Etat espagnol. Podemos à la croisée des chemins

Mai 2014, élections européennes: Monedero, Iglesias
et Teresa Rodriguez

Par Manuel Gari

Toute personne qui n’est pas un initié des labyrinthes internes de l’élite de Podemos ne peut comprendre les clés du «débat-dans le débat» qui se déroule de manière publique et ininterrompue entre les errejonistes [partisans de Ínigo Errejon, numéro 2 de Podemos] et les pablistes [les partisans de Pablo Iglesias]. C’est d’autant plus incompréhensible quand la conjoncture est optimale pour consolider Podemos qui se situe au deuxième rang dans les intentions de vote et au premier parmi les partis d’opposition au PP [Parti populaire de Rajoy] avec la possibilité à venir de former un gouvernement.

Le capital de confiance accumulé en faveur de Podemos peut s’évaporer si, lors de Vista Alegre II [réunion nationale des 11 et 12 février], l’organisation ne sort pas avec un projet politique clair visant à empêcher qu’il y ait une résolution de la crise de 1978 [régime de la transition post-franquiste] – qui n’est pas une crise de l’Etat –, en particulier de sa clé de voûte: le bipartisme [le système d’alternance PSOE-PP]. Ce qui déboucherait sur un processus dur et difficile de modification de la Constitution. La confiance des classes subalternes et des jeunes dans la nouvelle organisation peut s’éteindre si ne sont pas combattues et freinées les politiques d’austérité imposées par l’Union européenne (UE) qui imprègnent les budgets anti-sociaux et la réforme de la législation du travail, conçue contre les droits des travailleurs et travailleuses. D’où l’irresponsabilité fratricide [l’affrontement Iglesias-Errejon].

Le 15M [le mouvement des Indignés initié le 15 mai 2011] a mis en question le régime de 1978 et dénoncé la corruption. Mais, avant tout, il a exigé des responsabilités à ceux qui jusque-là représentaient symboliquement, dans le camp populaire, les aspirations les plus profondes: c’est-à-dire le Parti socialiste (PSOE). Ce dernier est entré dans une profonde crise de projet. C’est dans Podemos que ces aspirations populaires, pour beaucoup, ont trouvé leur expression. La seule chose qui explique que, malgré le spectacle digne d’un feuilleton que sont en train d’offrir ceux qui devraient chercher à donner des solutions, les intentions de vote pour Podemos ne s’affaissent pas – selon le CIS (centre de recherche sociologique) – repose sur deux éléments. Tout d’abord, nous naissons comme un besoin pour un large secteur après les luttes des Marées [mobilisations sociales dans l’enseignement, la santé, etc.], et non pas, comme cela a été écrit de façon idiote et prétentieuse, par des politologues dans un bureau de sciences politiques de l’université [allusion à la position des deux dirigeants dans la Complutense de Madrid]. Ensuite, Podemos résiste parce que le PSOE ne surmonte pas sa prostration (pour le moment).

Ces jours, nous avons lu et entendu une série d’explications de la crise interne de Podemos selon une grille d’interprétation du type conspiration entre cliques. Il parle plus de loyautés personnelles que d’allégeances à un projet et aux gens «d’en bas». Certains de ces écrits deviennent pathétiques avec une tonalité d’amour éconduit. D’autres justifient, en dépit de l’importante formation philosophique des auteurs, les options politiques fort erronées de Vista Alegre I. Et cela sur le terrain des orientations politiques: les illusions sur la possibilité de prendre le gouvernement en dehors des relations de force entre classes sociales; et sur le terrain organisationnel: construction d’une machine de guerre hiérarchique empêchant, sous une forme quotidienne, la participation et les débats des militant·e·s.

Et pour justifier ce qui est dit, on présente des vieilles photos de la fonction de Podemos sur lesquelles ne sont pas visibles beaucoup qui étaient alors présents. Mais ceux qui le font commettent une violation de la vérité. Ce sont les photos d’une fraction – Claro que podemos (CQP) – qui a dirigé l’organisation depuis la direction unifiée, celle dont les composantes, aujourd’hui, se chamaillent. Cette photo arrive tard, l’image réelle de la fondation de Podemos est celle prise bien avant dans le Teatro del Barrio [soit le 17 janvier 2014, jour où a été présentée l’initiative de Podemos, théâtre se situant dans le quartier Lavapiés de Madrid]. Cette photo est celle qui représente le mieux le futur du Podemos dont il ne reste personne [devant une centaine de personnes, «l’initiative» était présentée, dans la perspective des élections européennes, et ses premiers pas se faisaient en présence de Miguel Urbán, Jorge Moruno, Teresa Rodríguez, Juan Carlos Monedero, Inigo Errejon].

Manuel Gari

Podemos, lors de l’assemblée de Vista Alegre II, fait face à deux défis qui ne sont pas si simples pour ceux qui détiennent la couronne. D’une part, conclure cette assemblée avec un plan de travail et des propositions de programme qui permettent d’apparaître comme une option fiable pour former un gouvernement de changement qui, tôt ou tard, devra s’affronter à l’oligarchie européenne et espagnole et opter entre ceux «d’en haut» et ceux «d’en bas». D’autre part, mettre en place un parti-mouvement démocratique capable d’alimenter les énergies de la société et de s’en nourrir, au même titre que les énergies des organisations sociales, de leurs aspirations et des luttes des classes subalternes. Nous devons ouvrir des brèches populaires dans les institutions, nous battre pour améliorer les conditions de vie de la majorité, mais ne pas croire que marcher sur les moquettes suffit à résoudre en modifier les rapports de force entre classe en faveur du peuple. Pour cela, il faut que Podemos, Unidos Podemos, les confluences en Galice et en Catalogne et le nouveau municipalisme alternatif se constituent dans leur ensemble en un nouveau sujet politique. Cela en plus d’utiliser de manière adéquate les sièges conquis afin d’impulser l’auto-organisation populaire. Le peuple, les peuples [référence à la Catalogne, l’Euskadi, etc.], ni ne se créent ni ne se détruisent, ils se transforment. Il se transforme si augmente son degré de conscience, d’organisation et de capacité d’agir, si se forgent de nouvelles alliances, des identités et des communautés.

Dans la lutte entre les Montaigu et les Capulet [référence à l’opéra de Vincenzo Bellini], dans celle entre Guelfes et Gibelins [affrontement entre les factions aux XIIe-XIIIe siècles entre villes et régions «italiennes»], il n’est pas question de choisir l’un ou l’autre. Je choisis une autre saga historique qui apparaît et réapparaît dans le cours de l’histoire et prend des formes différentes: celle de Spartacus [Ier siècle avant notre ère]. Et cela pour aucune autre raison de fond que le soutien aux documents et aux candidats pour Vista Alegre II présentés par Podemos en Movimiento, car il s’agit de propositions responsables, démocratiques, non sectaires et en dehors des conspirations; et qui offrent des solutions, et non pas des histoires. Aujourd’hui, l’essentiel est de faire face à la «Grande Coalition» PP-PSOE-Cs [Ciudadanos]. En outre, comme l’affirme avec sagesse l’Ecclésiaste, «vanitas vanitatum, omnia vanitas» [vanité des vanités, tout est vanité]. (Article publié sur le site de Viento Sur, le 9 février 2017; traduction A l’Encontre)

Manuel Gari est économiste, membre de Podemos et militant d’Anticapitalistas, il appartient au conseil de rédaction de Viento Sur

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