Belgique. Ne pas dévier la mobilisation dans le «canal de la concertation»

Marie-Hélène Ska (CSC): la voie de la concertation?
Marie-Hélène Ska (CSC): la voie de la concertation?

Par Freddy Mathieu

«Et voilà, la grève générale est derrière nous», doit se dire le gouvernement des patrons. Toutefois, il semble encore hésiter entre le passage en force (en obtenant le vote rapide de sa loi-programme) et l’ouverture d’une pseudo-concertation, avec laquelle il testerait la détermination des directions syndicales.

Quelques heures avant la grève de 24h, on a assisté à une valse des mots sur les plateaux télé, dans les émissions du dimanche midi.  A Controverse sur RTL, la ministre Marie-Christine Marghem (Mouvement réformateur, tendance) se félicitait ainsi : «Il y a un début de dialogue qui a été enclenché par Kris Peeters [ministre fédéral de l’Emploi, de l’Economie et des Consommateurs, membre du Christen- Democratisch en Vlaams) et j’entends avec plaisir que la légitimité de ce gouvernement n’est pas mise en cause… » embrayant sur Marie-Hélène Ska, la Secrétaire Générale de la CSC (Confédération des syndicats chrétiens), qui avait déclaré que «la légitimité du gouvernement, pour ce qui nous concerne, n’a jamais été contestée. Un gouvernement a été élu démocratiquement et nous le respectons, il a une majorité au parlement.»

Le gobelet à moitié vide ou à moitié plein?

L’ambiguïté n’était pas non plus absente dans les propos de Marc Goblet (FGTB – Fédération générale du travail de Belgique) qui, certes, sortit quelques mots très rudes sur les patrons et le gouvernement, mais aussi s’amadoua pour les implorer d’en revenir «à la concertation». Avec quel objectif ? «Ouvrir au sein de cette concertation une feuille de route qui tient compte des aspects économiques mais aussi des aspects sociaux ».

Il poussa même son numéro d’équilibriste un peu plus loin en déclarant : «nous considérons que, sans fermer la porte sur quoi que ce soit, la mesure du saut d’index [suspension de l’indexation automatique des salaires sur les prix à la consommation et sur l’inflation pour 2015] est une mesure purement idéologique et peut être rencontrée autrement pour la problématique de compétitivité». Pour Marc Goblet «Nous voulons que la discussion sur la formation des salaires, y compris le saut d’index, puisse avoir lieu entre patrons et syndicats, comme cela a toujours été le cas sans que ce dossier soit confisqué par le gouvernement».

Marie-Hélène Ska entretenait le même flou sur le cadre de la concertation. Quand l’animatrice du débat lui demande: «Pour vous (les conditions) c’est retirer le saut d’index?» elle répond : «Nous n’avons jamais utilisé ces termes. Nous avons dit que c’était des mesures mal adaptées au contexte, que nous étions prêts évidemment, qu’il fallait faire 11 milliards d’euros d’efforts, nous le savons et nous ne l’avons jamais contesté».

Entrer dans le jeu du gouvernement et du patronat?

La ministre Marghem s’enfonça dans cette « ouvertur » des leaders syndicaux. «Le but c’est d’essayer de trouver ensemble une solution qui exécute l’accord de gouvernement. (…) Ce qui permet aussi à ce gouvernement, au cas où il n’y a pas d’accord d’avoir légitimement le dernier mot. S’il n’y a pas de concertation, c’est le gouvernement qui prend la décision.»

Au soir de la grève du 15 décembre, un autre ministre libéral, Willy Borsus [membre du Mouvement réformateur, ministre des Classes moyennes, des Indépendants, des PME, de l’Agriculture et de l’Intégration sociale] a lancé des pistes pour cette pseudo-concertation : «la concertation peut porter au moins sur trois éléments importants. Le premier est l’enveloppe Bien-Être. Elle porte sur plus d’un milliard d’euros dont il convient de déterminer les modalités d’utilisation. Suit tout ce qui touche à la définition et à l’organisation de la fin de carrière. Le troisième élément de concertation possible est la définition de la pénibilité de certaines fonctions. »[1]

Le gouvernement sait pertinemment que, même si le «Groupe des 10» [2] reprend ses travaux, les organisations patronales vont tout faire pour que cette concertation ne débouche sur rien. Elles vont jouer la montre, tablant sur un épuisement des travailleurs, et presser le gouvernement de ne tolérer que des amendements mineurs à sa loi-programme.

…Ou les foutre dehors ?

En s’en tenant à espérer un retour à la bonne vieille concertation sociale avec les patrons, les directions syndicales risquent de dilapider la combativité engrangée par les centaines de milliers de militants au cours des actions (grèves tournantes) du 6 novembre au 15 décembre. Et de laisser les millions d’affiliés dans l’incertitude.

Plus que jamais, après cette grève générale d’une ampleur sans précédent en Belgique, les organisations syndicales doivent avoir le culot de pousser ce gouvernement dehors. C’est la seule manière de renverser le rapport de forces avec le patronat. (16 décembre 2014, sur le site LCR-La Gauche)

____

[1] rapporté sur la RTBF 16/12/2014.

[2] Le «Groupe des dix» compte en réalité 11 membres: 2 représentants de la CSC, 2 de la FGTB, 1 de la CGSLB (syndicat libéral), 3 représentants de la Fédération des entreprises de Belgique (FEB), 1 de l’Unizo (Union des entrepreneurs indépendants), 1 de l’Union des classes moyennes (UCM) et 1 du Boerenbond (Ligue des paysans, en français). Il est également appelé «groupe des partenaires sociaux». (Rédaction A l’Encontre)

*****

«Social. L’heure de négocier est arrivée»

Par Bernard Demonty

Alexander De Croo, vice-premier ministre et ministre de la Coopération, du numérique, de la Poste et des Télécommunications
Alexander De Croo, vice-premier ministre et ministre de la Coopération, du numérique, de la Poste et des Télécommunications

[Cet article publié dans Le Soir, en date du 16 décembre, illustre à sa façon, le texte publié ci-dessus de Freddy Mathieu – Réd. A l’Encontre]

Le Premier ministre rappelle ses ministres à l’ordre. Et les syndicats envisagent de suspendre les actions.Après la grève générale de lundi, ses dérapages, et les échanges très vifs entre grévistes et défenseurs du droit au travail, l’heure est à la négociation.

Côté syndical, les instances évaluent actuellement le mouvement et les suites qu’il convient d’y donner. Et plusieurs sources indiquent qu’aucune décision sur la poursuite ou non des grèves ne sera annoncée avant le début du mois de janvier, afin de laisser une chance à la négociation.

L’heure est à l’apaisement aussi au sein du gouvernement. Hier soir, pourtant, le vice-Premier ministre Alexander De Croo semblait remettre de l’huile sur le feu. Alors que la possibilité d’instaurer un impôt sur les plus-values apparaissait pour beaucoup comme une solution à la crise, le vice-Premier libéral a fermé la porte, sur la VRT [TV en langue flamande]

Une décision qui, en coulisse, a irrité le CD&V, qui plaide pour un tel impôt. «Fermer une porte juste au moment où les syndicats sont en train de décider de la poursuite ou non des actions, c’est irresponsable», dit une source démocrate-chrétienne flamande. Un député, Roel Deseyn, s’est même ouvertement exprimé. «Alexander De Croo a l’expérience des vetos précipités», faisant référence à la chute du gouvernement fédéral en 2010, faute d’accord sur la scission de l’arrondissement de Bruxelles-Hal-Vilvorde.  «A l’époque, c’était stupide de faire tomber un gouvernement là-dessus. Alexander De Croo a pourtant de l’expérience avec les vetos. Pour le moment, il est trop tôt pour émettre des vetos. Nous devons encore travailler cinq ans ensemble.»

Cet échange risquait de donner l’image de dissensions au sein de la majorité. Aussi le Premier ministre, Charles Michel, a-t-il tenu à calmer les esprits au sein de la coalition, enjoignant ses vice-Premiers à s’abstenir de déclarations de nature à alimenter la chronique politique.

Le climat devrait donc s’apaiser dans les jours qui viennent. Le temps d’amorcer une vraie négociation. (Le Soir du mardi 16 décembre 2014)

Soyez le premier à commenter

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*