Par la rédaction de Frontier
Cette semaine, la réouverture forcée des écoles par la junte est tombée à plat; la troisième vague Covid-19 a continué à enfler; de nouveaux groupes armés sont entrés dans le combat dans l’Etat de Kayin; des responsables de la junte et des informateurs présumés ont été tués dans tout le pays. (Frontier Fridays)
La réouverture forcée tombe à plat
Les tentatives de la junte de rouvrir de force les écoles après une année de fermeture due au Covid-19 ne se sont pas déroulées comme prévu. De nombreux élèves et enseignants ont boycotté l’école pour défier le pouvoir militaire. La Fédération des enseignants du Myanmar (MTF) a estimé qu’environ 10% seulement des quelque 9 millions d’élèves du Myanmar se sont inscrits pour l’année scolaire 2021-22, qui a débuté le 1er juin. Et plus de la moitié des 400 000 enseignants restent en grève. Même parmi les 900 000 étudiant·e·s dont on estime qu’ils se sont inscrits, le MTF pense que beaucoup n’ont pas réellement assisté aux cours, ce qui a apparemment été confirmé par les médias d’Etat.
«Sur les 384 268 inscriptions d’étudiants dans la région de Yangon, un total de 256 818 étudiants étaient» présents dans les écoles le 2 juin, a rapporté Global New Light of Myanmar. «Malgré toute la préparation de la réouverture des écoles, les parents envisagent toujours d’envoyer leurs enfants à l’école», poursuit l’article, avant de tenter de mettre le faible taux de participation sur le compte d’une «rumeur sur Facebook». Un article paru le lendemain affirmait que certains parents n’avaient pas inscrit leurs enfants parce qu’ils étaient «en voyage». D’autres ont fait croire que les écoles étaient vides à cause de Covid-19. Un autre article paru cette semaine cite une directrice d’école qui a déclaré que seuls 30% des élèves étaient inscrits au Kamaryut TTC [établissement scolaire de Yangon], sans expliquer pourquoi tant d’entre eux étaient absents. La junte a déclaré à plusieurs reprises que les écoles permettraient aux enfants qui ne sont pas encore inscrits de le faire dans les prochains jours.
Bien entendu, les écoles vides n’ont rien à voir avec la désinformation, les voyages ou le Covid-19. Elles ont tout à voir avec la prise de pouvoir illégale et violente de l’armée, qui a conduit de nombreux étudiant·e·s, enseignant·e·s et parents à boycotter la «réouverture» en signe de protestation. Les étudiant·e·s ont manifesté dans le district de Salingyi, dans la région de Sagaing, en portant des uniformes scolaires verts et blancs, en faisant des saluts à trois doigts et en brandissant des slogans anti-junte. L’événement suscite toutefois quelques inquiétudes, étant donné que de nombreux participants semblent être extrêmement jeunes et que la junte a l’habitude de tirer sans discernement sur les manifestants pacifiques.
La situation est très différente dans l’Etat de Rakhine, qui a largement suivi sa propre voie depuis le coup d’Etat, ne se rangeant ni du côté de la junte ni du côté du gouvernement civil [d’opposition], mais évitant les manifestations de masse et les violences observées ailleurs. RFA Burmese (radio) a rapporté que sur les 382 000 étudiants qui se sont inscrits, environ 94% se sont présentés à l’école le jour de l’ouverture, mais cela reste nettement inférieur au nombre d’étudiants qui ont assisté aux cours dans l’Etat en 2019-20. Un responsable de l’éducation de l’Etat a déclaré à RFA Burmese qu’il y avait environ 539 000 étudiants cette année-là. Il y a cependant d’autres raisons à la faible participation dans l’Etat de Rakhine, étant donné les conflits majeurs qui y ont fait rage ces dernières années et qui ont entraîné la fermeture de certaines écoles ainsi que leur non-réouverture. Par exemple, le responsable de l’éducation a déclaré que 128 écoles ont fermé dans les districts de Buthidaung et Maungdaw en 2017 pendant la brutale campagne répressive de l’armée contre les Rohingyas. Et elles n’ont jamais rouvert.
La troisième vague déferle
Les cas de Covid-19 continuent d’augmenter, le Myanmar semble entrer dans sa troisième vague de la pandémie. Selon Radio Free Asia, six patients sont décédés cette semaine et trois communes ont été placées en quarantaine dans l’ouest du Myanmar, près de la frontière indienne. Les deux premières victimes confirmées sont une femme enceinte de 38 ans et son enfant à naître à Kyikha, dans le district de Tonzang de l’Etat Chin. L’ordre de rester à la maison (confinement) y a été donné, au même titre que pour les districts de Tamu et Kalay de Sagaing. Ces trois districts sont contigus et proches de la frontière indienne, qui est frappée par sa propre épidémie majeure de Covid-19.
Au total, plus de 500 nouveaux cas ont été signalés cette semaine (du 28 mai au 4 juin), avec des taux de positivité d’environ 5 à 6%. Sans surprise, le ministère de la Santé, contrôlé par la junte, n’a pas été aussi transparent que le gouvernement civil [d’opposition], ne fournissant aucune donnée quotidienne sur la répartition géographique des cas. Le Dr Khin Khin Gyi – qui était en poste sous le gouvernement de la LND (Ligue nationale pour la démocratie d’Aung San Suu Kyi) et a conservé son poste après le coup d’Etat – continue d’être une rare source de transparence au sein du ministère de la Santé de la junte, en fournissant sur sa page Facebook des données sur les cas découverts les 31 mai et 1er juin.
L’Etat de Chin est en tête: avec 52 cas dans le district de Tonzang, l’un des principaux points chauds, et six à Falam, où l’un des patients est décédé. Les districts de Kalay et de Tamu, à Sagaing, ont signalé respectivement 13 et 12 cas. Yangon a signalé 13 cas, mais neuf d’entre eux étaient des rapatriés récents qui ont été mis en quarantaine à leur arrivée. Trois ont été découverts à Yankin et un à Thingangyun qui n’avaient apparemment pas d’antécédents de voyage récent.
Il va sans dire que la dernière chose dont le Myanmar a besoin, c’est d’une nouvelle épidémie de Covid-19 qui viendrait s’ajouter à la crise politique, à l’extension de la guerre civile et à l’effondrement économique imminent. Avec les militaires au pouvoir, on peut s’attendre à moins de transparence de la part du gouvernement, et moins de confiance et de coopération de la part du public. Les mesures de confinement imposées (par le passé) par la LND se sont avérées relativement efficaces – bien qu’elles aient eu un coût économique considérable – car la plupart des citoyens ont respecté les règles (du moins au début). Cela a entraîné une diminution progressive du nombre de cas. Mais de nombreuses règles n’étaient pas strictement appliquées. Le respect des règles reposait en grande partie sur la confiance dans la LND et le désir d’aider le gouvernement à maîtriser le virus. Même si les gens prennent aujourd’hui des précautions pour protéger leur famille et leur communauté, il est difficile d’imaginer qu’ils seront prêts à faire les mêmes sacrifices pour un gouvernement militaire qu’ils considèrent comme illégitime.
De nouveaux adversaires dans l’Etat de Kayin
L’Etat de Kayin a été le théâtre d’un conflit cette semaine, alors que de multiples groupes armés sont entrés dans la mêlée révolutionnaire pour la première fois, affrontant les forces de la junte à Myawaddy. Le brigadier-général Saw Kyaw Thet – chef d’un groupe dissident de la Democratic Karen Benevolent Army – a déclaré que ses forces avaient été rejointes lors d’une récente attaque par des transfuges de la Karen Border Guard Force, du Conseil de paix de la Karen National Union/Karen National Liberation Army (KNU/KNLA), de la Karen National Defence Organization (qui fait partie de la Karen National Union) et des membres de la Myawaddy People’s Defence Force, une milice civile fidèle au gouvernement civil. Cette coalition a combattu la Tatmadaw (armée de la junte) et les Border Guard Forces karen, qui sont sous l’autorité de l’armée mais jouissaient d’un degré d’autonomie important avant le coup d’Etat.
Ces affrontements sont importants pour un certain nombre de raisons. Il s’agit d’un nouveau cas où les troupes de la People’s Defense Force (PDF), qui sont liées au gouvernement civil, combattent aux côtés de groupes armés ethniques, après que des résistants civils aient fait équipe avec l’armée karenni dans l’État de Kayah et l’armée de l’indépendance kachin dans la région de Sagaing. C’est également le premier cas confirmé où ces groupes karen mineurs prennent parti dans le conflit, alors même que l’un des principaux alliés de la Tatmadaw dans la région, le BGF (Border Guard Forces karen) montre des signes d’éclatement.
«Nous travaillons ensemble sur la base de la confiance en tant qu’alliance. Nous ne coopérons pas seulement dans la région du village Phlu, mais aussi à Kawkareik et dans tout l’État Karen. Nous sommes présents dans presque toutes les régions de l’Etat Karen», a déclaré Saw Kyaw Thet [brigadier qui a rompu avec les forces karen qui étaient liées à l’armée de la junte], ajoutant que «les tensions ne feront que s’accroître». Si le mouvement pro-démocratie se réjouit d’avoir davantage d’alliés, certains civils karens en ont payé le prix: environ 600 villageois auraient été déplacés, dont 400 ont franchi la frontière thaïlandaise.
Une série d’assassinats
La semaine a été mauvaise pour les responsables de la junte et les informateurs présumés, alors que les exécutions extrajudiciaires commencent à devenir un événement quasi quotidien et franchissent même certaines limites éthiques.
L’incident le plus grave s’est produit dans le district de Gangaw, à Mandalay, où cinq informateurs présumés ont été tués. Leurs corps ont été retrouvés près d’une voiture incendiée, avec un survivant gravement blessé. Le groupe comprenait deux administrateurs de village, un employé administratif, un enseignant et deux employés d’hôpital, tous deux des femmes, dont l’une était la seule survivante. Certains habitants ont affirmé qu’ils avaient été pris pour cible simplement parce qu’ils ne participaient pas au mouvement de désobéissance civile, tandis que les forces de défense de Yaw ont déclaré qu’ils étaient des informateurs qui transportaient des armes pour les forces anti-résistance, bien que nous n’ayons vu aucune preuve de cela.
Etant donné que la junte a remplacé la plupart des administrateurs de village par des remplaçants triés sur le volet, il est probable que ces deux victimes étaient liées à l’armée. Et comme les autres voyageaient avec les administrateurs vraisemblablement nommés par la junte, il n’est pas exagéré de penser qu’ils étaient également des sympathisants de l’armée. Il n’en reste pas moins que le fait de s’en prendre à des personnes qui ne travaillent pas explicitement pour le régime militaire, comme c’est le cas des administrateurs, constitue une escalade. Ce type de «justice populaire» pourrait facilement devenir incontrôlable et aboutir au massacre d’innocents par des villageois paranoïaques (si ce n’est déjà fait).
A Kalay, dans la région de Sagaing, trois informateurs présumés ont été attaqués dans la nuit de lundi à mardi, l’un d’entre eux ayant réussi à s’échapper tandis que les deux autres ont été poignardés à mort. L’une des victimes était accusée d’avoir guidé les forces militaires dans le village de Thazi, où huit civils auraient été arrêtés à la suite d’affrontements récurrents avec la Tatmadaw dans la région.
Les autres victimes de cette semaine étaient des cibles plus évidentes: il s’agissait de fonctionnaires locaux, de membres du Parti de la solidarité et du développement de l’Union (USDP), mandataire de l’armée, ou, dans un cas, du chef d’une milice pro-Tatmadaw. Un responsable de campagne de l’USDP a été tué dans le district de Khin-U à Sagaing samedi après-midi, abattu par deux hommes masqués après avoir prétendument affronté des villageois plus tôt dans la journée. Un autre membre de l’USDP a été tué mardi dans le district de Mohnyin, dans l’Etat de Kachin. Il était accusé d’avoir servi d’informateur et même d’avoir reçu un entraînement au combat de la part de la Tatmadaw, deux allégations que sa femme a fermement démenties.
Des responsables de l’administration locale ont également été assassinés dans le district de Taze à Sagaing, dans celui de Hlaing Tharyar à Yangon, et quatre responsables de trois villages différents ont été tués dans le district de Myingyan à Mandalay. Enfin, un groupe de sept hommes armés aurait exécuté le chef d’une milice alliée à la Tatmadaw à Hpakant, dans l’Etat de Kachin. (Lettre d’information de Frontier Fridays du 4 juin 2021; traduction rédaction A l’Encontre)
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