On comprend mieux la profonde gravité qui habite Teresa Rodriguez lorsqu’on la voit se faire apostropher par une passante, au détour d’une venelle colorée de Séville, ce vendredi 13 février au petit matin. «C’est bien toi, Teresa? demande la femme, l’air de ne pas en revenir. J’ai déjà voté pour Podemos aux européennes et je voterai pour toi aux élections en Andalousie. Il n’y a que Podemos qui puisse nous sauver et changer ce pays.» Le regard sombre et soucieux de la jeune politicienne de 34 ans, un bref instant, s’éclaire. Elle étreint la passante en lui promettant de faire «tout [s]on possible» pour ne pas décevoir les attentes, puis reprend son chemin, solennelle. «Podemos a une responsabilité énorme», souffle-t-elle.
Inconnue jusqu’aux élections européennes de mai 2014, Teresa Rodriguez est devenue l’un des visages de Podemos («Nous pouvons») lorsque le parti anti-austérité a remporté quatre mois après son lancement, en janvier 2014, cinq sièges d’eurodéputé – dont le sien – et 1,2 million de voix, bouleversant l’échiquier politique en Espagne. Moins d’un an plus tard, c’est elle qui emmène la formation à son premier rendez-vous national : les élections régionales anticipées en Andalousie, le 22 mars, pour lesquelles elle brigue la présidence de la Junte – le gouvernement de la communauté autonome – face à la présidente socialiste sortante (PSOE), Susana Diaz.
Native de Rota, une ville de la province de Cadix, et «militante depuis toujours», la jeune femme aux cheveux noir de jais et à l’allure bohème avance avec le sentiment d’être poussée par les espoirs de huit millions d’Andalous – la région la plus peuplée d’Espagne. Et il lui est «inconcevable» de décevoir les siens. Elle aurait l’impression de «trahir» cette terre qui l’a vue naître et grandir. Cette terre de huertas et d’orangeraies, meurtrie par la pauvreté – 38,3% de la population andalouse risque de connaître la pauvreté ou l’exclusion, contre 27,3% à l’échelle nationale –, la corruption et un chômage endémique – avec 34,2% de la population active et 59% des moins de 25 ans, l’Andalousie est la région de l’Union européenne la plus touchée par le chômage.
C’est à cette terre endolorie qu’elle veut «rendre sa dignité» en la sortant du «sous-développement économique». Cette terre qui, de toutes les régions d’Espagne, est celle qui a vu germer, aussi, le plus grand nombre de «cercles» Podemos, ces assemblées citoyennes de quartier qui ont fait le succès du parti. «Si je ne suis pas à la hauteur, je ne sais pas quand se présentera la prochaine occasion d’un changement historique», lâche-t-elle en fronçant les sourcils.
Tête baissée dans la campagne
Depuis que Susana Diaz (PSOE) a convoqué ces élections anticipées pour tenter de prendre de court Podemos dans ce bastion de gauche – l’Andalousie est l’une des deux seules régions, sur dix-sept, gouvernées par le PSOE –, tout s’est accéléré. Il a fallu organiser en urgence des primaires pour choisir les, réunir experts et militants pour établir un programme solide en un temps record, et multiplier les interventions médiatiques avant le début de la campagne, le 7 mars. Podemos court contre la montre. Et Teresa Rodriguez est sur le qui-vive.
La pression est d’autant plus grande que l’Andalousie ouvrira le bal d’une longue année électorale – municipales et régionales partielles en mai, législatives en novembre. «Il s’agira aussi de créer la dynamique», souligne la candidate. Car l’objectif ultime, la raison d’être du parti antilibéral depuis son lancement, est de «récupérer les institutions nationales» – actuellement aux mains des conservateurs du Parti populaire (PP). Comme Syriza en Grèce, Podemos veut gouverner.
Alors que le parti anti-austérité caracole en tête des sondages en Espagne, les perspectives sont plus nuancées pour l’Andalousie : le parti fera 15,6% (soit pas plus de dix-neuf sièges sur les cent neuf que compte le Parlement). Une percée non négligeable, mais insuffisante pour remporter la majorité. Teresa Rodriguez hausse les épaules, convaincue que sa formation est capable, une fois encore, de créer la surprise: «Ici plus encore que dans le reste de l’Espagne, la nécessité de changement social est devenue une urgence. Et Podemos est la seule solution aux décennies d’immobilisme et de corruption du PSOE.»
Pour se consacrer entièrement à la préparation de la campagne, la candidate a prévu de démissionner de ses fonctions d’eurodéputée. Epaulée par une trentaine d’économistes et par autant de citoyens, elle veut élaborer un programme anti-austérité «concret» et «solide», axé sur la transparence et l’emploi, les deux urgences de l’Andalousie. Elle sait qu’il sera scruté à la loupe, à l’heure où le parti est accusé par ses détracteurs de populisme et d’entretenir le flou sur ses intentions une fois arrivé au pouvoir. Fort des multiples campagnes qu’il a engrangées en un an d’existence, «Podemos est largement préparé», assure la tête de liste. «Nous avons déjà démontré nos capacités.» (Publié dans Le Monde, 24 février 2015)
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