Survenue le 12 août, la catastrophe de Tianjin, sans être aussi lourde que celle de 1986 à Tchernobyl en URSS, préfigurait des inquiétudes de tous ceux qui, pensant peut-être que les arbres poussent jusqu’au ciel et que la «croissance chinoise», rattrapant à marche forcée les années de folie maoïste, avait vocation à éclipser le caractère dictatorial du régime dit communiste. Le 22 septembre, Patrick Saint-Paul, correspondant du quotidien Le Figaro à Pékin, donnait sous le titre «À Tianjin, la colère ne retombe pas» d’importantes informations.
• Plus d’un mois après les multiples explosions qui ont dévasté les installations du port et soufflé les façades des immeubles résidentiels, les visiteurs indésirables, refoulés par la police, pénètrent dans le périmètre sécurisé par un petit accès dérobé. A l’intérieur de ce «ground zero» chinois, des hommes revêtus de combinaisons blanches et de masques les protégeant des émanations de gaz toxiques décontaminent les containers épargnés par les déflagrations géantes.
• D’autres, équipés de camions-citernes, pompent les eaux verdâtres d’un lac de polluants hautement toxiques, serti de montagnes de débris: c’est là que se trouvaient les entrepôts de Ruihai International Logistics, dont les stocks de produits chimiques ont provoqué l’un des pires désastres industriels de Chine de ces dernières années.
Plus de 3 000 tonnes de substances dangereuses étaient stockées dans l’entrepôt incriminé, dont 700 tonnes de cyanure de sodium, une poudre hautement toxique pouvant produire des gaz asphyxiants mortels. (…)
«Les patrons ne nous ont pas dit si c’est toujours toxique dans la zone», explique cet employé embauché peu après les explosions du 12 août pour nettoyer et décontaminer le périmètre. «Mais lorsqu’ils nous ont tendu les combinaisons et les masques, pas un seul gars n’a refusé de les prendre.»
• Ayant renoncé à tout espoir de retrouver des survivants ou même les corps des huit personnes toujours portées disparues, le gouvernement a interrompu les recherches. Le décompte officiel des victimes a été définitivement fixé à 173.
• Les autorités locales ont annoncé la construction d’un monument aux morts, qui sera érigé sur le site des explosions, au cœur d’un futur «parc écologique». Elles prévoient également de construire des écoles et des jardins d’enfants. Cependant, leurs annonces n’ont pas tempéré la colère des habitants. Les déflagrations géantes, parties de l’entrepôt de produits chimiques, ont dévasté une partie de la zone portuaire de Tianjin et des quartiers résidentiels adjacents. Les explosions et les incendies qui ont suivi ont avivé les inquiétudes quant à la dispersion de polluants hautement toxiques dans l’air et les eaux de Tianjin. Des échantillons d’eau prélevés sur la zone du désastre ont montré une concentration de cyanure vingt-sept fois plus élevée que la norme. (…)
• Un panneau publicitaire annonce fièrement que Vanke Harbor est la «meilleure résidence de la zone de libre-échange» de Tianjin. Pourtant, les milliers d’habitants évacués ne sont pas près de revenir en dépit de l’affiche postée par les autorités locales promettant que «le plan de retour est en cours d’exécution». Des soldats et des policiers accompagnent quelques rares résidents venus récupérer des affaires dans leurs appartements. (…)
• La colère gronde aussi chez les familles des pompiers décédés en combattant le feu dans la zone portuaire. Sur les 96 pompiers tués pendant les opérations, 73 travaillaient pour l’entreprise gérant le port de Tianjin. Les 23 autres soldats du feu faisaient partie des pompiers de la ville de Tianjin, qui dépend du ministère de la Sécurité publique. Ces derniers, qui bénéficiaient de meilleurs salaires et d’autres avantages, ont reçu les honneurs publics et des funérailles organisées par l’État. Des compensations financières ont été attribuées à leurs familles. De leur côté, les familles des pompiers du port répandent leur amertume et leur colère sur le réseau social Weibo. Notamment parce que leurs disparus, jeunes et inexpérimentés, ont été envoyés en première ligne.
«Mon fils a été envoyé sur terrain dès la première explosion, mais pour l’instant on nous cache toujours les circonstances exactes de son décès, nous confie le père de l’un des pompiers, disparu à l’âge de 19 ans et dont le corps n’a pas été retrouvé. C’est irresponsable d’envoyer des jeunes pompiers, sans expérience, sur des terrains aussi dangereux. Les pompiers employés par le port et les pompiers officiels ont fait le même boulot. Ils ont tous été sacrifiés dans la même explosion. Nous revendiquons les mêmes récompenses, les mêmes honneurs. Pour l’instant, le gouvernement s’est contenté de vagues promesses. Nous attendons des gestes concrets.»
• Mis en cause pour son manque de transparence et pour sa gestion de la crise, le gouvernement n’a toujours pas fait la lumière sur les causes exactes de la catastrophe. Depuis, deux autres explosions dans des entrepôts stockant des produits dangereux ont accentué les craintes d’un nouveau désastre de grande ampleur.
«Le monde envie à la Chine sa croissance économique. Mais il doit comprendre qu’elle est fondée sur le sang», écrit Mei Gu Bai Ke sur Wei-bo.
«Le gouvernement a du mal à gérer les entreprises de produits chimiques. Comment peut-on lui faire confiance pour la sécurité des réacteurs nucléaires?», s’interroge un autre utilisateur du réseau.
• La catastrophe de Tianjin est «la gifle politique la plus spectaculaire contre l’équipe Xi Jinping-Li Keqiang depuis son arrivée au pouvoir fin 2012, commente le politologue Zhang Lifan. Les explosions ont révélé des failles profondes du système politique, que l’équipe dirigeante avait refusé de traiter.» (Extrait de l’article du Figaro)
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