Boris Johnson est un Premier ministre comique. Mais ses frasques ont tué des dizaines de milliers de personnes

Par Patrick Cockburn

Boris Johnson aurait, en privé, souhaité adopter la même approche que le président brésilien Jair Bolsonaro qui a publiquement favorisé le fait de laisser le Covid-19 déchirer sa nation. «Arrêtez toutes ces histoires et ces jérémiades», a déclaré Bolsonaro aux Brésiliens, dont quelque 543 000 personnes sont mortes dans l’épidémie. «Combien de temps allez-vous continuer à pleurer?»

Avec la même insensibilité, Johnson aurait, selon son ancien conseiller principal, Dominic Cummings, rejeté un deuxième confinement en octobre dernier, après avoir appris que l’âge médian des morts dépassait l’espérance de vie moyenne. «Alors prenez du Covid et vivez plus longtemps», a-t-il plaisanté.

Le 23 juillet 2019, il y a deux ans, Boris Johnson a été élu chef du Parti conservateur, battant l’ancien secrétaire à la Santé Jeremy Hunt. Si Jeremy Hunt avait été choisi à la place, ou presque n’importe qui d’autre que Boris Johnson d’ailleurs, alors des dizaines de milliers de personnes en Grande-Bretagne ne seraient pas mortes et des centaines de milliers d’autres auraient échappé à une maladie grave et à un Covid long.

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Au fil des siècles, la Grande-Bretagne a généralement eu la chance de choisir ses dirigeants en temps de crise. Dans les périodes plus calmes, l’identité de celui qui est nominalement à la tête du pays peut ne pas avoir beaucoup d’importance. Mais au cours des deux dernières années de crise permanente en relation avec le Brexit et le Covid-19, la Grande-Bretagne a été dirigée par un homme au jugement si faible et hésitant qu’il est difficile de trouver une figure d’incompétence comparable dans l’histoire britannique.

Les meilleurs parallèles avec Johnson ne viennent pas du passé mais du monde de l’opéra-comique, ma comparaison préférée étant avec le Duc de Plaza-Toro, l’escroc grandiloquent de la classe supérieure dans Les Gondoliers avec la musique d’Arthur Sullivan et un livret de W. S. Gilbert.

«Il dirigeait son régiment par-derrière – il trouvait cela moins excitant», dit le livret, mais lorsqu’un quelconque succès est remporté – on pense au programme de vaccination Covid-19 – le duc douteux s’en attribue rapidement le mérite.

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Si l’on considère les 18 derniers mois, il est clair que lorsqu’il s’agissait de prendre des décisions de vie ou de mort pour le pays. Boris Johnson aurait obtenu de meilleurs résultats s’il s’était fié à la «méthode» pile ou face plutôt qu’à son propre jugement chaotique. Les erreurs sont trop fréquentes pour être énumérées, mais elles incluent: les retards funestes pour les deux confinements de l’année dernière, l’échec du NHS Test and Trace (Tester et Tracer par le National Health Service) pourtant très coûteux, les 39 000 morts dans les maisons de retraite, et le passage facile en Grande-Bretagne du variant Delta en ne bloquant pas les voyages depuis l’Inde.

Les leçons des erreurs ne sont jamais tirées, quel que soit le nombre de morts. On l’a encore constaté cette semaine, alors que le gouvernement a réussi à obtenir le pire des mondes possibles en mettant brusquement fin aux mesures visant à empêcher la propagation du coronavirus, tout en affirmant simultanément la nécessité pour 1,4 million de personnes de s’auto-isoler afin d’arrêter la propagation de la même maladie. La Grande-Bretagne est en train de devenir un Etat paria, le département d’Etat des Etats-Unis ayant émis son plus haut niveau d’avertissement, qui dit simplement: «Ne voyagez pas au Royaume-Uni.»

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Les défaillances de Johnson n’étaient pas un secret avant ou après qu’il soit devenu premier ministre. Toutefois à quel point il a été mauvais et nuisible a été confirmé par de nombreux détails communiqués ces derniers jours par Dominic Cummings et par Sir Jeremy Farrar – le directeur du Wellcome Trust et un spécialiste des maladies infectieuses –, tous deux au centre de la réponse de la Grande-Bretagne à la pandémie. Les récits de Cummings sur les gaffes du premier ministre sont consternants bien que comiques, mais la description discrète de Sir Jeremy Farrar sur «le premier ministre absent» est accablante.

Comment la Grande-Bretagne a-t-elle réussi à se retrouver avec un personnage aussi superficiel prenant des décisions qui impliquent la vie ou la mort pour tant de personnes? Depuis 2016, j’ai toujours pensé que les Brexiteers représentaient une menace bien plus grande pour la Grande-Bretagne que le Brexit lui-même. Il n’y avait rien d’irrationnel à quitter l’UE dans la poursuite d’une plus grande autodétermination nationale. De telles tentatives d’affirmer le «contrôle national», à bon ou mauvais escient, sont courantes dans le monde entier.

Le plus grand danger résidait dans le fait que le Brexit était devenu le véhicule par lequel une coterie d’opportunistes et d’idéologues d’extrême droite avait gagné le pouvoir et l’utiliserait de manière arbitraire et incompétente.

J’espérais également que leur mauvaise gestion n’aurait pas trop d’importance puisque, comme le soulignait Adam Smith, «il y a beaucoup de ruines dans une nation». Il y a 18 mois, il semblait possible que, tant que le gouvernement élu en 2019 éviterait une crise grave – je pensais à une guerre, pas à une pandémie –, ils n’infligeraient pas trop de dégâts. Personne ayant un flair prononcé ne voudrait se trouver sous le souffle du gouvernement actuel, mais ses projets les plus extravagants et les plus autoritaires pourraient être bloqués par sa propre incapacité.

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Mais Johnson et ses principaux lieutenants ne sont pas seulement le produit d’événements propres à la Grande-Bretagne comme le Brexit. Ils sont les membres associés d’un club peu recommandable de dirigeants nationalistes populistes qui ont tous mal géré l’épidémie dans leur pays. Certains, comme les Etats-Unis sous Donald Trump, avaient des secteurs de santé très développés, mais ont quand même enregistré 604 000 morts. D’autres, comme l’Inde de Narendra Modi, ne disposaient pas des ressources médicales adéquates mais ont tout de même sous-performé de manière calamiteuse par rapport à ce qui pouvait être fait. Le chiffre officiel des décès en Inde est de 414 000, mais une étude du Centre for Global Development et de l’Université de Harvard affirme que le véritable bilan dépasse les quatre millions de morts.

Les raisons de cet échec commun sont assez claires. Les dirigeants nationalistes populistes prétendent tous combattre des menaces imaginaires ou exagérées, mais ils sont désemparés lorsqu’il s’agit de faire face à une menace réelle comme le coronavirus. Ils colportent des chimères, faisant des promesses contradictoires de baisse d’impôts à leurs partisans ploutocrates et d’augmentation des aides publiques aux démunis. La réponse cynique de Modi et de Trump – et maintenant, comme cela se confirme, de Boris Johnson aussi – a été de nier qu’une catastrophe se produise ou de dire que, si c’est le cas, son ampleur est grandement exagérée.

Le mélange mortel d’orgueil, d’ignorance et d’incompétence de Johnson ne se limite pas à la mauvaise gestion de la pandémie. Il s’est manifesté ailleurs cette semaine, lorsque la Grande-Bretagne a demandé à l’UE (Union européenne) de renégocier le protocole sur l’Irlande du Nord d’une manière radicale, ce qui a été inévitablement rejeté par l’UE. Le gouvernement calcule probablement que les frictions permanentes avec Bruxelles ne lui feront pas de mal auprès des électeurs.

En réalité, les objections du gouvernement à la dilution de la souveraineté britannique découlant du protocole s’appliquent également à l’accord du Vendredi Saint de 1998 (The Good Friday Agreement: accord de paix pour l’Irlande du Nord entre la plupart des forces politiques). Intentionnellement ou non, Johnson et ses ministres sont en train de détricoter l’accord et de déstabiliser l’équilibre entre les communautés catholique et protestante. Pas à pas, le gouvernement fait resurgir la «question irlandaise», traditionnellement le problème politique le plus destructeur de la politique britannique, que l’accord du Vendredi Saint semblait avoir mis au placard.

Peut-être que la meilleure analogie pour Johnson, lorsqu’il se penche sur ses deux années à Downing Street, est celle de Peter Sellers dans le rôle de l’inspecteur Clouseau [dans le film La Panthère Rose, 1963] toujours sûr de lui, avançant vers le désastre et ignorant le chaos qu’il laisse derrière lui. (Article publié sur le site Counterpunch, le 27 juillet 2021; traduction rédaction A l’Encontre)

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