France. Le FN et des jeunes à Marseille et à Lens

Marseille, à droite, David Duran, secrétaire du Front nationale jeunesse (FNJ), Bouches-du-Rhône
Marseille, à droite, David Duran, secrétaire du Front national jeunesse (FNJ), Bouches-du-Rhône

Par Stéphanie Maurice
et Stéphanie Harounyan

Sur le poste de sa voiture, Pierre adore passer le Chant des partisans. Un morceau découvert à l’enterrement de son arrière-grand-père communiste. Pierre avait 17 ans quand il est mort. Le Marseillais en a 25 aujourd’hui et, comme il le fait depuis ses 18 ans, il a voté Front national dimanche. «J’en ai ras le bol de la droite et de la gauche! A chaque hausse des scores du FN, ils constatent notre colère et ne font rien, plaide-t-il. Leur programme, c’est juste être contre le FN et rien ne se passe. Le FN, au moins, on ne les a jamais essayés. Sur la sécurité, ils proposent des choses.» La sécurité, c’est ce qui a poussé au Front le technico-commercial. Un tabassage à 18 ans par des jeunes en scooter le laisse à terre. «Mes agresseurs ont été libérés parce qu’ils étaient mineurs. On ne peut plus compter sur la justice… J’ai été confronté six fois à la violence. Et à chaque fois, c’était des personnes d’origine maghrébine. Ça devient compliqué de ne pas mettre tout le monde dans le même sac…»

«Un vote d’adhésion»

Pourtant, Pierre se défend d’être raciste. «C’est vieillot de dire ça ! Je veux bien entendre qu’à l’époque de Jean-Marie Le Pen, c’était peut-être un parti fasciste, mais dès que Marine Le Pen a été présidente, on a senti une différence. Ce sont des préjugés.» Si beaucoup de ses copains et collègues préfèrent cacher leur vote, Pierre, lui, n’a pas honte. Pas même devant son grand-père, toujours là, lui aussi coco, qui ne lui reproche pas ses sympathies. «Ça ne le choque pas par rapport à ce que vit notre génération. Le communisme, c’est le monde des Bisounours, ça ne marche pas, il y a toujours des riches et des pauvres. Aujourd’hui, c’est d’être FN qui est révolutionnaire, on veut changer le système! Si la gauche et la droite avaient fait leur boulot, le Front national n’existerait pas. Vous verrez qu’en 2017, tous les journaux titreront encore « Le choc » quand Marine Le Pen passera. Mais moi, quand je me prends une baffe, j’agis!»

Laurent, 28 ans, n’a jamais pris de baffe, mais considère quand même qu’il faut un Etat fort et plus de policiers. «Comme j’ai toujours placé la sécurité avant tout, je vote FN. Et aussi parce que les autres n’ont rien fait. Aujourd’hui, c’est un vote d’adhésion alors qu’au départ, c’était plutôt un vote antisystème.» La rébellion le titille encore quand, sur les réseaux sociaux, il lit les commentaires de ses copains de gauche. «Même si parfois, il y a de bons candidats ailleurs, comme ils font front contre le FN, ça me pousse vers eux. » Les accusations de racisme, il ne les comprend pas. «Je revendique cet aspect multiculturel de Marseille. J’ai toujours dit que le stade Vélodrome était le symbole de ça. Mais j’ai pas l’impression que le multiculturalisme, ça fonctionne ailleurs.» Hubert est d’accord. «C’est pas que je ne veuille pas accueillir les gens chez moi, c’est que je ne peux pas», dit-il.

Son engagement pour le FN s’est construit pièce par pièce, par «une suite de petits événements». Il a 7 ans quand Jean-Marie Le Pen accède au second tour de la présidentielle. «Cette mise au ban, ça m’a marqué.» Il a 12 ans en 2007 quand Sarkozy, «qui (l)’impressionnait beaucoup», arrive au pouvoir. Cinq ans plus tard, il déchante. «Vu son bilan… Et puis il était devenu vieux. Avec Marine Le Pen, on voyait la jeunesse remise à l’honneur.» Hubert a 20 ans aujourd’hui, l’âge où en 1989, la jeunesse, avec les Béruriers noirs, emmerdait le Front national. «La jeunesse des Béruriers [groupe phare de la scène alternative des années 1980], elle a morflé, tacle-t-il. Essayez de vivre avec un smic en 2015 et on verra si vous continuez à combattre le FN ! On ne choisit pas son époque. J’ai 20 ans en 2015, malheureusement. Moi, ça ne me fait pas rêver du tout. »

Banalisation

A l’autre bout de la France, à Lens (Pas-de-Calais) voter FN reste moins avouable chez les jeunes. Pas facile de trouver des moins de 25 ans disposés à dire qu’ils ont glissé un bulletin Marine le Pen dans les urnes au premier tour des régionales. Pourtant dans la ville de l’ancien bassin minier, bastion socialiste depuis 1900, elle a recueilli 44,63 % des suffrages contre 24,74 % à Pierre de Saintignon, le candidat socialiste, qui a ses listes. Mais à midi, devant la Faculté des sciences Jean-Perrin, logée dans les anciens grands bureaux des houillères, c’est l’esquive. Tous ou presque refusent de dire qui ils choisiront au second tour, entre Xavier Bertrand (Les Républicains) et Marine Le Pen. «C’est confidentiel» , «ça ne se dit pas», rétorquent-ils . Les rares qui répondent disent qu’ils vont voter «blanc» ou «la droite» (Xavier Bertrand).

Certains se défaussent en disant qu’ils viennent d’Arras. D’autres encore sont carrément à l’ouest, affirmant vouloir voter PS dimanche prochain. Ses camarades se moquent : «Tu peux plus, ils se sont désistés.» A l’IUT (Institut universitaire de technologie), juste à côté du Louvre-Lens, Isabelle [1], qui prévoit un bulletin Les Républicains, assure pourtant : «On en parle entre nous, et c’est assez impressionnant le nombre de ceux qui votent FN.» Pour le second tour, Baptiste hésite en banalisant totalement le vote Marine Le Pen : «J’attends de voir ce qui va se passer dans les prochains jours, je voterai pour celui qui aura des propositions sur l’emploi.»

«Identité nationale»

Julien [1], 20 ans, belle gueule à la mèche noire, est le seul à assumer tout de go son vote FN. «Le Nord-Pas-de-Calais-Picardie, c’est la troisième région de France : si le FN passe, cela aura un fort impact.» Jusqu’ici il n’a voté qu’à deux reprises : pour les européennes et les départementales, à chaque fois pour un candidat de droite. Pour lui, seule Marine Le Pen est crédible sur «l’identité nationale», la notion qui lui importe le plus. «On a vraiment perdu la fierté d’être français avec les gouvernements précédents.» Mais il précise qu’il ne «partage pas les valeurs du FN, en particulier sur le racisme». Il voudrait retrouver le temps où «la France était au top de l’Europe» et pour cela il «fait confiance» à Marine Le Pen, «pour l’instant». Plus loin, près de la gare de Lens, un groupe de lycéens attend le bus en se chamaillant. Un seul a 18 ans, et ira voter. Pour qui? «Je sais pas encore.» Une fille le taquine: «Tu vas voter pour Marine Le Pen, dis-le!» [2] Il s’en défend. Le tabou tient encore, dans la jeunesse. (Article publié dans Libération du 10 décembre 2015)

[1] Les prénoms ont été modifiés

[2] Un tiers des jeunes ont voté et sur ce tiers un tiers a voté FN, selon des estimations assez robustes. (Réd. A l’Encontre)

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Stéphanie Maurice (Lens), Stéphanie Harounyan (Marseille)

1 Commentaire

  1. Au lendemain du 2nd tour des régionales 2015, les ténors de l’équipe Valls et les bénéficiaires LR des reports de voix socialistes jurent de faire mieux, ensemble, pour … battre Marine Le Pen au 2nd tour des présidentielles 2017. Pour poursuivre ce qu’ils font. Contre ces millions qui donnent leurs voix au FN dans l’espoir qu’avec lui leur situation s’améliore, avec l’espoir que l’identité française qu’il leur reconnait restaure leurs identités bafouées. Ringards, ces jeunes à qui Stéphanie Maurice et Stéphanie Harounyan donnent la parole? Dans les petites villes ouvrières où j’habite le FN est le 1er au second tour, ou le second d’un cheveu. C’est à la reconquête contre ce désastre qu’il faut travailler.

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