Environnement. Un catalogue d’un certain air du temps

Région de l’Alaska en train de brûler (Pierre Markuse)

Par Dahr Jamail

«Même si nous ne pouvons échapper à ses conséquences, il n’est pas trop tard pour échapper à l’état d’esprit qui nous a menés ici.» Alice O’Keeffe, dans la critique de l’ouvrage collectif publié en juin 2019 This Is Not a Drill: An Extinction Rebellion Handbook

L’Islande a organisé des funérailles [le 18 août] pour la disparition de son premier glacier à cause de la crise climatique. Le glacier Okjökull [littéralement «glacier Ok» en islandais] autrefois massif, aujourd’hui complètement disparu, a été commémoré par une plaque où il est écrit: «Une lettre à l’avenir. Ok est le premier glacier islandais à perdre son statut de glacier. Dans les 200 prochaines années, tous nos glaciers pourraient connaître le même sort. Ce monument atteste que nous savons ce qui se passe et ce qu’il faut faire. Vous serez les seuls à savoir si nous l’avons vraiment fait.»

Cette réalité se répercute dans le monde entier, bien au-delà de l’Islande. Même lorsqu’il n’y a pas de funérailles proprement dites, nous assistons en quelque sorte à des funérailles continues pour le monde que nous avons connu.

Juillet a été le mois le plus chaud jamais enregistré sur Terre depuis le début de la tenue des relevés en 1880. Neuf des dix mois de juillet les plus chauds jamais enregistrés ont eu lieu depuis 2005, et juillet a été le 43e mois consécutif à enregistrer des températures supérieures à la moyenne du XXe siècle.

Au Groenland, les scientifiques ont été stupéfaits par la rapidité avec laquelle la calotte glaciaire fond, car il avait été prévu que la glace ne devrait pas fondre ainsi avant 2070. Le taux de fonte a été qualifié de «sans précédent», car le record historique de fonte en une seule journée a été battu en août, lorsque la calotte glaciaire a perdu 12,5 milliards de tonnes d’eau. Il ne faut pas oublier que la calotte glaciaire du Groenland contient suffisamment de glace pour faire monter le niveau de la mer de 6 mètres. Il est maintenant prévu qu’elle perdra plus de glace cette année que jamais auparavant.

De plus, pour la première fois dans l’histoire, dans l’Arctique, la glace de mer autour de la côte de l’Alaska a complètement fondu. Cela signifie qu’il n’y avait absolument aucune glace de mer à moins de 150 milles de ses côtes, selon le National Weather Service, car l’Etat le plus au nord a cuit sous une chaleur record pendant l’été.

La Terre

Un récent rapport de l’ONU estime que 2 milliards de personnes sont déjà confrontées à une insécurité alimentaire de modérée à grave, due en grande partie au réchauffement de la planète. Les autres facteurs contributifs sont les conflits et la stagnation économique, mais les phénomènes météorologiques extrêmes et l’évolution des conditions météorologiques contribuent largement et de plus en plus à cette crise, qui va certainement s’aggraver avec le temps.

Une autre étude récente, intitulée «Adaptive responses of animals to climate change are most likely insufficient», a montré que de nombreux animaux ne sont plus capables de s’adapter assez rapidement à la crise climatique. Bien que les oiseaux pondent leurs œufs plus tôt à mesure que les températures et les conditions changent et qu’ils font ce qu’ils peuvent pour inciter leurs poussins à éclore plus tôt, ce n’est toujours pas suffisant pour suivre le rythme des changements climatiques spectaculaires. Beaucoup d’autres extinctions d’espèces se profilent à l’horizon.

Quant aux bélugas [cétacés blancs] de l’Arctique sont maintenant clairement dans une spirale conduisant à leur disparition, en grande partie à cause des impacts de la crise climatique, selon une autre étude. Le réchauffement des eaux, le manque de nourriture et la pollution font des ravages sur les baleines. Au cours des 20 dernières années, leur taux de croissance a diminué, ce qui signifie que leur capacité à chercher de la nourriture est maintenant aussi compromise.

Il est intéressant de constater que même des médias grand public comme People Magazine font maintenant état du désastre climatique, ce que la communauté médicale fait déjà depuis un certain temps. Elle s’attend à ce que les problèmes de santé mentale liés aux perturbations climatiques s’aggravent de façon spectaculaire dans l’avenir.

Au Groenland, les habitants sont déjà traumatisés par les impacts climatiques, car ils font face au fait que leur mode de vie traditionnel est clairement en voie de disparition. Courtney Howard, présidente du conseil d’administration de Canadian Association of Physicians for the Environment, a déclaré au Guardian qu’elle croit que la crise climatique aggrave l’état de santé mentale et physique dans le monde et que ces questions deviendront parmi les plus importantes de notre époque. «Les changements de température sont amplifiés dans les régions circumpolaires», a-t-elle affirmé au Guardian. Il ne fait aucun doute que les habitants de l’Arctique présentent maintenant des symptômes d’anxiété, de «chagrin écologique» et même de stress post-traumatique liés aux effets du changement climatique.

Dans le domaine financier, un historien économique de premier plan [William Nordhaus] a récemment averti que la crise climatique pourrait très bien devenir le déclencheur de la prochaine crise financière mondiale en provoquant de l’instabilité et des perturbations massives sur les marchés.

De façon désolante, une étude récemment publiée (American Society for Microbiology, à propos de Candida auris) a mis en garde contre le fait qu’une nouvelle superbactérie qui a éclaté en même temps sur trois continents pourrait bien avoir été provoquée par le réchauffement des températures. L’étude a montré comment une maladie fongique résistante aux médicaments s’est répandue de manière plus prononcée suite au réchauffement de la planète.

Un rapport récent du Canada a averti que la Colombie-Britannique pourrait subir les conséquences «catastrophiques» d’événements liés aux perturbations climatiques au cours des trois prochaines décennies. Il s’agit notamment de saisons de feux de forêt plus graves, de vagues de chaleur de plus en plus intenses et de plus en plus longues, de pénuries d’eau et d’une multiplication de tempête dans l’ensemble de la province.

Parlant du Canada, la Pediatric Society de ce pays a récemment averti que la santé des enfants allait être de plus en plus affectée par les effets négatifs des perturbations climatiques, y compris la pollution atmosphérique et le stress thermique.

L’eau

Des pannes de courant dues à la sécheresse frappent actuellement la population du Zimbabwe, où certaines régions sont privées d’électricité 18 heures par jour. Imaginez cela avec la chaleur de l’été. Les barrages hydroélectriques manquent d’eau. Les coupures de courant se propagent.

A Harare, la capitale du Zimbabwe, les robinets se sont asséchés, affectant plus de 2 millions de personnes, qui tentent de faire face au manque d’accès à l’eau potable municipale.

En Inde, 1 million de personnes ont été déplacées et au moins 270 ont été tuées par de graves inondations dues à des pluies de mousson plus fortes que d’habitude.

Aux Etats-Unis, l’été dans la ville de New York a servi d’avant-première des événements à venir, suite à une vague de chaleur extrême et d’inondations soudaines ayant assailli cette ville emblématique.

A l’opposé, une étude récente publiée dans Science Advances a averti que les méga-sécheresses vont probablement toucher le sud-ouest des Etats-Unis d’ici quelques décennies. L’étude indique que ces méga-sécheresses sont «presque certaines» et qu’elles seront d’une ampleur jamais vue depuis l’époque médiévale.

En même temps, d’ici à 2050, un autre rapport a averti que «la rareté des chutes de neige» deviendra beaucoup plus fréquente dans l’ouest des Etats-Unis. C’est important, car cela aggravera la crise de sécheresse imminente susmentionnée, car l’accumulation de neige dans les montagnes est essentielle pour fournir l’eau au printemps et en été.

Une étude récente et d’une importance capitale (World Resources Institute) a montré qu’un quart de la population mondiale totale dans 17 pays est déjà affectée par un stress hydrique extrême. Le Liban, le Qatar et Israël/Palestine sont en tête de liste des pays où les pénuries d’eau sont les plus graves, car la crise climatique croissante menace encore plus de «jours sans», soit des jours où les grandes villes vont littéralement manquer d’eau.

Pendant ce temps, le niveau de la mer continue sa montée inévitable et accélérée. Aux Etats-Unis, un rapport récent a montré comment 21 villes côtières, dont Miami Beach, Galveston, Atlantic City et Key West, seront bientôt immergées.

Galveston, dans l’Etat du Texas se tourne vers l’expertise néerlandaise pour obtenir de l’aide sur la façon de construire ce qui serait la barrière côtière la plus coûteuse et la plus ambitieuse du pays afin de se protéger contre l’intensification des ouragans. Depuis des siècles, les Pays-Bas conçoivent des moyens de protéger des parties importantes de leur pays contre la montée des eaux. Aujourd’hui, les compétences qu’elle a cultivées sont de plus en plus pertinentes dans le monde entier, ce qui donne à réfléchir.

Pendant ce temps, les océans continuent de se réchauffer alors qu’ils absorbent le plus gros de la chaleur que l’activité humaine ajoute à l’atmosphère. Et le réchauffement des eaux pousse littéralement le saumon du Pacifique à la limite de sa capacité de survie, selon un autre rapport (Inside Climate News).

Une étude récente (PNAS) a montré que les vagues de chaleur inattendues en mer sont en train de devenir la norme plutôt que l’exception.

Les voies d’alpinisme dans les Alpes se fragilisent avec la fonte des glaciers et des champs de glace. Les voies d’escalade en montagne, qui dépendent de la glace, se désagrègent suite à la fonte des glaces plus rapide qu’on ne le pensait.

Les scientifiques se sont dits alarmés et choqués par le fait que le pergélisol [sol gelé en permanence et imperméable] de l’Arctique canadien se dégèle 70 ans plus tôt que prévu.

Les choses sont si terribles dans les «royaumes glacés de la Terre» qu’un pays comme l’Islande se prépare maintenant à faire face à la situation sans plus de glace… quelque chose dont dépendent son identité, ses entreprises, son gouvernement et son existence même.

Le feu

Des photos satellites montrent un Arctique brûlant devant nos yeux. En Alaska seulement, au moment d’écrire ces lignes, au moins 1,6 million d’acres ont été brûlées par au moins 100 feux de forêt cet été. Les feux de forêt en Sibérie pourraient bien brûler jusqu’en octobre, lorsque les premières neiges tomberont, car au moins 6,7 millions d’acres ont brûlé en Russie.

Un autre rapport a montré qu’en raison des perturbations climatiques, les incendies de forêt en Californie sont déjà devenus 500% plus importants qu’ils ne l’étaient depuis les années 1970.

Les médias canadiens rapportent que les forêts qui ont été brûlées dans le nord-ouest du Pacifique ne repoussent pas comme prévu. Cela remet en question la capacité de nombreuses espèces d’arbres à se régénérer à mesure que les feux deviennent de plus en plus chauds, brûlent plus longtemps et crament des zones plus étendues.

Dans le même temps, un autre rapport a réaffirmé le fait que même le nord-ouest pluvieux est maintenant confronté à l’inévitable augmentation des risques d’incendies de forêt en raison des températures plus élevées, de l’augmentation de la sécheresse et de la baisse d’humidité.

L’air

D’ici à 2050, la Floride aura plus de jours où la température sera de 37,7 degrés Celsius que tout autre Etat des Etats-Unis, selon une étude récente. Washington D.C. compte actuellement en moyenne une semaine par an de journées à 37,7 degrés, alors que d’ici à 2050, cela pourrait passer à deux mois. La même étude a averti que les perturbations climatiques exposeront des millions de personnes à travers les Etats-Unis à des chaleurs extrêmes «hors norme».

Pendant ce temps, l’Europe a connu une vague de chaleur record cet été, alors que la chaleur provenant du Sahara a «cuit» le continent et que les records de température ont été battus. Il y a beaucoup trop de relevés pour que l’on puisse les citer tous, mais il faut noter que l’Allemagne, la Belgique et les Pays-Bas ont enregistré leurs températures les plus élevées jamais enregistrées, après les records du mois de juin.

Au Canada, la communauté de l’extrême nord du Nunavut [territoire de 2 millions de mètres carrés, avec une population de 35’000 habitants] a connu des températures plus chaudes que la ville de Victoria, loin au sud. Selon CBC News, «la source de cette température arctique similaire à celle d’une plage est un grand courant d’air qui, d’une façon ou d’une autre, s’est dirigé vers le nord à partir du sud-est des Etats-Unis» – un phénomène beaucoup plus courant à mesure que le réchauffement s’intensifie.

Déni et réalité

Toujours occupée à nier la crise, l’administration Trump a enterré le mois dernier un vaste plan de réponse aux perturbations climatiques, comme l’a révélé Politico. Cette publication a révélé comment le ministère de l’Agriculture a empêché la publication d’un plan d’ensemble déjà achevé sur la meilleure façon dont le gouvernement devrait réagir à la crise climatique.

Pendant ce temps, dans ce qui aurait pu être un lapsus, Rick Perry, secrétaire à l’Energie de Trump, a déclaré lors d’une récente interview télévisée à l’échelle nationale: «Le climat est en train de changer. Sommes-nous une partie de la cause? Oui, nous le sommes. Je vais laisser les gens débattre de qui est le plus gros problème ici.»

Ce n’est pas seulement l’administration de Trump qui alimente le déni. Il a également été révélé comment le président du DNC [Conseil national démocrate] Tom Perez a présenté une résolution visant à tuer un débat sur le climat parmi les candidats démocrates à la présidence.

Néanmoins, la réalité a une façon de ne pas disparaître, malgré les efforts humains de déni. Un rapport récent (Monash University à Melbourne) a montré que la crise climatique est déjà bien avancée en termes de mortalité infantile et de retard de croissance en Australie et dans le Pacifique. Parmi les autres impacts sur les enfants, mentionnons une diminution de la capacité cognitive et une plus grande susceptibilité à la propagation des maladies.

Et, pour garder tout cela en perspective, en guise de dernier rappel à la réalité, la combustion de combustibles fossiles a atteint un record historique l’an dernier, selon le géant pétrolier BP (Statistical Review of World Energy).

En ce qui concerne le taux d’accélération maintenant intégré au système, la moitié de tous les combustibles fossiles utilisés par les humains ont été brûlés depuis seulement 1990. Beaucoup d’autres conséquences se profilent à l’horizon. En effet, il faut au moins 10 ans avant que nous commencions à voir les impacts du CO2 une fois que les combustibles sont brûlés. (Article publié sur le site Truthout, le 3 septembre 2019; traduction rédaction A l’Encontre)

Dahr Jamail est l’auteur de The End of Ice: Bearing Witness and Finding Meaning in the Path of Climate Disruption (The New Press, 2019).

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