Par Michel Caillat et Marc Perelman
«La France est en guerre» ne cesse de nous répéter le Président de la République, François Hollande. Chaque nouvelle attaque des terroristes islamistes est caractérisée comme un «acte de guerre» lorsqu’elle est perpétrée contre le public d’un stade, des dessinateurs, un magasin juif, des jeunes aux terrasses de café et de restaurants ou écoutant de la musique, puis contre la population ciblée au hasard des lieux de passage parfois symboliques (métro, aéroport).
Cette «guerre» est menée contre les «mécréants», en vue de leur élimination physique pure et simple. Face à la guerre, le gouvernement et le cercle plus large des organisateurs de l’Euro 2016 ne veulent pas de ce qu’ils considèrent comme un recul. Ils semblent vouloir le maintenir, avec une obstination certaine, coûte que coûte. Ils s’entêtent.
Car le pire, nous disent-ils, serait précisément de reculer face à l’ennemi, de lui laisser garder l’initiative. Arrêter l’Euro de football «ça serait une défaite, ça serait donner une victoire aux terroristes. Il faut ces manifestations sportives», assène le Premier ministre dans des propos à l’expression presque footballistique.
La vraie résistance au terrorisme
Face à la lâcheté des terroristes, nous accepterions par symétrie une autre lâcheté, celle d’abandonner cette promesse d’un immense bonheur que serait la compétition sportive. Bravaches, les dirigeants politiques nous renvoient à la conférence de Paris, la Cop21, tenue et réussie. Alors pourquoi pas l’Euro de football? Le principal argument en faveur de l’Euro de football est le suivant: la présence et mieux encore la victoire de l’équipe de France – elle est presque sommée de gagner – seraient la victoire de la France et surtout la victoire contre les terroristes. Ce serait in fine, dans une gigantesque communion nationale, la vraie résistance au terrorisme.
Notre réflexion actuelle et notre savoir sur les stades et les rassemblements sportifs de masse dans l’histoire nous conduisent à nous opposer aux arguments simplistes et par trop évidents. La crainte principale se focalise avant tout sur les «fans zones» (zone de supporters). Leur rôle est précisé dans l’instruction interministérielle du 5 mars dernier qui stipule qu’un contrat a été signé entre l’UEFA (Union Européenne Football Association) et les dix villes hôtes (Bordeaux, Lens, Lille, Lyon, Marseille, Nice, Paris, Saint-Denis, Saint-Étienne, Toulouse). Les maires y exercent leur autorité.
Or, dans ce document, peu d’éléments apparaissent concernant leur sécurité : «comptage des spectateurs», contrôle visuel avec ouverture des sacs jusqu’à la palpation de sécurité» ; il n’est rien dit de précis d’une délimitation physique» qui «pourra, le cas échéant, s’appuyer sur le bâti urbain». On utilisera «un système de vidéoprotection» ; «il sera possible de consommer des boissons alcooliques (premier et deuxième groupes)».
Mais les stades comme les fans zones sont surtout à apprécier comme de véritables aimants qui pourraient attirer le terrorisme parce qu’ils sont des lieux de concentration, de grande densité, de compacité, autrement dit, de véritables cibles. Dans une ambiance générale très tendue, les risques de bousculades ou de mouvements de foule, et bien sûr de panique sont aussi tout à fait possibles.
Le gouvernement français est-il à ce point dans l’attente d’une victoire de l’équipe de France qu’il en oublierait la protection et la sécurité de son propre peuple? Le cadeau empoisonné de Nicolas Sarkozy ne représente-t-il pas aujourd’hui un véritable danger public malgré toutes les précautions prises et tant d’argent injecté à payer le coût exorbitant d’agents de sécurité pour beaucoup privés Les syndicats de police le considèrent chronophage. Et s’il ne s’abattait pas sur les fans zones, le terrorisme pourrait menacer ailleurs en profitant de la centralisation de la surveillance. Le vrai courage politique ne serait-il pas plutôt d’arrêter un processus que personne ne maîtrise.
Stades forteresses
Peut-on aussi considérer comme une fête un Euro de football dont les supporteurs, après des palpations et de multiples contrôles de sécurité, seront parqués derrière des palissades et des barrières, sous le contrôle de drones, sous l’œil des caméras de vidéosurveillance, et qui auront les yeux collés à leur Smartphone par le biais d’une application leur précisant en temps réel l’heure du danger imminente ? Un ministre nous annonce 2,5 millions de palpations – les hédonistes s’en réjouiront peut-être – dans les différents stades et les fan zones là où chaque spectateur sera contrôlé au moins deux fois. Et puis, s’il y a peut-être une certaine sécurité à l’intérieur des stades présentés un peu abusivement comme des forteresses, il reste qu’avant d’y entrer se présentent à l’extérieur des foules compactes de milliers de supporteurs qui attendent leur tour pour franchir les portillons électroniques.
Rappelons enfin que se rendre à son travail, boire à une terrasse, circuler dans la rue, prendre un transport en commun constitue pour tout citoyen les activités les plus banales de la vie quotidienne. Se rendre dans une fan zone ou dans un stade, ce n’est ni une nécessité, ni une exigence et encore moins une obligation. Pourquoi alors nous présenter l’Euro 2016 comme un engagement citoyen et vouloir à tout prix notre participation comme un devoir national?
Reste qu’on expose un public de supporteurs très nombreux, jusqu’à 10’ 000 personnes par exemple dans la «fan zone» devant des écrans géants installés par Lagardère Sports pour la ville de Paris (au pied de la tour Eiffel sur le Champ de Mars). Où est l’«espace festif» que l’on nous vante avec tant d’empressement ?
Serions-nous un peuple lâche, honteux si nous refusions de servir de cible aux fous de Dieu? Ou à l’inverse tout à fait raisonnable et parfaitement conscient en refusant un pari bien déplacé Pour toutes ces raisons, la seule décision efficace devrait être l’annulation de l’Euro 2016. Trop tard diront certains. Prenons au moins dès maintenant la décision la plus sage: l’interdiction des fans zones sur tout le territoire. (Tribune publiée dans Le Monde, Idées, en date 29 mars 2016)
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Michel Caillat est professeur en économie et Marc Perelman, professeur en esthétique.
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