Allemagne-débat. «Rien de nouveau à l’Est»: une façon de couper un débat nécessaire sur l’extrême droite

Par David Begrich

Marco Wanderwitz (CDU-Union chrétienne-démocrate d’Allemagne), chargé de mission du gouvernement fédéral pour l’est de l’Allemagne, a déclenché un débat avec ses déclarations sur l’électorat est-allemand de l’AfD (Alternative pour l’Allemagne) [1]. Un débat exactement le même que tous les débats depuis plus de 20 ans sur l’extrémisme de droite en Allemagne de l’Est. Marco Wanderwitz ne dit rien de nouveau. Ses observations reflètent l’état du débat en sciences sociales au début des années 1990. L’anamnèse [la reconstitution de l’histoire] selon laquelle la volonté accrue de soutenir les partis de droite et leurs offres politiques à l’Est est due au «socialisme de la RDA» est rapide, pas tout à fait fausse, et pourtant fort insuffisante.

Il est vrai que la culture politique de la RDA (DDR) portait en elle des sous-courants autoritaires-nationalistes qui, après le bouleversement, se sont exprimés dans les rues de l’est de l’Allemagne dans un mouvement de jeunesse d’extrême droite. La transformation de la société est-allemande a intensifié ces effets: l’extrême disposition à utiliser la violence de la part des acteurs de droite, le racisme, l’incertitude des parents et des enseignants quant à l’action à entreprendre, le chômage. Tous les facteurs mentionnés jouent un rôle, mais en même temps ne sont pas LA cause.

Des idées contractées à l’Ouest

Quels que soient les périls auxquels les Allemands de l’Est ont pu être confrontés au cours des 30 dernières années, au final, ce sont eux qui décident consciemment de voter pour un parti (l’AfD) qui a opéré une dérive sans précédent vers la droite depuis 2014. Aujourd’hui, l’AfD, notamment dans les Etats de Saxe, de Saxe-Anhalt et de Thuringe, est un parti völkisch-nationaliste dont le programme politique est étroitement lié à l’extrême droite.

Pendant trois décennies, l’interaction entre les producteurs d’idéologie de droite qui ont migré depuis l’Ouest et leurs adeptes est-allemands a donné à l’extrême droite une caisse de résonance à l’Est. Qu’il s’agisse de Holger Apfel, anciennement du NPD de Saxe [chef de file du Parti national-démocrate d’Allemagne-NPD et député du Parlement de Saxe de 2004 à 2014], ou de Götz Kubitschek – éditeur d’extrême droite [un des fondateurs du think tank Institut für Staatspolitik de la Neue Rechte, avec sa dimension ethnocentrique qui s’illustra dans le mouvement PEGIDA–Européens patriotes contre l’islamisation de l’Occident] – qui souffle des éléments de stratégie à l’AfD: ils ont tous deux rencontré et continuent de rencontrer à l’Est une audience qui leur est refusée à Hambourg et à Francfort-sur-le-Main.

Le fait que, en termes de culture politique quotidienne de droite, les choses ne sont parfois pas très différentes dans les provinces ouest-allemandes que dans certaines parties de l’est de l’Allemagne est un fait que de nombreux médias aiment ignorer. Une partie du particularisme essentialisé de l’Est par l’Ouest s’est constituée suite à une coagulation de données qui sont devenues des clichés.

A l’Est, depuis trois décennies également, un paysage diversifié d’initiatives, de réseaux et d’individus, constitués différemment pour des raisons d’histoire contemporaine, se défend contre les efforts hégémoniques de l’extrême droite. Cela se passe dans des conditions plus difficiles que dans les villes universitaires ouest-allemandes ou à Leipzig. Ceux qui «montrent leur visage» pour la démocratie dans les régions rurales et les petites villes de Saxe, de Saxe-Anhalt et de Thuringe, comme l’exigent à juste titre les responsables politiques, se rendent vulnérables. Pas de manière abstraite, mais de manière très personnelle et directe. La formule [sur les réseaux sociaux, entre autres] «Nous savons où vous habitez» est la variante la plus inoffensive. Les travailleurs sociaux engagés, les responsables politiques locaux et les pasteurs peuvent vous dire une chose ou deux sur ce que signifie être identifiable et identifié comme défenseur des droits démocratiques. Trop souvent, ce sont eux qui sont laissés seuls lorsque la mobilisation de la droite s’installe dans une région.

Qui est coresponsable ?

Une part de la responsabilité dans le développement de l’extrémisme de droite en Allemagne de l’Est est assumée par les acteurs politiques des Etats d’Allemagne de l’Est qui n’ont cessé de nier et de minimiser l’ampleur de la mobilisation, par vagues, de la droite depuis 30 ans. La déclaration de l’ancien Premier ministre saxon Kurt Biedenkopf (CDU), qui a déclaré que les Saxons étaient immunisés contre l’extrémisme de droite, est à ce titre légendaire. Les effets de ce diagnostic se font encore sentir partout aujourd’hui. Ne pas appeler l’extrémisme de droite par son nom, courtiser ses partisans en tant que «citoyens préoccupés» qui expriment des craintes justifiées, tout cela a renforcé pendant des années cette extrême droite.

La tentative, à l’Est, de rallier à d’autres partis la fraction de l’électorat explicitement de droite de l’AfD et, auparavant, celle du NPD et de la DVU (Union populaire allemande qui a disparu en 2011), a échoué depuis longtemps. Pourtant, les politiciens continuent de chercher le dialogue avec, entre autres, le milieu des hurluberlus agressifs de droite qui sont bien rodés pour se mettre en scène et diffuser leur propagande sur les réseaux sociaux. Cette approche les renforce et affaiblit la société civile critique.

Le débat sur les propos de Marco Wanderwitz ressemble à une soirée au théâtre Ohnesorg de Hambourg: l’intrigue, les personnages et le déroulement sont plus que prévisibles. Il est fatigant d’entendre toujours les mêmes phrases concernant la force de l’extrême droite à l’Est. La résonance sociale de l’extrême droite à l’Est est bien étudiée et prouvée empiriquement. De nombreux chercheurs et praticiens du domaine peuvent fournir des informations différenciées sur l’état et les perspectives de la démocratie en Allemagne orientale. Il est important de les écouter. (Article publié par l’hebdomadaire Der Freitag, 22/2021; traduction rédaction A l’Encontre)

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[1] La déclaration du chargé de mission du gouvernement pour l’Allemagne de l’Est a suscité de tensions entre les régions à l’ouest du pays et les Etats de l’ancienne Allemagne de l’Est. Marco Wanderwitz (CDU), face aux résultats des sondages en vue des élections du 6 juin en Saxe-Anhalt qui donnent 20% à l’AfD (Alternative pour l’Allemagne), a lancé: «Nous avons affaire à des gens qui ont été en partie socialisés par une dictature de telle sorte qu’ils ne sont pas encore arrivés à la démocratie, même 30 ans plus tard». Il concluait qu’il fallait miser sur les «générations futures».

Cela lui a valu une réplique d’Angela Merkel, ce mercredi 2 juin, qui insista sur la nécessité de regagner ces personnes [votant pour l’AfD] car «dans une démocratie, chaque citoyen compte». Quant au gouverneur du Brandebourg, Dietmar Woidke (SPD), il a souligné que les «problèmes liés à l’extrême droite ne se limitent pas à l’Allemagne de l’Est».

Toutefois ce débat s’inscrit dans une conjoncture politique immédiate dans le Land de Saxe-Anhalt qui compte 2,2 millions d’habitants. Un Land frappé par la crise: sortie du charbon et restructuration du secteur de la chimie. Le taux de chômage officiel s’élève à 7,5%. Depuis 19 ans, la CDU gouverne ce Land (Etat). Or, le dernier sondage de l’institut Civey pour le Spiegel donne un seul point d’avance aux chrétiens-démocrates (CDU) en Saxe-Anhalt et l’AfD pourrait obtenir la position de leader régional, ce qui constituerait une première en Allemagne. Dès lors, deux problèmes en découlent. 1° Certains secteurs de la base de la CDU, face aux appels du pied de l’AfD, pourraient se montrer favorables à un accord avec l’extrême droite, ce qui est refusé par Reiner Haselhoff qui est à la tête du Land depuis 2011. Ce qui renvoie aux relations établies par la droite en direction de l’extrême droite, avec le renforcement qui en découle pour cette dernière. 2° Une défaite de la CDU aurait un impact sur la dynamique de l’élection à la Chancellerie d’Armin Laschet. (Réd. A l’Encontre)

PS: Selon les résultats du 7 juin au matin, la CDU a obtenu 37,1% des voix (avec un taux de participation de 61%). Si ce résultat est plus en faveur de la CDU, par rapport à l’AfD (20,8%) que ne laissaient penser les sondages, il faut toutefois noter que le cumul des voix de Die Linke (11% en troisième position) et du SPD (8,4% en quatrième position) est inférieur au résultat de l’AfD. Ce qui donne une estimation de l’influence d’une AfD très profilée à l’extrême droite en Saxe-Anhalt. Quand bien même l’AfD obtient des résultats avoisinant les 25% dans d’autres Länder. (Réd. A l’Encontre)

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