France. «Passeur solidaire»: «On me reproche même d’avoir aidé un enfant soudanais de 8 ans à retrouver sa famille»

Par Emilien Urbach

Interdit de parler à la presse jusqu’à jeudi dernier, Laurent Caffier, «passeur solidaire» dans le nord de la France, attend son procès en correctionnelle pour aide au séjour irrégulier. Il ne désarme pas face aux pressions de la police et de l’extrême droite.

C’était le mois dernier. Sur le parking d’un supermarché, dans le centre-ville de Calais, il nous décrivait entre deux voitures les conditions de son interpellation par la police aux frontières (PAF), mais ne tenait pas à indiquer son identité. Gianni Cuba, pour ses amis des réseaux sociaux, Zorro de la jungle pour les policiers locaux, ce citoyen solidaire des réfugiés bloqués dans le nord de la France est enfin autorisé à parler à la presse à visage découvert. Jusqu’à la semaine dernière, son contrôle judiciaire le lui interdisait.

Laurent Caffier a reçu, jeudi 11 mai, un rapport d’enquête du juge d’instruction de Boulogne-sur-Mer précisant son «côté désintéressé» dans une affaire où il a aidé deux Iraniens à passer en Angleterre. Lavé des soupçons de «passeur» qui planaient sur lui, Laurent sera néanmoins jugé dans les prochains mois par le tribunal correctionnel, en compagnie de trois autres personnes, pour «aide à la circulation ou au séjour irrégulier en bande organisée». On lui reproche d’avoir stocké chez lui des barques permettant de faire traverser des exilés entre Boulogne et l’Angleterre. «S’ils veulent me condamner pour ça, qu’ils le fassent, j’assume complètement d’être venu en aide à ces exilés, commente Laurent. C’est vrai, j’ai hébergé des réfugiés et j’ai essayé d’en faire passer. On me reproche même d’avoir aidé un enfant soudanais de 8 ans à retrouver sa famille. Je l’ai trouvé en plein démantèlement du bidonville de Calais. Ses parents venaient de se faire embarquer par la PAF. Comment aurais-je pu faire autrement?»

Dovod et Moxtar: «ceux qui s’étaient cousu les lèvres»

Laurent a vu la police débarquer chez lui le 19 août dernier, au matin, un mois et demi après avoir essayé de faire passer deux Iraniens au Royaume-Uni. Dovod et Moxtar, ceux-là mêmes qui s’étaient cousu les lèvres pour protester contre les conditions indignes dans lesquelles on les laissait survivre dans la «jungle». Peu après cette action désespérée, un réseau mafieux leur avait fait miroiter un passage vers l’Angleterre avant de les embarquer vers Bilbao. L’occasion s’est transformée en cauchemar. Lorsque Laurent les récupère à Calais, en juin 2016, les deux Iraniens viennent juste d’échapper à leurs bourreaux ibériques et portent les marques de plusieurs actes de torture.

Laurent leur avait déjà porté secours dans la «jungle» [de Calais]. Lorsqu’ils reprennent contact avec lui, le père de famille décide de les héberger et d’essayer de leur faire franchir la Manche par ses propres moyens. Il stocke une barque derrière chez lui, récupère un moteur de 30 chevaux et organise leur traversée. Ils ont avec eux un téléphone portable et doivent appeler une fois arrivés ou en cas de problème. Mais leur barque est stoppée par les garde-côtes avant d’avoir fini de parcourir les 35 kilomètres qui les séparaient des côtes britanniques. La police cherche les instigateurs de l’opération et remonte, sur dénonciation, jusqu’à Laurent.

«Je me suis toujours méfié des bénévoles qui passent leur temps à se prendre en photo avec les réfugiés comme s’ils étaient au zoo», pointe cet agent d’entretien industriel âgé de 42 ans. Aujourd’hui, Laurent reçoit des marques de soutien venant surtout du sud-est de la France. «J’ai toujours agi seul, explique-t-il. Pierre-Alain Mannoni, Cédric Herrou, les passeurs citoyens de la vallée de la Roya… ce sont eux, en ce moment, qui m’expriment leur solidarité et diffusent mon histoire.» [voir sur ce site les articles publiés sur les «passeurs» de la Roya, entre autres en date du 9 février 2017]

«Tu sais? Un accident est vite arrivé…»

Laurent continue d’agir malgré l’isolement, les pressions récurrentes de l’extrême droite et de la police. Lors de son arrestation, menotté à un radiateur dans les locaux de la PAF, Laurent s’est retrouvé face à un agent: «Tu aurais dû te faire sodomiser par tes bougnoules, lui aurait lâché le policier. Tu as des enfants? Eux aussi auraient dû se faire sodomiser quand tu as hébergé tes bougnoules.» Puis, jouant avec son arme: «Tu sais? Un accident est vite arrivé.» Mais les menaces sont inefficaces sur cet ancien militaire, engagé pendant la guerre en ex-Yougoslavie, qui a commencé à venir en aide aux réfugiés arrivés des Balkans à la fin des années 1990. La juge en charge de son affaire lui a promis d’enquêter sur ces pratiques policières, qui ne seraient pas rares. «Les autorités devraient surtout s’occuper de mettre en place de vrais centres d’hébergement dans lesquels les exilés pourraient légalement demander l’asile en Angleterre et où on leur ferait des propositions de réorientation en cas de refus», conclut Laurent, bien décidé à continuer d’agir pour la solidarité. (Article publié dans la rubrique «Société» de L’Humanité, en date du 16 janvier 2017)

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