’est toujours plus que TF1.

Comment expliquer cette différence de traitement entre les deux attentats? La réponse est claire, pour la directrice de la rédaction de BFMTV Céline Pigalle, que nous avons contactée: «Dans d’autres circonstances ça aurait pris plus de place. Mais étant donné l’édition spéciale sur les législatives [qui a été lancé la veille au soir et était encore en cours lundi], l’espace disponible sur l’antenne était moins important». Car l’actualité française prime sur l’actualité internationale, rappelle Pigalle. Et en ce qui concerne cette attaque particulière, «ce n’était pas un événement en développement», conclut-elle au téléphone, puisqu’au moment où BFM reprend l’antenne en direct, les faits datent déjà de plus de trois heures. Preuve par l’exemple des choix éditoriaux de BFMTV: à 16h20, la chaîne d’info continue abandonnait son programme normal pour une édition spéciale sur un véhicule ayant percuté une camionnette de gendarmes sur les Champs-Élysées. (Article publié le 20 juin 2017 sur le site Arrêt sur Images)

Soyez le premier à commenter

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*