Etat espagnol. 27 juin, l’héritage misérable de Rajoy

WECHDEF-875x410 copiePar Manuel Garí

Les commentaires et les débats des publicistes, des analystes et des politiciens au cours de cette campagne électorale se sont centrés sur les scénarios possibles ainsi que sur les alliances prévisibles pour la formation d’un nouveau gouvernement. Les propositions programmatiques ont été reléguées au second plan. Ainsi que cela a été dit suite au débat télévisé ennuyeux et corseté entre les quatre candidats de formations présentes à l’échelle nationale: «aucun ne risque quelque chose». Si certains thèmes ont effectivement été mentionnés dans les débats, ils ont été enterrés par la banalité et le bruit médiatique. D’autres ne sont presque pas apparus, comme celui de la dette.

En dépit d’une condamnation des années d’austérité que nous avons vécues, il n’est pas suffisant de parler de l’héritage que laisse le gouvernement Rajoy (suivant, bien entendu, le chemin initié par celui de José Luis Zapatero). Les obstacles laissés sont nombreux: «réformes» de la législation du travail contre les travailleurs, attaques contre la souveraineté nationale catalane, loi muselière [limitation des réunions, des manifestations, etc. au nom de la sécurité], le problème non résolu d’une corruption très répandue et qui est très grave pour le trésor public. Cette corruption, pour reprendre les termes de Victoria Carvajal, représente «un impôt sur la croissance économique» [1]. Sur ce point, l’Espagne a vu sa situation se dégrader depuis 2012, sous Rajoy, tout comme au Brésil, en Turquie…

Il convient également de souligner d’autres «séquelles» dont nous héritons, sur lesquelles je vais maintenant m’arrêter. Chacune constitue un drame en tant que tel, mais mises ensemble elles révèlent une conspiration colossale pour voler aux pauvres et donner aux riches. Les mesures et les effets des politiques de Rajoy pourraient bien fournir l’argument d’un roman ou d’un film sur les dystopies sociales au sein de l’Union européenne. Mais il ne s’agit pas d’une fiction.

Contrats léonins

L’évolution des contrats de travail constitue l’un des indicateurs qui montre le degré de régression sociale que la société a vécu sous le gouvernement PP. Selon le Ministère de l’emploi et de la sécurité sociale lui-même, les contrats à durée indéterminée signés au cours de l’année 2016 représentent 9,34% du total, les contrats temporaires s’élevant à 90,66%. Au cours du premier semestre de 2008 – au début de la crise – les proportions respectives étaient de 12,76% et de 87,33%.

Cette même source officielle signale que la durée moyenne des contrats de travail est passée de 91 jours en 2008 à 52 en 2016. Le comble dans l’abus est souligné par le fait que les contrats de travail pour une durée inférieure à une semaine ont presque doublé. En 2008, ils atteignaient 1’152’000 avant de tomber à 955’000 en 2009. Depuis lors ils n’ont cessé de croître pour s’établir en 2016 à 2’008’000. Retenons une donnée: les contrats de moins d’une semaine ont doublé au cours de la crise pour atteindre 400’000 par mois. Voilà le thème du premier tome de Robin Hood à rebours. Ces contrats inférieurs à sept jours représentent 26,5% de l’ensemble des contrats signés en Espagne, ce qui signifie qu’ils ont augmenté de 10% par rapport à 2008 (où ils se chiffraient à 16%).

Saison des soldes salariaux

De même, selon l’Institut national de statistique (INE), les revenus salariaux qui atteignaient 337,916 milliards d’euros en 2008 ont diminué pour s’établir en 2013 à 283,473 milliards, ce qui suppose une diminution de la masse salariale de 54,443 milliards. Au cours de la même période, les bénéfices et les autres revenus non salariaux sont passés de 183,107 milliards d’euros à 214,208, soit une augmentation de 31,101 milliards. Voilà matière pour la deuxième partie de notre roman Robin Hood à rebours.

Cela, selon la même source, suppose que la participation des salaires au PIB est passée de 50,1% en 2008 à 46,6% en 2014; les salaires ont connu une régression de 3,5% en termes de poids macroéconomique. De leur côté, les «excédents» au cours de la même période sont passés de 41,7% à 43,7%, ce qui suppose une croissance de 2% dans la proportion du grand gâteau. Selon l’Enquête sur la population active (EPA), l’évolution des salaires entre 2009 et 2013 aurait augmenté de 3% alors qu’au cours de la même période l’IPC [indice du prix à la consommation] s’est élevé de 8,8%, ce qui signifie que le pouvoir d’achat réel des classes laborieuses a diminué de 5,8%. Robin Hood à rebours, volume 3. J’estime qu’en 2016, la diminution cumulée du pouvoir d’achat depuis le début de la crise se situera autour de 8%.

Selon un rapport récent de la Fondation BBVA, le résultat est le suivant: «Le niveau de vie des ménages espagnols s’est détérioré de manière importante depuis 2007 […] la distribution de la rente s’est dégradée de façon notable [] la conclusion évidente est que la répartition [des effets] de la crise a été très inégal.» [2] Rien de nouveau, mais ce qui est important de signaler c’est que cette étude a été commandée et financée par une entité financière.

La dette publique: gangrène de la société

Il importe de souligner, ainsi que le fait Jaime Pastor, qu’«alors que nous entrons dans la dernière semaine de campagne électorale (26 juin), il est impossible de nier que, malgré les efforts de la plus grande partie des candidats aux élections de parler le moins possible des «lignes rouges» que la Troïka entend imposer à l’Espagne (coupes budgétaires de plus de 8 milliards d’euros ainsi qu’une amende pour ne pas avoir respecté les objectifs en matière de déficit budgétaire), le référendum du 23 juin en Grande-Bretagne place l’avenir de l’Union européenne au centre de l’agenda politique» [3], la question de l’Union européenne est en toile de fond. Pour cet article, je laisse cet aspect pour mettre l’accent sur la question de la dette souveraine.

Le véritable talon d’Achille du prochain gouvernement – plus encore s’il est de gauche, car la Troïka réclamera le paiement immédiat de la facture – est la somme atteinte par la dette publique. En 2016, celle-ci s’élève à 1095,139 milliards d’euros, c’est-à-dire 100,5% du PIB. Au début de la crise, en 2008, cette même dette s’élevait à 383,798 milliards, soit 35,5% du PIB (à la fin de cette même année, il n’atteignait pas le 40%). Actuellement, le montant du service leste l’économie et détourne des ressources qui pourraient être consacrées à l’investissement public et aux budgets sociaux. En 2015, l’Administration publique a dû faire face à un paiement de 33,122 milliards d’euros pour payer les intérêts de la dette, ce qui représente plus d’un tiers du budget général de l’Etat et environ 3,1% du PIB. Pour 100 euros dépensés dans le circuit économique, sept seront consacrés pour le service de la dette.

Pour se faire une idée des dimensions du problème de la dette, de son impact sur la vie des gens, de l’évolution de celle-ci ainsi que du caractère justifié des propositions telles que l’audit citoyen de la dette, le non-paiement de la dette illégitime et la restructuration du reste, il suffit de mettre en relation les éléments suivants. En 2008, la dette totale atteignait 3,97 billions; qui se divisait pour 12% en dette publique et le reste, 88%, en dette privée (entreprises et particuliers), soit 3,48 billions. En 2015, la dette totale n’a pas crû beaucoup puisqu’elle s’élève à 3,98 billions. Mais… cette année, la composition est différente: 30% de dette publique pour 70% de dette privée.

Comment ce phénomène s’explique-t-il? L’augmentation de la dette publique a été de 730 milliards alors que la diminution de la dette privée a été parallèle: 720 milliards. L’effet miroir ne pouvait être plus parfait. Ou, ce qui revient au même, quelqu’un a transféré d’un compte à l’autre ces montants. Il suffit d’ajouter comme exemple qu’au cours de la même période (2008-2015), le 12% du PIB – 120 milliards d’euros – a été utilisé pour les divers sauvetages bancaires et que le paiement des intérêts de la dette publique acquise par ces mêmes banques sauvées grâce à l’argent public et par des prêts de la Banque centrale européenne (BCE) à grand prix, dont l’origine des sommes est également publique. Une affaire rondement menée qui constituerait le thème central de quatrième tome de notre Robin Hood à rebours.

Cette somme équivaut au double des montants représentés par les coupes budgétaires réalisées dans les systèmes de soin, l’éducation et les services aux personnes handicapées au cours de la même période et elle est quatre fois supérieure du fonds public de pensions en diminution. En résumé, avant le début de la crise en 2008, chaque citoyen·ne de l’Etat espagnol devait 8’404 euros, au premier semestre 2016 il en doit 23’538, soit presque le salaire moyen annuel espagnol pour 2016 – une moyenne que bien peu de gens atteignent en raison de l’augmentation des inégalités salariales – qui est de 26’259 euros.

Toutefois, l’épée de Damoclès qui est suspendu au-dessus du futur gouvernement est l’exigence plus que certaine d’une réduction du ratio entre la dette et le PIB – actuellement, comme nous l’avons vu, 100,5% – pour le ramener à 60% dans un délai variant entre 5 et 10 ans. Ce qui signifie une accélération dans les remboursements aux créanciers. Un élément qui s’ajouterait au point mentionné de l’article de Pastor [un «supplément» de coupes budgétaires de 8 milliards].

L’économiste et historien Francisco Comín, professeur à l’Université d’Alcalá de Henares, qui étudie depuis des années l’évolution de la dette publique, a récemment affirmé: «pour une économie comme celle de l’Espagne, un niveau de dette qui approche 60% du PIB préoccupe. Plus de 90%, c’est alarmant. De telle sorte que 100%, avec un déficit de 5%, fait trembler. La crise de la dette est loin d’être terminée comme le prétend le gouvernement» [4]. Selon le dernier Fiscal Monitor publié par le Fonds monétaire international, l’Espagne ne pourra pas respecter en 2020 sa propre Constitution, c’est-à-dire la priorité en matière de remboursement des créanciers suite à la réforme de l’article 135 [en août 2011] et le plafond de 60% du PIB fixé pour la dette à partir de cette date, en conformité avec les exigences du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne [5].

De là découle l’importance de déclarations comme celle du Manifeste «le nouveau gouvernement doit mener un audit public de la dette avec une active participation citoyenne» lancé par Eric Toussaint et Miguel Urban. Ce document signale qu’il existe une autre solution au problème de la dette. Un chemin qui exige, point que j’ajoute, un gouvernement courageux et décidé qui rompe avec la logique du Plan de stabilité et avec l’orientation austéricidaire du libéralisme à l’œuvre au sein de l’Union européenne dont les effets ont pu être vus en Grèce. (Article publié le 22 juin sur le site VintoSur.info; traduction A L’Encontre)

Notes

[1] Victoria Carvajal, “El coste de la corrupción en el mundo”, publié dans Ahora núm. 36, 3, 9 juin 2016.

[2] Francisco J. Goerlich Gisbert, Distribución de la renta, crisis económica y políticas redistributivas, Fundación BBVA et Instituto Valenciano de Investigaciones Económicas, p. 169 et 170.

[3] Jaime Pastor, Ante el 26J. “Mirando a Europa y buscando el desempate”, 18 juin 2016, http://www.vientosur.info/spip.php?article11396

Traduction française: http://alencontre.org/europe/espagne/etat-espagnol-sur-quel-scenario-social-et-politique-va-deboucher-le-26-juin.html

[4] http://economia.elpais.com/economia/2016/05/18/actualidad/1463559100_343432.html

[5] http://www.expansion.com/economia/2015/04/16/55300960268e3eb35e8b4579.html

[6] Manifieste “El nuevo gobierno debe auditar la deuda pública con activa participación ciudadana”, Público, 14/06/16, http://www.publico.es/actualidad/decenas-activistas-politicos-e-intelectuales.html

 

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