LafargeHolcim: une stratégie établie depuis la fin des années 1990

Cimenterie Lafarge en Irak…

Rédaction A l’Encontre

En novembre 2014 (magazine Challenges du 16.11. 2014), Lafarge annonçait son intérêt pour la Syrie et l’Irak, deux pays en guerre… et détruits, donc à reconstruire. Voir l’article publié sur ce site en date du 14 avril 2017.

• Dès le début des années 2000, la Chine, l’Inde, le Brésil étaient de gros consommateurs de béton et assuraient les affaires. Eric Olsen, alors directeur général adjoint aux opérations de Lafarge, expliquait: «Contrairement aux pays développés, les émergents ne sont pas arrivés à maturité. Nous y sommes plus présents dans le ciment, qui nécessite de lourds investissements, et donc des marges plus importantes» (Challenges). Le PDG, Bruno Lafont, rassure les actionnaires: «Aucun pays ne dépasse 5% de notre chiffre d’affaires.»

• Mais les risques se sont concentrés ces dernières années sur la région Afrique-Moyen-Orient, devenue le centre névralgique de Lafarge depuis l’acquisition fin 2007 de l’égyptien Orascom: 27% de son chiffre d’affaires et 37% de son résultat opérationnel.

Ce n’est donc pas un hasard si Lafarge a décidé en avril de fusionner avec le numéro deux mondial, le suisse Holcim. Une réponse parfaite à la sur-exposition du français à cette région en ébullition.

Virginie Rousseau, d’Oddo [société financière créée en 1849 et ayant le statut de banque depuis 2007], souligne: «Holcim et Lafarge ont un maillage géographique assez complémentaire dans les pays émergents. Leur fusion diversifie le risque: baisse du poids de l’Inde chez Holcim, de l’Afrique-Moyen-Orient chez Lafarge.» Une bonne affaire aussi du point de vue de la concurrence. «Cette union pourra leur éviter les condamnations pour entente illégale, à plusieurs centaines de millions d’euros, qu’ils ont connues en Inde, en Afrique du Sud et au Brésil», pointe Isabelle Chaboud, de l’Ecole de management de Grenoble.

• En Irak, Lafarge profite des prêts – à des conditions excellentes – de la Banque mondiale et de Proparco, l’Agence française du développement, pour «réhabiliter» la cimenterie de Karbala, à 100 kilomètres au sud-ouest de Bagdad.

En outre, Lafarge – et maintenant LafargeHolcim – ont développé des réseaux de relations avec des banques de divers pays pour organiser du «microcrédit» afin de construire des logements à «prix abordable» (sic): de la Serbie – avec l’aide de la Société Générale (française) – au Nigeria, où la rente pétrolière est captée par la kleptocratie. Lafarge profite de l’expérience acquise, après le tsunami indonésien de 2004, lors de la reconstruction de maisons bon marché pour «ses salariés», afin de développer ce programme. Il y a de l’avenir en Syrie, pour LafargeHolcim, même sans Olsen.

• Le 25 septembre 2014, la cimenterie kurde de Lafarge était incendiée par les djihadistes de Daech. Bruno Lafont a alors déclaré: «Nous avions évacué l’usine après avoir constaté que la sûreté de nos collaborateurs ne pouvait pas être assurée.» Pour ce qui est des locaux, pas de raison de les faire partir.

En novembre 2014, Alice Mérieux de Challenges établissait le constat suivant: «Aujourd’hui, c’est en Irak que les affaires patinent, ce qui explique largement la baisse de 2% des ventes du groupe au troisième trimestre 2014. La reprise des hostilités armées y a créé un grand trouble pour le bétonneur. Son usine, en terrain kurde, dans le Nord, envoie ses camions à travers les terres tenues aujourd’hui par Daech pour livrer en territoire chiite… Un observateur local témoigne: “Pendant une période, les camions ne circulaient plus.” La production y avait triplé depuis 2011, pour un investissement de plus de 300 millions d’euros. En Syrie [site de Jalabiya, dans le nord-est], c’était 600 millions.” Si les frontières changent, tous ces équipements implantés sur des nœuds stratégiques seraient mis à mal.» Mais personne n’était vraiment au courant d’une stratégie établie dans des dizaines de pays – «devant faire face à des troubles» – pour saisir des opportunités. Ni Assad ni Daech n’avaient connaissance de ces choix. Laisse béton!

• D’ailleurs, dès 2008, pour durcir ses défenses, Lafarge a fait appel à un service de sécurité, chapeauté par Jean-Claude Veillard, ex-capitaine de frégate ayant passé trente ans dans les commandos de marines. L’expérience des guerres (pour Lafarge) comme de la «protection civile» helvétique ainsi que de la construction du «réduit alpin» (des Alpes trouées comme un Emmental) assurent un avenir cimenté aux deux bétonneurs fusionnés.

• Pour rappel, les opérations héritées de Lafarge en Syrie (Lafarge Cement Syria – LCS) – cimenterie qui était entrée en exploitation en mai 2010 – «0nt accusé une perte durant la période en question (2013-2014) et représentaient moins de 1% des ventes du groupe», au moment où cette «unité a été évacuée» (L’Agefi, 25 avril 2017), par les personnes sélectionnées par les responsables du groupe. Ce qui ne fut pas le cas de Syriens laissés sur place et devant faire face à tous les risques, comme le confirmait sur France Culture – le 26 avril 2017, dans l’émission La Question du jour à 7h15 – Marie-Laure Guislain, responsable du contentieux au pôle Globalisation et Droits Humains de l’association Sherpa. Elle a d’ailleurs déposé une plainte contre la firme.

Avant le départ, comme l’indiquait le Financial Times du 19 mars 2017: «Firas Tlass, un homme d’affaires important qui travaillait pour le compte de Lafarge, a sans cesse arrangé des accords qui changeaient constamment avec une constellation de groupes militants», dont Daech (EI), organisation terroriste.

• Il faut rappeler que Beat Hesse – qui a repris la barre de LafargeHolcim, de manière transitoire, après le départ d’Eric Olsen (voir article ci-dessous) – «bénéficie de la confiance du premier actionnaire de LafargeHolcim, Thomas Schmidheiny (qui dispose d’une participation de 11,38%); devant le Groupe Bruxelles Lambert (groupe Pargesa, avec 9,43%) et Nassef Sawiris (4,77%)» (L’Agefi, 25 avril). Faut-il rappeler que Nassef Sawiris, frère cadet de Naguib et Samih, est considéré par le magazine Forbes comme l’homme le plus riche d’Egypte. Quant à Firas Tlass, c’était un proche d’Assad. Il lâcha Assad, en 2012, au moment où la défaite de ce dernier semblait de l’ordre du possible. Toutefois, ce genre de tycoon – avec son réseau familial présent dans toutes les sphères du pouvoir réel – sait placer ses billes et se mouvoir en cas de «retournement de conjoncture». La fusion entre Holcim (qui pilote l’ensemble) et Lafarge a été impulsée par le duo: Thomas Schmidheiny et Paul Desmarais, président du conseil d’administration de Pargesa Holding, dont le siège social est à Genève. (25-26 avril 2017)

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Suisse-France. LafargeHolcim: Eric Olsen les quitte

Les éventuelles transactions de Lafarge avec des groupes armés en Syrie auront finalement causé le départ de son patron. LafargeHolcim a annoncé lundi 24 avril 2017 la démission de son directeur général Eric Olsen. Le dirigeant, dont le départ interviendra le 15 juillet, s’est toutefois défendu d’avoir été «en aucune manière impliqué, ni même informé d’actes répréhensibles». «Ma décision est guidée par la conviction qu’elle contribuera à apaiser les forces tensions qui sont récemment apparues autour de la question de la Syrie», a indiqué Eric Olsen dans un communiqué.

Le Franco-Américain Eric Olsen s’était vu confier les rênes de l’entreprise lors de la fusion en juillet 2015 du français Lafarge avec le suisse Holcim. LafargeHolcim a précisé que la recherche d’un successeur à Eric Olsen serait lancée immédiatement et que Beat Hess [qui a construit sa carrière chez Brown Boveri à Baden; puis auprès d’ABB à Zurich, à la direction de Royal Dutch Shell jusqu’en 2011, il siège aussi, entre autres, au conseil d’administration de Nestlé, depuis 2008], président du conseil d’administration, superviserait la période de transition jusqu’à la nomination d’un nouveau directeur général.

Roland Köhler, actuellement membre du comité exécutif de LafargeHolcim [depuis 2010] chargé de l’Europe, de l’Australie, de la Nouvelle-Zélande ainsi que de l’activité de Trading, sera nommé «Chief Operating Officer».

Des mesures «inacceptables» en Syrie

Le groupe a fait savoir dans un autre communiqué que son conseil avait clos l’enquête interne, consécutive à des informations selon lesquelles le personnel de la société aurait été impliqué, au cours de 2013 et jusqu’à la fermeture de l’usine mise en cause en septembre 2014, dans des transactions avec des groupes armés et des tiers visés par des sanctions.

Il a confirmé «que certaines mesures prises en vue de permettre à l’usine syrienne de poursuivre un fonctionnement sûr étaient inacceptables et que des erreurs de jugement significatives, contrevenant au code de conduite alors en vigueur, avaient été commises».

«Les résultats de l’enquête confirment également que, bien que ces mesures aient été prises à l’initiative de la direction locale et régionale, certains membres de la direction du groupe ont eu connaissance de situations indiquant des violations du code de conduite des affaires de Lafarge», a ajouté le groupe.

Le groupe a également confirmé des mesures correctives annoncées début mars, notamment «l’adoption d’une procédure plus rigoureuse d’évaluation des tiers à haut risque, l’instauration d’un programme de dépistage des tiers à risques et d’un nouveau programme de contrôle autour des sanctions et des exportations». (A l’Encontre sur base d’agences de presse, 24 avril 2017)

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