France. L’échéance du 12 septembre

Par la rédaction A l’Encontre

Le site d’information Atlantico et RMC (Radio Monte-Carlo) ont commandé un sondage sur la réforme du Code du travail par ordonnances à l’institut Harris Interactive. Publié le 1er septembre, il a été réalisé après la publication des ordonnances. Le résultat est le suivant: 58% des Français et Françaises sont opposés aux ordonnances sur la réforme du travail. La mesure qui recueille le plus d’hostilité est l’encadrement des indemnités prud’homales (59% d’avis défavorables).

L’objectif d’une mobilisation unitaire la plus large le 12 septembre est considérable. Le ralliement de secteurs de Force ouvrière – à l’opposé de son secrétaire général Jean-Claude Mailly – amoindrit la «réussite» du gouvernement Macron-Philippe-Pénicaud qui visait à diviser le camp syndical, en cooptant la CFDT «représentée» par Laurent Berger et en collaborant avec les sommets de Force Ouvrière dans un climat favorable de «paix du travail», diraient les Suisses. Or, «dans le Loiret, mais aussi ailleurs, “Ça grogne en interne. Les syndiqués nous interpellent”, constate Nadine Hourmant, secrétaire générale de l’Union FO du Finistère» (Libération, 1er septembre 2017). Suite à la déclaration de Mailly qui a vanté les «trois mois de discussions intenses», Jean Hédou, dirigeant de Fédération FO de l’Equipement, de l’Environnement, des Transports et des Services, riposte de la sorte: «Mais c’est comme si on nous avait annoncé qu’on allait nous couper la jambe et qu’il fallait se réjouir de ne perdre que le pied». Vendredi, son bureau s’est prononcé à 90% pour rejoindre la CGT, Solidaires et la FSU dans les mobilisations du 12 septembre 2017. Le secrétaire général, Patrice Clos, des FO Transports et Logistique affirme: «Les ordonnances, c’est tout bon pour le patronat et pas grand-chose pour les salariés. Nos adhérents sont vent debout.» Faut-il rappeler que Jean-Claude Mailly a collaboré avec Muriel Pénicaud au sein du cabinet de Martine Aubry, alors ministre du Travail de mai 1991 à mars 1993. Il est vrai que l’équipe de la future maire de Lille a fait carrière: Guillaume Pépy à la SNCF; Jean-Claude Clamadieu à la tête du groupe chimique Sovay; Gilles Gateau DRH d’Air France, ou Jean-Christophe Sciberras chez Solvay. Quant à Mireille Elbaum, elle est membre du Haut Conseil du financement de la protection sociale. Pénicaud n’a pas échappé à l’entrée dans cet ascenseur en étant DRH chez Dassault Systèmes et surtout chez Danone où elle fit ses classes avec Antoine Ribou, le patron et actionnaire clé de Danone.

Le 12 septembre va vérifier l’ampleur du front uni et l’attraction de l’appel de réseaux syndicaux, sociaux, politiques. Le 3 septembre 2017, dans le quotidien Le Parisien, la ministre du Travail Muriel Pénicaud est revenue sur la contre-réforme du Code du travail présentée le 31 août 2017 qui passera par ordonnances le 22 septembre. Elle a confirmé que le gouvernement «ne céderait pas face à la rue». Elle a répété: «Cette Loi Travail a été annoncée de manière très précise durant la campagne présidentielle. Je pense sincèrement que ce serait trahir nos concitoyens de ne pas aller au bout de ce que l’on a dit.» Or, le gouvernement Macron a été élu par 12,5% des électeurs et électrices inscrits sur les listes électorales. Il est vrai que Muriel Pénicaud travaille sur les pourcentages. Pour preuve, elle déclarait, le 31 août 2017: «Le télétravail est une aspiration de 61% des salariés mais c’est une réalité pour 17% seulement. Or, le télétravail est important pour l’équilibre entre la vie personnelle et la vie professionnelle. C’est aussi essentiel pour le développement des zones rurales. Une série de mesures va permettre de développer ce mode du travail.» Et ses vues ne se limitent pas à l’organisation «du marché travail» et du territoire (le développement des zones rurales et le télétravail), mais aussi à la «pénibilité du travail». En effet, la loi d’habilitation (loi dans laquelle le Parlement autorise le gouvernement à prendre par ordonnances des mesures qui relèvent du domaine de la loi) avait prévu de réformer le compte pénibilité. Les ordonnances vont dans cette direction. D’après Muriel Pénicaud: «Quatre critères étaient inapplicables. Donc l’ordonnance 5 va retirer l’obligation de déclaration. Mais les salariés resteront protégés. Certains salariés pourront partir à la retraite dès l’année prochaine.» Ce départ, sans compte de pénibilité, était une revendication importante pour le Medef.

Nous publions ci-dessous huit prises de position sur les ordonnances du gouvernement et qui indiquent le potentiel d’une journée du 12 septembre traduisant la «colère sociale» que toute la presse européenne voudrait voir s’éteindre en France, pour mieux guillotiner «l’exception française». (Charles-André Udry)

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Catherine Perret, Secrétaire confédérale de la CGT

«En matière de négociation collective, il n’y a que des éléments négatifs dans cette loi. Pour les entreprises de moins de 20 salariés qui seront privées de représentant syndical, je ne vois pas en quoi elle va améliorer le dialogue social. Un patron pourra désormais négocier avec un employé qui ne sera plus mandaté par un syndicat, qui ne sera plus un élu protégé, il sera donc plus facile pour lui de faire pression sur ce salarié, par exemple pour faire passer du chantage à l’emploi. C’est une ligne rouge unanime pour l’ensemble des organisations syndicales car c’est un moyen de les affaiblir. Pour favoriser le dialogue dans les petites entreprises, il aurait été au contraire judicieux de renforcer dans les TPE (Toute Petite Entreprise) les commissions paritaires nées de la loi Rebsamen. Il sera également possible de moduler la rémunération par accord d’entreprise et non plus au niveau de la branche. A Matignon, j’étais en état de choc quand Muriel Pénicaud [ministre du Travail] nous a dit que, dans les start-up, les femmes pourraient par exemple échanger leur prime d’ancienneté contre une prime de garde d’enfant: c’est de nature à créer de mauvaises conditions de travail et à diviser les salarié·e·s entre eux. Ce qui se passe avec la fusion des instances représentatives du personnel au sein d’un comité social et économique est aussi très grave. Le CHSCT [Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT)] sera remplacé dans les entreprises de plus de 300 salariés par une commission santé, sécurité et conditions (CSE) de travail qui ne pourra pas avoir recours à une expertise indépendante et ne pourra plus ester en justice. Nous sommes en train de revenir avant les lois de 1936, au dialogue social du XIXe siècle.»

Cécile Gondard-Lalanne, Codéléguée générale de Solidaires

«Le gouvernement vante le renforcement du dialogue social dans l’entreprise, mais il va falloir nous expliquer comment les salariés peuvent discuter “d’égal à égal” avec un patron qui a le pouvoir de les licencier sans avoir de comptes à rendre et en prenant juste soin d’évaluer ce que ça va lui coûter aux prud’hommes. Il est clair que la question de la négation du lien de subordination entre le patron et le salarié est centrale dans cette réforme. Mais cette nouvelle attaque n’est pas isolée. Elle participe d’un processus global de déréglementation du droit du travail. Tout se tient. Faciliter les licenciements économiques en mettant en place la rupture conventionnelle collective, et les licenciements abusifs en plafonnant les indemnités prud’homales, va de pair avec l’affaiblissement des outils que les salariés se sont construits collectivement pour se défendre: les outils syndicaux. Finalement, cette réforme, avec la fusion des instances représentatives du personnel, la suppression des délégués du personnel et des CHSCT, vise à institutionnaliser les relations entre le patron et les syndicats, à les cantonner aux questions économiques de l’entreprise pour les éloigner du travail de terrain. Or, à chaque fois que les salarié·e·s ont obtenu de véritables droits, c’est grâce à la construction d’un rapport de forces et à la mobilisation à travers leurs syndicats. Nous sommes face à une pure attaque capitaliste qui consiste à nier l’existence des rapports de classes au sein même de l’entreprise. Pourtant, ils existent!»

Bernadette Groison, Secrétaire générale de la FSU

«On ne peut que regretter le recours aux ordonnances sur un sujet aussi essentiel que celui du travail. Le gouvernement, en choisissant d’aller vite, empêche tout un chacun de s’approprier les enjeux de cette réforme du Code du travail. Il exclut l’opinion publique d’un débat pourtant nécessaire. Pour ce qui concerne la FSU (Fédération syndicale unitaire, principal syndicat de l’enseignement), nous partageons sans réserve les préoccupations des salariés du privé, concernés en premier lieu par la nouvelle loi travail. La place des accords d’entreprise et les conditions de licenciement nous inquiètent particulièrement, car nous avons conscience que ce qui se passe dans le privé peut être transposé dans le public. Nous serons notamment très attentifs au sort réservé aux CHSCT dans la fonction publique. Pour mémoire, le gouvernement a déjà annoncé le gel des salaires et la réintroduction d’une journée de carence en cas d’arrêt maladie, ainsi que la suppression de 60’000 emplois et des baisses considérables de dotations aux collectivités territoriales. C’est une logique d’asphyxie des services publics avec un risque à terme d’aggraver la lassitude des agents publics et leur repli sur soi. Nous discutons d’une journée nationale d’action de la fonction publique en octobre avec l’ensemble des fédérations de fonctionnaires. Ce qui n’empêche pas, même si nous ne lançons pas d’appel national à manifester, que nos militants seront présents et soutiendront les mobilisations locales des salariés du privé le 12 septembre.»

Lilâ Le Bas, Présidente de l’Unef

«Cette réforme du Code du travail va aggraver la précarité des jeunes durant leur période d’insertion professionnelle. La perspective d’accéder à un CDI (Contrat à durée indéterminé) s’éloignera encore un peu plus. Actuellement, la moyenne d’âge d’accès à ce type de contrat est de 27 ans. Entre-temps, nous cumulons les stages, les CDD et contrats civiques. Des années de précarité. A l’évidence, les jeunes qui arrivent sur le marché du travail vont être les premiers à subir les conséquences du renouvellement des CDD (Contrat à durée déterminée) par branche et risquent d’être particulièrement concernés par les CDI de projet étendus (contrat «indéterminé» qui prend fin une fois le projet – la tâche – terminé) à tous les domaines. Nous ne voulons pas être une génération jetable. Et nous en prenons le chemin dès l’entrée à l’université. Jusqu’alors nous avions au moins la garantie de pouvoir poursuivre des études supérieures. Ce n’est plus le cas. En clair, pour les jeunes, tout devient aléatoire: l’entrée à l’université, le travail, la vie de tous les jours. Avec la nouvelle loi travail, nos diplômes ne nous protégeront même plus du chômage. Notre crainte est d’être soumis aux CDD à perpétuité, donc aux difficultés d’accéder à un logement, de concrétiser un projet de vie, de contracter un prêt. À vrai dire, les jeunes en ont assez d’être considérés comme des variables d’ajustement et les étudiants d’être confrontés à de véritables parcours du combattant. C’est pourquoi nous appelons à nous mobiliser le 12 septembre, et avons repris les rencontres avec l’ensemble des organisations de jeunesse comme nous le faisions contre la loi El Khomri.»

François Hommeril, Président de la CFE-CGC (Confédération française de l’encadrement – Confédération générale des cadres)

«Le CDI de projet va entraîner une fragilisation supplémentaire pour les cadres comme pour tout le monde. On ne va pas dans le sens d’une plus grande cohésion sociale avec cette loi, mais d’une individualisation. On n’embauche plus quelqu’un pour travailler dans un collectif, mais pour le reléguer dans la précarité. Car, contrairement à ce que dit la ministre du Travail, les bénéficiaires de ces CDI n’auront pas mieux accès aux logements et aux prêts, les banques adapteront leurs critères à ce nouveau contrat, c’est donc de l’enfarinage! Nous sommes dans une période de basculement de notre société qui évacue le social de son projet économique et vise en premier les plus faibles. On cherche toujours les droits nouveaux pour les salariés dans ces ordonnances. L’introduction d’un formulaire Cerfa dans la procédure de licenciement permettra en revanche à l’employeur de circonscrire un futur litige avec son salarié. C’est également scandaleux de réduire de deux à un an le délai de recours devant les prud’hommes. Le véhicule conduit par Edouard Philippe (Premier ministre) et Muriel Pénicaud a ramassé tout le bric-à-brac néolibéral sur la route. Cette loi enterre nos espoirs de réformer la société et de faire vivre des outils opérationnels. Même si nous avons été bien reçus lors des réunions bilatérales, ce qui ressort aujourd’hui est une attaque frontale contre les syndicats et une trahison. Je n’exclus rien pour une mobilisation, même si nous ne sommes pas trop coutumiers des manifestations, mais il faudrait déjà que les organisations aient fait un effort commun d’analyse et de rassemblement. De notre côté, nous allons continuer à faire de la pédagogie.»

Gérard Filoche, Ex-inspecteur du travail

«Le Code du travail a été constitué depuis 1906 pour garantir le respect de la dignité des femmes et des hommes au travail et empêcher l’employeur de faire ce qu’il veut. Il a été imaginé pour que les entreprises soient subordonnées aux humains et non l’inverse. C’est pour cela que le droit du travail est conçu comme universel: ce n’est pas un droit des entreprises, c’est un droit des humains dans les entreprises. Il s’apparente en cela à la Déclaration universelle des droits de l’homme. Si le droit du travail est international et qu’il existe une Organisation internationale du travail, c’est bien pour que le droit du travail ne soit pas traité boutique par boutique ni entreprise par entreprise, mais du point de vue du respect de l’humain. Or tout ce qui est fait depuis la loi El Khomri va à l’inverse de cette conception. Avec les ordonnances, c’est le retour pour les salariés à une condition de subordination sans contrepartie ni possibilité de faire valoir leurs droits. Ce que le gouvernement propose, à part le Medef, aucune force sociale ne le demandait, ni même l’Europe, puisque les recommandations de la Commission contiennent moins de demandes que ce que contiennent les ordonnances. Au final, le modèle allemand sans cesse évoqué est plus protecteur: le salarié allemand sera mieux protégé du licenciement, l’intérim est interdit dans le bâtiment en Allemagne, il y a des délégués à partir de cinq salariés… Macron et les siens sont donc parfaitement responsables de ce qu’ils font.»

Judith Krivine, Syndicat des avocats de France

«Cette réforme, non seulement retire des droits aux salariés, mais les prive aussi dans de nombreux cas de la possibilité d’avoir recours utilement à un juge, collectivement et individuellement. Collectivement d’abord: les ordonnances vont réduire de facto les moyens financiers des représentants du personnel, baisser le nombre d’élus et donc d’heures de délégation, limiter leur accès aux experts et aux avocats, donc leur accès aussi à l’information, élément indispensable à un dialogue social loyal. Individuellement ensuite, d’une part avec la barémisation des indemnités, mais également, par exemple pour le licenciement économique, avec les nouvelles règles sur l’appréciation du motif limitée à la France, l’allégement de l’obligation de reclassement, etc. Sans compter que les possibilités de contournement des plans de licenciement sont renforcées par la facilitation des plans de départs volontaires et par l’abolition de la primauté du contrat de travail sur l’accord collectif. Et les contestations dans ces deux cas seront presque impossibles. Or, lorsqu’on a plus de droits ni d’accès au juge, on tente de se défendre autrement. Collectivement, cela pourrait se traduire par une multiplication des grèves et autres mouvements sociaux. Individuellement, si les conditions de travail dégradées ont déjà multiplié les cas de burn-out ou les suicides, demain, comme l’expliquent certains experts, la violence envers soi-même pourrait se transformer en une violence envers les autres. Ainsi, puisque l’idée qui domine est en permanence celle de favoriser à tout prix l’entreprise en déséquilibrant le rapport de forces juridique, le rapport de forces se construira ailleurs, ce qui risque de mener à une escalade de la violence, dans l’entreprise et dans la société.»

Pierre Dharréville, Député PCF-Front de gauche

«Avec ces ordonnances, le Code du travail deviendrait une passoire. Au lieu de donner force à la loi, on l’affaiblit en instaurant un régime où la dérogation devient la règle. C’est l’accord collectif d’entreprise qui aurait la primauté, sauf dans quelques domaines d’exception réservés à la branche et pour ceux déclarés d’ordre public dans la loi. Et encore: une porte est ouverte si sont apportées “des garanties au moins équivalentes”. De l’autre côté, l’accord d’entreprise prévaudra également sur le contrat de travail. C’est donc à l’échelle de l’entreprise que ces ordonnances programment principalement l’écriture de la norme sociale. C’est-à-dire qu’elles laissent les rapports de forces s’exercer de manière différenciée, ouvrant la voie à l’explosion des inégalités entre salariés selon l’endroit où ils travaillent et au développement d’un dumping social débridé. Il s’agit d’une mise en cause de l’essence de la loi et de sa force protectrice. Et ces ordonnances sont prévues pour agir comme une fonction reset, permettant de revenir sur de nombreuses conquêtes dans les entreprises et dans les branches. Le dialogue social tant vanté se ferait plus encore à l’avantage de l’employeur, supposé être par nature perclus de bonnes intentions. Plus que jamais, cela nous rappelle à l’exigence d’unité pour ne pas laisser le Medef écrire ses lois comme bon lui semble en jouant des divisions du monde du travail. Il parle du droit comme d’une contrainte: le droit, c’est la liberté. Il n’y a pas de liberté sans droit, sauf pour le renard dans le poulailler!» (Prises de position dans les colonnes de L’Humanité du 5 septembre 2017)

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