Allemagne. La grève du GDL et son contexte

c9eb77cd99ad2728192ced8c4c965990v1_max_800x600_b3535db83dc50e27c1bb1392364c95a2Par Manuel Kellner

A l’origine, le GDL (Gewerkschaft der Lokführer, affilié au Deutscher Beamtenbund; syndicat des conducteurs de train, affilié à la centrale syndicale des fonctionnaires d’Etat) était une association de métier, représentant une couche plus ou moins privilégiée du salariat. Cela pouvait évoquer une sorte de corporatisme. Donc, il était possible de donner la priorité à l’EVG (Eisenbahn- und Verkersgewerkschaft) – fédération affiliée au DGB (Deutscher Gewerkschaftsbund) – avec ses 240’000 membres, contre à peu près 35’000 organisés dans la GDL.Toutefois, la situation a bien changé..

Le GDL a ouvert ses portes au personnel roulant dans son ensemble. Il a acquis un prestige en organisant des grèves combatives sur des revendications qui répondent aux besoins de l’ensemble des salarié·e·s de la Deutsche Bahn AG. Par contre, l’EVG se comporte en syndicat docile, acceptant largement la détérioration massive des conditions de travail des salarié·e·s dans le cadre du processus de privatisation de la société des chemins de fer entamé depuis de longues années.

Aujourd’hui, le 8 mai, se termine la quatrième journée de grève. Comme par le passé, cela a déclenché une vague de dénonciations et de calomnies contre les grévistes et le porte-parole de la GDL, Claus Weselsky. Il serait un chef autoritaire (un «Boss») qui risque de mettre sérieusement en danger l’économie allemande et lèse les usagers (les clients, plus exactement) de Deutsche Bahn AG (DB AG). Autre angle d’attaque: la direction du GDL n’agirait que pour accroître sa force face à l’EVG. «Le GDL ne mène pas une grève, mais une offensive pour trouver de nouveaux adhérents», explique Klaus-Dieter Hommel, directeur adjoint de la Deutsche Bahn AG. On pourrait alors poser une question élémentaire: pourquoi le GDL gagne-t-il des membres?

La grève est bien suivie. Le public est loin d’être aussi fâché contre les grévistes que les médias veulent le faire croire. Dès que l’on explique les raisons des revendications du GDL et de leur mobilisation, beaucoup d’usagers comprennent qu’il s’agit d’une action pour défendre des intérêts légitimes et que les leurs – en tant qu’usagers – sont également pris en compte par les grévistes.

Pour ce qui est de la revendication d’augmentation des salaires de 5%, la Deutsche Bahn AG était prête à l’accepter, plus ou moins. Bien plus importantes sont les revendications portant sur les conditions de travail et, en particulier, sur la réduction du temps de travail sans perte de salaire. Car depuis le début des «réformes» néolibérales – entre autres, suite à la transformation de la Deutsche Bahn en une firme ayant le statut de société privée – la réduction du nombre de salarié·e·s, au travers de diverses modalités, atteint les 50%. L’intensification du travail s’est accrue de manière foudroyante. Plus de huit millions (!) d’heures supplémentaires doivent être accomplies selon les plans de la direction. Le GDL exige un maximum de 50 heures supplémentaires par an. Le GDL demande aussi le droit de signer des accords pour le personnel roulant dans son ensemble. Là-dessus, la direction de la DB AG – qui avait fait initialement des concessions – a brutalement réaffirmé sa ferme opposition . Dans l’actuelle situation, le GDL pourrait déclarer une grève illimitée («unbegrenzter Streik»).

Cette grève se déroule sur l’arrière-fond politique suivant: le gouvernement fédéral met en place une loi intitulée «Tarifeinheit» (un seul accord par firme) qui attribue le monopole à un syndicat – ici l’EVG – et vise à réduire radicalement la capacité conventionnelle des petits syndicats combatifs (ici le GDL). La direction de la DB AG est, de fait, contrôlée par le gouvernement fédéral allemand. D’où la mise en œuvre d’une option d’affrontement dur. Simultanément, cette loi («Tarifeinheit») pourrait être adoptée très prochainement par un vote de la deuxième chambre, le Bundesrat, représentant les Länder, alors qu’elle a déjà été adoptée au Bundestag. Vu sous cet angle, il est possible de considérer cette grève comme la dernière de ce type conduite par le GDL.

Dans certains médias, on laisse entendre que les syndicats devraient d’abord se mettre d’accord entre eux. Certes, un front commun du GDL et de l’EVG pourrait être utile. Mais n’est-ce pas une «unité» en faveur d’une politique de passivité, du «moindre mal»? A l’opposé d’une unité dans l’action sur des objectifs clairs et partagés par la majorité des salarié·e·s. L’unité syndicale n’est pas une valeur en tant que telle. Elle fait sens dans la mesure où sont consolidés et renforcés les moyens d’action des organisations syndicales et l’engagement direct des membres, comme leurs capacités de décider des modalités du mouvement.

La situation des salariés du personnel roulant est dramatique. Corinna Schön (56 ans), qui travaille dans le restaurant de bord, explique aux usagers qu’elle a plus de 1000 heures supplémentaires à accomplir, sans pouvoir jamais en venir à bout. Elle ne voit sa famille que toutes les quatre semaines. Elle s’est d’ailleurs séparée, le couple ne pouvant vivre ensemble. Nadine Kellerwald, 27 ans, travaille comme contrôleuse depuis un an, 14 heures par jour. Elle n’a plus de vie en dehors de son travail.

L’allongement du temps de travail du personnel roulant et évidemment surtout des conducteurs de locomotive met en danger la sécurité des usagers. A cela s’ajoute le manque d’investissements dans tous les secteurs. Les usagers payent aussi le prix de cette politique de la DB AG, ne serait-ce que par le cumul des retards.

La grève du GDL n’est pas la seule grève importante actuellement en Allemagne. Les distributeurs de colis de la poste – d’autres «victimes» des politiques dites de restructuration – sont de même en grève. Les éducatrices de la petite enfance (95% de femmes toujours et encore) – après une vague de grèves d’avertissement dans toute une série de Länder – ont déclaré une grève illimitée («unbegrenzter Streik») à partir du lundi 11 mai. Les deux catégories professionnelles sont organisées dans le grand syndicat des services, Ver.di. Dans ces deux cas, il s’agit de conflits qui vont bien au-delà des grèves «habituelles», au même titre que celle conduite par le GDL.

Les éducatrices de la petite enfance (Kindergärtnerinnen) demandent une tout autre valorisation de leur travail. Elles veulent être payées comme d’autres employé·e·s de la fonction publique ayant une qualification semblable. Cela reviendrait, en moyenne, à une augmentation salariale de 10%. Elles aussi, comme le personnel du chemin de fer et les distributeurs de colis, souffrent d’une intensification extrême du travail (moins de personnels, volume de travail qui augmente, nouvelles prescriptions, etc.), avec des effets sévères sur la santé.

Les médias développent une campagne sur le thème: les enfants des garderies et leurs parents sont les victimes de l’action syndicale, de la grève. Mais il est assez facile de comprendre que les conditions de travail du personnel dans les garderies doivent être acceptables et décentes, justement dans l’intérêt des enfants et donc de leurs parents. Et il est évident que les salaires des éducatrices sont l’expression d’une discrimination patriarcale, puisque leur travail est estimé «féminin » et donc moins valorisé que les travaux considérés comme «mâles».

Ce qui est déconcertant  – et cela existe depuis longtemps – réside dans la fragmentation, la non-convergence des luttes, qui restent séparées les unes des autres. Certes, il y a de la solidarité, même des manifestations de solidarité. Mais la dimension sociale et politique des trois luttes ne se traduit pas par la construction d’un front commun de lutte. Donc, même si elles sont importantes et donnent de l’espoir, elles restent fort sectorielles. Or,  à l’horizon, ce qui s’annonce, sous la conduite du gouvernement de coalition (CDU-CSU/SPD), est une remise en cause du droit de grève. Un enjeu qui ne peut être sous-estimé. (8 mai 2015)

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Manuel Kellner écrit dans le périodique la SOZ.

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