Chili. «Pourquoi faudrait-il un organe qui contrôle ce que discute la citoyenneté?» A propos du «processus constituant»

Présentation, le 3 décembre 2015, du Conseil citoyen des observateurs par la présidente Michelle Bachelet
Présentation, le 3 décembre 2015, du Conseil citoyen des observateurs par la présidente Michelle Bachelet

Par Meritxell Freixas

Sous peu, débutera officiellement la phase d’éducation civique et constitutionnelle qui conduira au processus participatif des «Dialogues citoyens» à partir duquel devra être établi le document de base pour créer un projet de nouvelle Constitution.

Selon la présidente Michelle Bachelet [1er mandat de mars 2006 à mars 2010, 2e mandat initié en mars 2014], dans des explications faites en septembre 2015, ces débats seront supervisés par un Conseil citoyen d’observateurs, dont les membres viennent d’être dévoilés [1].

Ce groupe hétérogène de personnalités si diverses, regroupant des entrepreneurs ou des musiciens en passant par des avocats et des footballeurs, qui représente-t-il? Quelles seront ses fonctions? Comment ses membres vont-ils travailler?

Ces questions essentielles ont été posées publiquement ces derniers jours. Néanmoins, il semble qu’elles n’aient pas encore reçu de réponse. Y compris les membres de ce Conseil ignorent en quoi consistera leur rôle pendant la première phase du plan annoncé qui, pourtant, est censé réaliser une des grandes promesses de la campagne de la présidente Bachelet.

Ruth Olate Moreno, présidente de la Fédération nationale des syndicats de travailleuses domestiques (Fesintrapac) et une des participantes à cet organe, nous a indiqué: «On ne sait encore rien de clair sur notre fonction. On est peu à peu en train de déterminer les dates et les règles de fonctionnement.» Un autre des membres, l’entrepreneur Roberto Fantuzzi, président de l’Association d’exportateurs de biens industriels et de services, a seulement pu préciser que l’organe avait la volonté d’être un «facilitateur» et qu’il était destiné à garantir la «transparence».

Des questions clés comme les thèmes qui seront discutés ou les formes et modalités de participation continuent à rester dans le flou, comme nous l’a indiqué Sergio Grez, historien et membre du Forum pour une Assemblée constituante: «On a l’impression qu’on a réfléchi en vue d’opérer en fonction d’un plan que leur sera fourni par un chef d’orchestre.»

Qui représentent-ils?

Dans le glossaire de 8 concepts du processus pour la Nouvelle Constitution exposé sur le site du gouvernement on peut lire: «[Le Conseil] sera formé par des représentants de la société civile, nommés par la présidente Bachelet et sa mission sera de veiller à ce que les Dialogues citoyens se déroulent de manière libre, transparente et sans pressions.»

Néanmoins, d’après Patricio Zapata, président du nouvel organe et membre de la Démocratie chrétienne: «Nous, les membres de cette commission, ne constituons pas une entité représentative de la société chilienne, parce que cette représentation est assurée par le Congrès national, les maires et les organisations sociales.»

Lors de sa réunion hier avec Marco Antonio Nuñez [du PPD: Parti pour la démocratie], président de la Chambre des députés, Patricio Zapata a défini sa tâche comme étant celle d’être «le garant de ce processus participatif (…)» en tant «qu’un élément de plus», aux côtés de la presse, de la Cour des comptes, des tribunaux et du Congrès.

Les contradictions dans les discours officiels, la désinformation servie aux citoyens et l’ignorance des acteurs impliqués jettent – une fois de plus – des doutes sur la rigueur et la crédibilité d’un processus qui a été qualifié par la présidente comme étant «libre, transparent, sans distorsions ni pressions d’aucune sorte». Mais quelle peut être la transparence si on n’a pas expliqué au départ, par exemple, comment ont été choisis les observateurs? Quels critères ont été utilisés? Qu’y a-t-il derrière chacune des personnes désignées?

D’après l’historien Sergio Grez, ce Conseil «n’est pas contraignant [de fait, il est vaguement consultatif] et émane non pas de la souveraineté populaire exprimée dans les élections, mais d’une nomination pistonnée de la part de l’Exécutif, des cercles les plus proches de la présidente». Sergio Grez nous signale que le groupe élu «n’est pas représentatif de la société civile, et ce pour différentes raisons: ce ne sont que quinze personnes, en outre les femmes ne sont quasiment pas représentées – il n’y en a que trois – ni les fonctionnaires, les travailleurs, les étudiants, les mouvements régionalistes, les paysans, les pêcheurs artisanaux, etc.». L’expert [S. Grez anime des ateliers pour une véritable Assemblée constituante] a mis en évidence l’absence des mouvements sociaux «les plus dynamiques de ces dernières années, ceux qui ont commencé à changer la physionomie politique du pays et qui ont impulsé un nécessaire changement constitutionnel au même titre qu’une transformation du modèle économique et sociétal».

Dans le même sens, Grez a souligné: «On n’a pas ajouté un seul représentant des mouvements en faveur de l’Assemblée Constituante qui se sont développés ces dernières années.» Il considère que cela fait partie de la stratégie de la proposition présidentielle: «nous savons bien que cela ne va pas dans le sens d’impulser un processus constituant réellement démocratique et représentatif». Il s’est dit «préoccupé et mécontent» de ce que la «droite et le grand patronat sont surreprésentés dans le Conseil».

Selon l’historien, cette commission «s’inscrit dans une parfaite continuité de ce qu’a été la tradition de jeux de quotas entre les forces du duopole politique [la Concertation pour la démocratie et l’Alliance pour le Chili] pour donner l’impression d’une supposée représentativité sociale et politique».

Grez pose des questions: «Pourquoi devrait-il exister un organe qui n’est pas créé démocratiquement et qui contrôle ce que discutent les citoyens? Pourquoi ne laisse-t-on pas les citoyens et les citoyennes décider par eux-mêmes à travers leurs organisations sociales quels thèmes ils souhaitent discuter? (…) Serait-ce parce qu’on craint que la démocratie ne s’exerce pleinement? Ou parce que l’on considère les peuples qui vivent dans la République du Chili comme étant des mineurs du point de vue politique?»

La désignation du Conseil d’Observateurs, cette semaine, a permis de saisir la manière dont se met en place ce «Processus constituant». Cela semble indiquer que «les garanties de transparence et d’équité» ont été les premières à passer à la trappe. Tout indique que les options réellement démocratiques et transformatrices propres à une Assemblée constituante n’auront pas un réel espace dans ce processus.

Néanmoins, le défi de la nouvelle Charte fondamentale est trop important et transcendant pour abandonner la partie avant même de l’avoir commencée. La seule option est donc de chercher les brèches – il y aura deux consultations électorales en cours de route – et d’exiger des garanties démocratiques, participatives et surtout réelles. Il serait irresponsable de ne pas le faire. (Article publié dans El Ciudadano du 6 décembre 2015. Traduction A l’Encontre)

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[1] Les membres de Conseil citoyen d’observateurs sont les suivants: Benito Baranda Ferrán (psychologue, spécialiste des problèmes de la famille, conseiller de la présidence); Jean Beausejour Coliqueo (footballeur, défendant «l’inclusion du peuple Mapuche»); Patricio Fernández Chadwick (journaliste de renom); Roberto Fantuzzi Hernández (président de l’Association des exportateurs); José Miguel García Echavarri (entrepreneur dans le secteur de la construction); Gastón Gómez Bernales (juriste, constitutionnaliste, membre du Conseil national de la TV); Hernán Larraín Matte (avocat, membre du Programme législatif de la Fondation Jaime Guzman); Salvador Millaleo Hernández (avocat, professeur à la faculté de droit de l’Université du Chili); Ruth Olate Moreno (Présidente de la Fédération nationale des syndicats de travailleuses domestiques) ; Juanita Parra Correa (musicienne, engagée en faveur de la défense des migrant·e·s et des luttes contre les discriminations); Cecilia Rovaretti (journaliste reconnue) ; Lucas Sierra Iribarren (Avocat, sous-directeur du Centre d’études publiques (CEP) et éditeur de l’ouvrage «Dialogues constitutionnels» publié par la CEP); Arturo Fermandois, (constitutionnaliste de la Pontifica Universidad Catolica opposé à la proposition de M. Bachelet d’Assemblée constituante); Francisco Fernández (ex-membre du Tribunal constitutionnel et directeur de l’Agence nationale des consommateurs). (Rédaction A l’Encontre)

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