Débat. En finir avec les Jeux olympiques

Par Michel Caillat et Marc Perelman

Cet article est aussi un appel au débat sur le sport en général et sur les Jeux olympiques en particulier. Omniprésent dans la vie quotidienne, le sport, phénomène de masse qui mobilise et conditionne des millions de personnes, n’est ni neutre ni innocent. Il ne doit susciter ni l’indifférence, ni le rejet (ou l’amour) aveugle, ni le mépris. Il faut le prendre au sérieux. Vous pouvez signer cet appel, le soutenir, organiser des rencontres et conférences, et faire des commentaires par courriel à l’adresse suivante: lecacs@live.fr

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Budapest, Los Angeles et Paris restent en lice – jusqu’à une toujours possible nouvelle défection – pour devenir la «ville hôte» des Jeux olympiques de 2024 que le CIO (Comité international olympique établi à Lausanne) aura à choisir en septembre 2017. Plusieurs villes, qui s’étaient déclarées candidates pour accueillir les Jeux, se sont en effet retirées de la course: Boston (sans soutien populaire), Hambourg (après un référendum négatif), et dernièrement Rome qui, rappelant que la facture des Jeux de 1960 était encore payée par les Italiens, a renoncé à ceux de 2024 pour précisément ne pas «hypothéquer l’avenir de la ville». La victoire de Donald Trump est, pour certains observateurs, une mauvaise nouvelle pour Los Angeles. Pas si sûr. Le CIO a montré dans le passé que les déclarations sexistes, racistes, xénophobes ne perturbaient pas ses projets. En revanche, organiser les Jeux dans le pays d’un milliardaire peut faire rêver les membres du gouvernement olympique et servir la ville américaine.

Le constat est frappant: les Jeux olympiques attirent de moins en moins de villes susceptibles de répondre favorablement à un cahier des charges très pesant, imposé par le CIO et pas seulement en termes de coût. Car, trop d’observateurs l’oublient un peu vite, les Jeux olympiques ne sont pas qu’une affaire de «gros sous». Les redoutables conséquences économiques masquent beaucoup trop les effets politiques et idéologiques de cette «machinerie olympique » dont parlait Pierre de Coubertin. Contrairement à l’idéal d’apolitisme proclamé dans la Charte, l’Olympisme est politique au moins de deux manières: d’une part, il est traversé par tous les enjeux politiques d’une conjoncture historique donnée, d’autre part, il constitue une vision politique du monde.

L’histoire des Jeux olympiques modernes qui commence à l’orée de l’ère impérialiste est une longue répétition de forfaits, de complicités avec les puissances établies de ce monde et de connivences avec les pires régimes: Berlin 1936, Mexico 1968, Moscou 1980, Pékin 2008, Sotchi 2014. Le choix des villes illustre trop souvent les mots terribles prononcés par le dissident soviétique Vladimir Boukovski après le choix de Moscou: «Politiquement, une grave erreur; humainement, une bassesse; juridiquement, un crime.» Les discriminations raciales, religieuses, politiques, les campagnes de propagande au profit d’Etats totalitaires, les opérations de nettoyage et de répression préventifs au nom de la trêve, la militarisation de l’espace, l’éloignement définitif des plus démunis dans les quartiers refaits lors de la construction des sites, font de l’olympisme la continuation de la guerre par d’autres moyens. Entre les droits du sportif et les droits de l’homme le mauvais choix est toujours fait: les questions sociales et morales passent après les questions musculaires.

L’Olympisme est également politique parce qu’il est une «philosophe de la vie» comme le souligne le premier principe fondamental de la Charte. La conception du monde et de la société qui se dissimule derrière l’Idée olympique constitue une série de positions idéologiques, pédagogiques et culturelles qu’il faut analyser et combattre. Le Grand Livre de l’Eternel Olympique nous berce d’illusions : «L’olympisme se veut créateur d’un style de vie fondé sur la joie dans l’effort, la valeur éducative du bon exemple, la responsabilité sociale et le respect des principes éthiques fondamentaux universels. » Or, l’olympisme est intrinsèquement l’organisation aboutie du mensonge, de la dissimulation, de la prévarication, de la corruption. L’«olympisation» du monde, pour reprendre l’expression de Coubertin, est le pendant, trait pour trait, de la libéralisation généralisée de nos sociétés financiarisées dont la démocratie n’est pas l’objectif principal (le CIO est lui-même une instance dont les cent quinze membres ne sont pas élus mais cooptés).

Contrairement à ce que leur nom indique, les Jeux olympiques n’appartiennent pas au domaine du jeu puisqu’ils ne font jamais appel à une quelconque liberté d’organisation entre les individus (y compris celle d’arrêter de jouer), ne mélangent ni les sexes ni les âges et ne s’intéressent finalement qu’aux vainqueurs (les médaillés d’or). Le jeu méconnaît le dopage, l’entraînement démentiel, la professionnalisation, la victoire à n’importe quel prix alors qu’aux J.O., tout est performance, prouesse, record, rendement, dépassement de soi, nationalisme.

En outre, les J.O. ont fait disparaître les jeux traditionnels (les très nombreux jeux inventés par les Indiens aux États-Unis par exemple) au seul profit de sports dits modernes où dominent la concurrence généralisée entre individus et, en contradiction totale avec les textes officiels, l’implacable compétition entre nations.

La lecture de la Charte olympique permet encore de comprendre comment fonctionne cette machine idéologique à fabriquer mystifications et contrevérités. Le deuxième principe éclaire les objectifs : « Le but de l’Olympisme est de mettre le sport au service du développement harmonieux de l’humanité en vue de promouvoir une société pacifique, soucieuse de préserver la dignité humaine. » Rien que ça !

Le quatrième principe va plus loin encore en osant faire du sport un droit équivalent à la liberté, à la propriété et à la résistance à l’oppression : « La pratique du sport est un droit de l’homme. Chaque individu doit avoir la possibilité de faire du sport sans discrimination d’aucune sorte et dans l’esprit olympique, qui exige la compréhension mutuelle, l’esprit d’amitié, de solidarité et de fair-play.»

L’angélisme olympique, censé conduire à la fraternité universelle et au perfectionnement de l’homme en transcendant les oppositions de classes, sert trop souvent de paravent mystificateur à l’austérité quotidienne et à la barbarie. Demander aux hommes d’un univers aussi divisé que le nôtre, qui n’ont aucun système de valeurs communes, de s’affronter sur un stade en oubliant leurs antagonismes politiques et sociaux c’est minimiser ceux-ci. Masquer les contradictions et les conflits de la société a toujours été l’un des moyens essentiels de maintenir l’ordre établi. L’entreprise olympique a une nature profondément conservatrice.

Contre la propagande étatico-médiatique pour «Paris 2024», écoutons et diffusons le court mais incisif message du philosophe Walter Benjamin qui, en 1936, dénonçait lucidement ce faux idéal olympique : «Les Jeux olympiques sont réactionnaires.» Un autre philosophe, Theodor W. Adorno dénonçait, lui aussi, « le sport [qui] correspond à l’esprit prédateur, agressif et pratique ». De son côté, le sociologue et historien Jacques Ellul stigmatisait les Jeux olympiques, comme un «moyen de combat», avec ses «compétitions mortelles, affrontements sans merci, une véritable lutte manichéenne».

Oui, il faut en finir avec les Jeux olympiques et avec l’Idéal olympique. Convions sans tarder les Américains (Los Angeles) et les Hongrois (Budapest) à refuser avec nous l’Ordre olympique.

PS: Pour signer la pétition, cliquez sur ce lien:
https://www.petitions24.net/en_finir_avec_les_jeux_olympiques

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Michel Caillat est professeur d’économie et de droit, et auteur du livre:
Sport : l’imposture absolue, Editions le Cavalier Bleu, 2014

Marc Perelman est professeur d’esthétique et auteur du livre:
Le Sport barbare, Editions Michalon, 2012

 

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