Par correspondant·e·s à Alexandrie
et au Caire
Une participation de 28% comparable à celle du temps de Moubarak témoigne du désintérêt de la population pour des élections. Rien n’y a fait, ni les colis de provisions ni les billets distribués par les candidats. Ce sont les gouvernorats les plus ruraux qui ont voté alors que les jeunes (60% des électeurs), eux, se sont abstenus massivement: tous les acquis de la révolution leur ont été repris, toute activité politique leur est interdite et aucun candidat ne les représente. Conclusion: la quasi-totalité des 596 députés seront des inconditionnels de Sissi dans la mesure où toute opposition qu’elle soit laïque ou religieuse a été muselée [1]. Le parti salafiste El Nour n’a que 12 députés et, pour la première fois, les Coptes en ont 34, beaucoup plus que d’habitude, élus soit sur les listes pro Sissi [coalition Fi Hob Misr – Pour l’amour de l’Egypte], soit sur le quota des cooptés par le président qui remercie ainsi le plein soutien que lui apporte le pape Tawadros II.
Etat d’urgence et répression
Au nom de la lutte contre le terrorisme, le régime égyptien a adopté depuis le 16 août 2015 des lois d’exception: la création de tribunaux spéciaux, des protections juridiques pour les policiers chargés de les mettre en œuvre, la criminalisation de toute personne diffusant ou publiant de «fausses» informations sur des attentats ou opérations intérieures, un dispositif qui vise les médias, y compris étrangers et les réseaux sociaux.
Du coup les forces de l’ordre jouissent d’une totale impunité ce qui exaspère la population comme à Louxor et Ismaïlia où des émeutes ont éclaté pour protester contre le tabassage à mort de deux hommes arrêtés arbitrairement. Le pouvoir a donc été contraint d’inculper des policiers, averti par les conséquences de l’assassinat de Khaled Saïd, l’une des causes de la chute de Moubarak. Toute personne qui s’oppose au régime est considérée comme terroriste.
Pourtant les conditions de vie qui ont conduit au déclenchement du processus révolutionnaire sont toujours présentes. L’inflation annuelle est de 9,7 % due surtout à la hausse des denrées alimentaires. Les réserves de la Banque centrale ne couvrent que deux mois d’importations entravant les industries qui en dépendent.
Désastre écologique
Au moment où Sissi parade à la COP 21, les conséquences du dérèglement climatique s’accélèrent. Des pluies diluviennes ont frappé durement le nord du pays, noyant des dizaines de villages du Delta. Dans le seul gouvernorat de Beheira, 500’000 habitations et 400 écoles ont été détruites, des centaines de têtes de bétail emportés par les eaux et 10’300 ha de terres cultivées dévastées. Ce sont donc des dizaines de milliers de familles qui se retrouvent sans abri, sans aucun moyen de subsistance, le gouvernement ayant promis une aide dérisoire de 10’000 livres égyptiennes (environ 1000 euros) par famille, Mais elle tarde à être versée.
A Alexandrie, deuxième ville du pays, plusieurs personnes sont mortes noyées et/ou électrocutées parce que le système d’évacuation des eaux est resté à l’abandon depuis des années et que les câbles électriques traînent partout sans que les pouvoirs publics ne bougent. La municipalité a acheté des centaines de pompes qui restent stockées parce qu’inutilisables. Nul doute que le contrat a permis de juteuses commissions à certains. Si des pluies aussi violentes frappent à nouveau, les conséquences seront encore plus graves car les autorités n’ont pris aucune mesure radicale.
Les grèves perdurent
Des milliers de travailleurs/euses des usines de textiles de Mahallah ont entamé une grève fin octobre pour réclamer le paiement de la prime sociale de dix pour cent et le retour dans l’entreprise des travailleurs licenciés. Ils exigent également que les responsables de l’entreprise rendent des comptes concernant les pertes délibérément causées par la holding de gestion de l’Etat et que les autorités et l’administration de l’entreprise s’engagent à ne plus entamer de poursuites contre les travailleurs pendant ou après la grève.
Le mouvement social égyptien n’est pas près de se taire, mais les grèves restent cependant isolées et les coordinations entre elles difficiles. (Voir ci-dessous l’article sur le droit de grève)
Les forces révolutionnaires
Dans une situation où l’activité politique est réprimée, les organisations de la gauche révolutionnaire se retrouvent dans une posture délicate. La difficulté à faire émerger une troisième voie entre l’armée et les Frères Musulmans et l’incapacité d’avoir une intervention commune tendent à rendre difficile l’intervention de regroupements comme le «Front pour la révolution» créé en juillet 2013. Malgré cela, leur objectif reste la restructuration des liens entre les forces syndicales indépendantes, associatives et partisanes pour tenter de trouver un accord sur des revendications démocratiques urgentes comme l’arrêt des tortures dans les commissariats, la liberté d’expression et les droits syndicaux. (Correspondant·e·s au Caire et à Alexandrie)
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[1] Yousri Al-Azabawi, chercheur au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram, souligne un phénomène, à savoir l’entrée au parlement d’un grand nombre d’officiers de police et de l’armée. «Un grand nombre d’officiers de police et de l’armée se sont présentés à ces élections voulant sans doute mettre à profit la popularité des forces armées et du président Sissi après le 30 juin». (Rédaction A l’Encontre)
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Khaled Ali: «Le Tribunal administratif suprême a rendu justice aux travailleurs»
Par Al Bédaya
L’avocat du droit du travail Khaled Ali a déclaré que le Tribunal administratif suprême a rendu justice aux travailleurs en reconnaissant leur droit à la grève pacifique et qu’il a précisé dans les attendus de son arrêt le plus récent que la grève était un droit constitutionnel pour les travailleurs de l’ensemble des secteurs de l’économie.
Il a écrit sur son compte Facebook dimanche 6 décembre 2016: « Enfin, le Tribunal administratif suprême a enfin rendu justice aux travailleurs dans les attendus qu’il vient de déposer et qui motivent droit à la grève pacifique. Il ne s’agit pas d’un délit ni même d’un don octroyé par qui que se soit. Il s’agit désormais d’un droit constitutionnel pour les travailleurs de l’ensemble des secteurs de l’économie qu’il s’agisse de l’administration publique, des entreprises publiques ou du secteur privé.» (Publié dans Al Bédaya, site égyptien d’information politique, le dimanche 6 décembre 2015, traduction par Hany Hanna)
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