Par Martine Orange
La photographie est prise en 2010. Mais les tendances qu’elle dessine ont dû se poursuivre et s’approfondir au cours des deux années suivantes. Dans sa dernière étude sur les revenus et le patrimoine des ménages, publiée mercredi 24 avril, l’INSEE [Institut national de la statistique et des études économiques] dresse un nouveau bilan des effets de la crise. Et ils sont dévastateurs: la pauvreté s’installe et les inégalités n’ont cessé de se creuser. Les ménages les plus pauvres paient le plus lourd tribut. «En 2010, le niveau de vie de la majorité de la population stagne ou baisse, après avoir faiblement augmenté l’année précédente. Au sein de l’ensemble de la population, les personnes les plus modestes sont particulièrement touchées depuis la crise. À l’inverse, le niveau de vie au-dessus duquel se situent les 5 % de personnes les mieux loties repart à la hausse, après avoir stagné en 2009», note d’emblée l’ INSEE. [L’étude peut être consultée à cette adresse: http://www.insee.fr/fr/publications-et-services/sommaire.asp?codesage=REVPMEN13]
Le niveau de vie médian – c’est-à-dire le point d’équilibre entre la moitié des ménages qui gagne le moins et la moitié qui gagne le plus – s’est élevé à 19’270 euros par an [23’500 CHF], soit 1’610 euros par mois [1964 CHF]. Il est en baisse de 0,5 % en euros constants, par rapport à 2009. La baisse a été particulièrement sensible pour les ménages les plus pauvres. Les trois premiers déciles accusent une chute entre 1,3 % et 1,6 %. Les 10 % de personnes les plus modestes ont un niveau de vie inférieur à 10’430 euros annuels [14’106 CHF], correspondant au 1er décile [les déciles sont des valeurs qui partagent une distribution des salaires, des revenus, etc. en dix parties égales, 1er décile D1, etc.].
Dans le même temps, les revenus des ménages les plus aisés, qui avaient enregistré une baisse en 2009, ont recommencé à augmenter. Le niveau de vie des 5 % de personnes les plus aisées a progressé de 1,3% en 2010. Celui des 1% les plus riches a enregistré une hausse de 4,7% en 2010, après avoir baissé de 4,3 % en 2009. «Les 10% les plus aisées disposent d’au moins 36’270 euros par année [44’249 CHF], soit 3,5 fois plus (que les foyers les plus modestes)», note l’étude.
C’est la première fois, insiste l’INSEE, que la crise accentue autant les inégalités. Cette remarque conduit à un constat inquiétant: le système redistributif français, mis à mal depuis de nombreuses années, est en passe de se casser. Il n’a plus les mêmes effets protecteurs qu’auparavant. Les dispositifs de solidarité permettent encore d’atténuer la chute mais plus de l’effacer. «Avant transfert, le premier décile de revenu par unité de consommation [ampleur du ménage] diminue de 3,2% en moyenne par an de 2008 à 2010 et de 1,2% après transferts; pour le deuxième décile, les évolutions sont respectivement de 1,8% et de 1,3%», signale l’étude.
2,7 millions d’enfants vivent dans des familles pauvres
De plus en plus de ménages se trouvent ainsi renvoyés aux marges de la pauvreté. «En 2010, le taux de pauvreté monétaire atteint 14,1 %, en hausse de 0,6 point. Les plus fortes contributions à la hausse de la pauvreté en 2010 sont en fait celles des populations inactives: les retraités (11 % de l’accroissement du nombre de personnes pauvres), les adultes inactifs autres que les étudiants et retraités (16 %) et, surtout, les enfants de moins de 18 ans (63 %)», relève l’INSEE. Selon l’institut, 2,7 millions d’enfants vivent désormais dans des familles pauvres en 2010. Le risque de pauvreté s’accroît pour ces enfants, quand ils vivent dans des familles monoparentales, ou s’il y a plus de trois enfants dans la famille. Toutes ces données seront-elles prises en compte par les experts qui prônent une réforme des allocations familiales?
La pauvreté touche aussi les retraités les plus âgés, souvent des femmes seules n’ayant pas ou peu travaillé. Le minimum vieillesse avait permis ces dernières années d’apporter une sécurité à cette population très fragile. Mais là encore la situation se dégrade: «En 2009, le taux de pauvreté monétaire des personnes âgées de 75 ans ou plus s’élève à 13,0 %, contre 7,7 % pour les personnes âgées de 65 à 74 ans et 12,8 % pour les personnes d’âge actif», pointe l’étude.
Le boulet de l’endettement
La troisième catégorie la plus menacée, ce sont les ménages endettés. Par rapport au reste de l’Europe, les ménages français sont peu endettés. Selon l’INSEE, 46 % des ménages vivant en France déclarent avoir au moins un emprunt encore en cours. 18 % sont endettés uniquement pour l’achat d’un bien immobilier ou pour financer de gros travaux. Mais il y a ceux qui s’endettent pour boucler les fins de mois, ceux qui cumulent les crédits immobiliers et les crédits à la consommation. Plus de 18 % des ménages endettés doivent rembourser l’équivalent de plus de 30 % de leurs revenus chaque mois. Certains se retrouvent totalement étranglés : ils sont 12 % à avoir un endettement dépassant 80 % de leurs actifs, et même 9 %, qui ont accumulé un endettement dépassant la totalité de la valeur de leur patrimoine.
Que reste-t-il du «modèle français»? De moins en moins de protection manifestement au fur et à mesure que la crise se prolonge et s’amplifie. Jamais les inégalités n’ont été aussi grandes en France depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Mais rien n’est fait pour corriger la situation. Aucune réforme de la fiscalité n’a été entreprise par le gouvernement. «La réforme fiscale est faite», assurait avec aplomb Jérôme Cahuzac, alors ministre du budget, en janvier 2013. Plutôt que de regarder les chiffres et de s’en inquiéter, beaucoup préfèrent s’en tenir au mythe.
Article publié sur le site Mediapart en date du 24 avril 2013
*****
«Une nouvelle chute du pouvoir d’achat est probable cette année»
Par Christophe Alix
Le rapport 2013 de l’INSEE (Institut national de la statistique et des études économiques) intitulé «Revenus et patrimoine des ménages» indique le creusement des inégalités en France.
Chaque année, l’INSEE sonde les revenus et le patrimoine des ménages français en mesurant les effets de la conjoncture sur leur évolution. L’édition 2013 revêt une importance particulière, puisqu’elle permet pour la première fois d’apprécier comment la crise initiée en 2007-2008 a affecté le niveau de vie des ménages et aggravé le taux de pauvreté, qui reste cependant sensiblement inférieur à la moyenne européenne.
Quel a été l’impact du choc de 2008?
A la fin 2010, le revenu médian (la moitié des Français gagnent plus, l’autre moitié gagne moins), qui constitue le meilleur indicateur du niveau de vie, était de 19’270 euros [23’500 CHF]. Il a baissé de 0,5% par rapport à 2009, année de la «grande récession» au cours de laquelle le niveau de vie a paradoxalement continué de progresser alors que la richesse nationale avait dégringolé de 3,1%, avant de rebondir de 1,7% en 2010.
Ce décalage s’explique par l’extinction en 2010 de mesures de soutien aux catégories les plus fragiles contenues dans le plan de relance Fillon de 2009. «Le système de protection sociale a joué son rôle et a globalement permis d’atténuer le choc, explique Fabrice Lenglart, directeur des statistiques démographiques et sociales de l’Insee, qui a supervisé l’étude. D’où cette quasi-stabilité du niveau de vie deux ans après un choc conjoncturel majeur et alors que la France était très loin d’avoir retrouvé son niveau d’avant-crise. Mais quand on rentre dans les détails, on voit que ces stabilisateurs n’ont pas empêché un creusement notable des inégalités au cours de cette période.»
Quels ont été ses effets sur les inégalités?
Si tous les déciles de niveau de vie sont concernés par la baisse de revenus de 2010, elle est bien plus forte dans le bas que dans le haut de la fourchette. Sur la période 2009-2010, les 20% les plus pauvres ont vu leur revenu médian reculer de 1,3%, alors qu’il a progressé de 0,9% pour les 20% les plus riches. A la fin 2010, 14,1% de la population française, soit 8,6 millions de personnes, vivaient sous le seuil de pauvreté, fixé à 60% du revenu médian, soit 11’562 euros [14’106 CHF, par année]. Cette hausse de la pauvreté (de 0,6%) a particulièrement touché les familles (2,7 millions d’enfants pauvres fin 2010) et les moins de 18 ans, parmi lesquels le taux de pauvreté culmine à 19,6%. A l’autre extrémité du spectre, les 1% les plus riches ont certes vu leur niveau de vie baisser de 4,5% en 2009. Mais cette chute a été effacée dès l’année suivante, avec une hausse de 4,5%. Les très riches sont d’autant moins à plaindre que leurs revenus avaient bondi avant la crise (de 5% par an entre 2004 et 2008).
Selon Fabrice Lenglart, ce creusement des inégalités a cependant été largement compensé par les effets redistributifs des transferts sociaux. «Sans ces derniers, la baisse du niveau de vie des 20% des ménages les plus modestes aurait été quatre fois plus importante, ce qui aurait provoqué une explosion des inégalités.» Si l’on se réfère cette fois à l’évolution moyenne du pouvoir d’achat par unité de consommation durant ces deux années (c’est-à-dire en tenant compte de la composition du foyer), il a continué à légèrement progresser en 2009 et en 2010. Avant de reculer de 0,1% en 2011 et de 1% en 2012. Une nouvelle chute du pouvoir d’achat est probable cette année.
Quelle évolution du niveau de vie des retraités?
Cette édition 2013 «Les revenus et le patrimoine des ménages» pointe également un creusement des inégalités au sein de la population des seniors retraités entre 1996 et 2009. Si l’évolution de leur niveau de vie a été globalement identique à celle des actifs avec un revenu médian de 18’560 euros [22’643] en 2009, les plus jeunes d’entre eux (65-75 ans) en ont davantage bénéficié que les autres. Une différence qui s’explique par des carrières plus complètes, notamment pour les femmes, avec une montée en puissance des régimes de retraite complémentaire. Un «effet générationnel», comme l’appelle l’INSEE. L’augmentation des inégalités s’est également faite par le haut avec des seniors aisés qui ont vu les revenus du patrimoine fortement progresser, en raison notamment de l’appréciation des prix de l’immobilier. Dans ce dernier cas, les plus âgés des seniors sont souvent les plus fortunés comme en témoigne leur surreprésentation dans la tranche haute de l’ISF (Impôt de solidarité sur la fortune). (24 avril 2013 – publié dans le quotidien Libération)
C’est ce qui se passe dans la plus part des pays qui ont choisi de suivre le capitalisme. En fait, c’est surtout dans les pays en développement que l’on voit cela. Mais qu’est-ce qui pourrait expliquer cela en France? Je pense que la crise du chômage y est pour quelque chose. Mais quant à l’augmentation des revenus des plus aisés, quelle ne serait la cause?