Par un collectif de paysans et paysannes
Tribune. Nous, agriculteurs, agricultrices, observons une atmosphère de crispation, d’incompréhension, entre une partie du monde agricole et le reste de la société, principalement focalisé sur l’utilisation des pesticides et sur l’élevage industriel.
Concernant les pesticides, leurs effets néfastes pour la santé humaine et l’environnement sont prouvés par de nombreuses publications scientifiques, tandis que le rejet de l’élevage industriel correspond à la dénonciation d’un système de maltraitance animale à grande échelle qui ne permet pas aux éleveurs et salariés concernés de s’épanouir ni de s’en sortir économiquement.
Ces pratiques portent atteinte à l’environnement ici et ailleurs comme le montrent le problème des algues vertes en Bretagne, la dégradation de nos ressources en eau, ou encore la déforestation générée par la monoculture de soja OGM au Brésil.
Les critiques de ces pratiques, légitimes, sont qualifiées d’«agribashing» par la FNSEA [Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles], formule reprise par le ministre de l’agriculture [Didier Guillaume, issu du Parti «socialiste», en fonction depuis octobre 2018] et le président de la République. Pourtant, la remise en cause du modèle agro-industriel dominant n’est pas de l’agribashing! Il ne s’agit pas de dire que l’agriculture est mauvaise, maléfique, ou que les urbains n’aiment pas les agriculteurs! Il s’agit de critiquer un modèle qui entraîne les agriculteurs et notre société dans le mur.
Ce modèle endette dangereusement les agriculteurs, continue de vider les campagnes de leurs paysans, pousse à un gigantisme empêchant les jeunes de reprendre les fermes des retraités, pollue les sols et les eaux, détruit la biodiversité, dégrade la santé des écosystèmes et des humains. Cette agriculture basée sur l’agrochimie, la spécialisation à outrance des territoires et la mondialisation, contribue au réchauffement climatique et est peu résiliente face aux événements extrêmes qui se multiplient.
Pourtant, l’agroécologie paysanne que nous pratiquons, le plus souvent en bio, depuis de nombreuses années, représente une alternative crédible. Cette agriculture, qui lie agronomie et écologie, nous permet de vivre avec dignité et de transmettre nos fermes, tout en fournissant une alimentation saine à nos concitoyens. Nous montrons au quotidien que ce type d’agriculture peut redynamiser les territoires, en créant des emplois, du lien social, du paysage, de la biodiversité et de la résilience.
Accompagner la transition
De plus en plus de paysans optent pour cette agriculture du futur, et nombreux sont ceux qui souhaitent engager une transition que les politiques publiques, du local jusqu’au niveau européen, devraient beaucoup mieux accompagner. Les moyens financiers existent et sont considérables, notamment avec les 9 milliards d’aides annuelles de la PAC [politique agricole commune].
Nous, paysans, actifs ou à la retraite, ne partageons pas la dénonciation d’un pseudo-agribashing, opérée par certains acteurs à la solde de l’agro-industrie bloquant la transition agroécologique, détournant l’attention des vraies questions au risque de creuser le fossé entre agriculteurs et citoyens, et d’attiser la violence.
Nous, paysans, affirmons qu’il est urgent de changer de modèle agricole, de développer une politique alimentaire favorisant les productions locales et biologiques, et d’abandonner l’utilisation des pesticides et de l’élevage industriel.
Signataires du collectif de paysans: Angel Alegre (Ariège); Brigitte Allain (Dordogne); Philippe Aubry (Vosges) Brigitte Aubry (Vosges); Philippe Assemat (Ariège); Patrick Barque (Doubs); Jacques Barroux (Lot-et-Garonne); Anne-Charlotte Beaugrand Rivière (Seine-et-Marne). Plus de 60 paysans et paysannes de diverses régions de France constituent l’ensemble des signataires de cette tribune. Elle a été publiée sur le site du quotidien Le Monde, le 27 novembre 2019.
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