Par le China Labour Bulletin
Les travailleurs et travailleuses de l’une des plus grandes entreprises chinoises de distribution de produits électroménagers, Gome [1], ont été licenciés et certains n’ont pas reçu de salaire depuis juillet 2022. Une centaine d’employés de Gome se sont rendus au siège de l’entreprise à Pékin les 5 et 6 décembre 2022, bloquant les bureaux, ce qui a conduit à des affrontements physiques avec la direction et à une intervention de la police. Remettons en perspective.
Gome Holdings est l’un des plus grands détaillants chinois d’appareils électroménagers, avec des magasins en dur et des plates-formes de commerce électronique. Le président de l’entreprise, cité par la publication en chinois Sina Finance, a déclaré qu’en 2023 l’entreprise prévoyait de fermer ses petits magasins dans 30 régions de Chine, pour n’en laisser que 276 en activité. Les consommateurs se sont d’ailleurs récemment plaints des effets de la situation financière de l’entreprise [des rumeurs de faillite ont circulé] sur les remboursements d’appareils non livrés et d’autres questions liées à des commandes.
En 2007, Gome Retail Holdings a créé un syndicat d’entreprise. En Chine, toutes les structures syndicales, y compris au niveau de l’entreprise, sont obligatoirement affiliées à la Fédération des syndicats de Chine. Lors de notre enquête syndicale sur le conflit travailleurs-direction à Gome, le China Labour Bulletin (CLB) n’a pas pu entrer en contact avec le syndicat d’entreprise. Pourtant, celui-ci a récemment été qualifié de «syndicat modèle» par la Fédération municipale des syndicats de Pékin. Or, un «syndicat modèle» est un syndicat qui défend les droits des travailleurs et travailleuses. Il tient les employeurs pour responsables du paiement des salaires et des prestations sociales dans les délais impartis. Par ailleurs, le syndicat de district de Tongzhou [quelque 1,5 million d’habitants], à Pékin, n’est pas intervenu dans les négociations en décembre 2022, bien qu’il ait été informé du problème lorsque nous l’avons appelé en janvier 2023.
Les négociations entre les travailleurs et la direction en décembre 2022 n’aboutissent pas au paiement des salaires et déclenchent de nouveaux conflits
Début décembre 2022, la direction de Gome a organisé des négociations avec les travailleurs et travailleuses après qu’ils ont protesté contre des licenciements et les salaires impayés. Les rapports indiquent qu’une vingtaine de représentant·e·s des salarié·e·s étaient présents à ces négociations. Ils ont réclamé leurs salaires de septembre, octobre et novembre 2022, ainsi que les primes semestrielles, les primes de performance et les versements du fonds de prévoyance logement qui tardaient depuis mai 2022.
Le président de l’entreprise a informé les représentant·e·s des salarié·e·s que Gome ne paierait pas les salaires pendant toute la seconde moitié de l’année et a écrit dans une lettre: «Si vous voulez rester, signez. Si vous voulez partir, ne signez pas et suivez les procédures légales de licenciement.»
Ce soir-là, le fondateur de Gome [Wong Kwong Yu] s’est présenté à la table des négociations et a déclaré: «Les employés sont sans vergogne»! Ses propos ont entraîné des affrontements physiques entre les salarié·e·s et les agents de sécurité, qui ont nécessité la médiation de la police. La discussion sur les salaires des salarié·e·s de Gome a duré huit heures sans qu’aucune solution ne soit trouvée.
Cette situation ne se limite pas à Pékin. Les salarié·e·s de Gome à Chengdu, dans la province du Sichuan, ont manifesté le 8 décembre 2022. Ils se sont rassemblés à l’intérieur des bureaux de Gome et ont déployé une grande banderole rouge pour réclamer leurs salaires durement gagnés.
Le syndicat de district de Tongzhou était au courant du conflit sur les salaires et les prestations sociales. Mais il ne représentait pas les salarié·e·s
Le syndicat d’entreprise du groupe Gome Holdings a été créé en 2007. Le 4 mars 2022, la Fédération municipale des syndicats de Pékin a décerné au syndicat d’entreprise du groupe Gome Holdings le titre honorifique de «Maison modèle de Pékin pour les employé·e·s», suite à activités de l’année précédente. Cinq mois seulement après l’attribution de ce titre au syndicat d’entreprise de Gome, l’entreprise a commencé à ne pas payer les salaires de ses employé·e·s!
Lors de la remise du prix, le syndicat municipal de Pékin a fait l’éloge du syndicat d’entreprise, déclarant qu’il avait réalisé des avancées dans la protection des droits et des intérêts des travailleurs et travailleuses. Il a notamment organisé une journée au cours de laquelle les représentants syndicaux s’adressent aux travailleurs de première ligne pour connaître leurs préoccupations et répondre à leurs questions.
Le directeur du syndicat du district de Tongzhou, Li Zhiyong, a assisté à la cérémonie de remise des prix en mars 2022. Mais lorsque le CLB a appelé le bureau du syndicat du district de Tongzhou, en janvier 2023, Li Zhiyong n’était pas présent. Le personnel présent a révélé que le syndicat n’avait pas entendu les revendications des travailleurs de première ligne dans le cadre de ses activités:
- CLB: Au cours du processus d’intégration du syndicat d’entreprise de Gome dans vos activités syndicales, avez-vous pris connaissance du problème des arriérés de salaires à Gome?
- Le représentant du syndicat de Tongzhou: Non, nous n’en avons pas entendu parler. Nous n’avons parlé que des activités syndicales et de rien d’autre. Ceux avec qui nous avons eu des contacts étaient les responsables, et pas les travailleurs ordinaires.
- CLB: N’est-ce pas un peu étrange, si vous me permettez l’expression? La logique veut que le syndicat d’entreprise et le syndicat de district soient là pour mener des activités syndicales, et que celles-ci soient destinées à protéger les droits et les intérêts des travailleurs et travailleuses, n’est-ce pas?
- Le représentant du syndicat de Tongzhou: Oui, ce sont les responsabilités de notre département, le département de défense des droits.
- CLB: Donc, dans ces démarches syndicales, par exemple à Gome, en lien avec le syndicat d’entreprise, aucun travailleur n’y a participé?
- Le représentant du syndicat de Tongzhou: Nous… ils… Le syndicat d’entreprise de Gome et nous – nous ne faisons que des démarches d’information, et nous n’avons pas de contact direct avec les travailleurs ordinaires.
Les changements économiques affectent les plus grandes entreprises chinoises. Les syndicats, au niveau de l’entreprise et au niveau national, doivent se ranger aux côtés des travailleurs pour défendre leurs droits
Le conflit survenu chez Gome est en rapport avec l’évolution de la configuration économique en Chine, alors que les détaillants traditionnels se débattent dans le nouveau contexte du commerce électronique et dans les changements de comportement des consommateurs suite à la pandémie. Par exemple, dans la chaîne de distribution Carrefour [française], cinq actions collectives distinctes se sont développées dans quatre sites, depuis décembre 2022.
Les plus grandes entreprises chinoises emploient des salarié·e·s dans divers secteurs, allant de la fabrication au transport et à la logistique, en passant par les services et la technologie. Lorsque ces géants sont confrontés à des difficultés financières liées à la situation économique générale de la Chine, l’augmentation des revendications des travailleurs et travailleuses ne devrait pas être une surprise, surtout pas pour les syndicats d’entreprise de ces sociétés.
Et lorsque les salarié·e·s font face aux déséquilibres de pouvoir inhérents aux négociations avec les directions, le syndicat doit se ranger à leur côté et plaider en faveur d’une résolution raisonnable qui respecte leurs droits fondamentaux. (Article publié sur le site China Labour Bulletin, le 4 avril 2023; traduction rédaction A l’Encontre)
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[1] La firme de distribution d’appareils électro-ménagers GOME Retail Holdings Ltd a été créée en 1987. Dès 1999, elle a développé son réseau en dehors de Pékin, puis s’est implantée à Hongkong. Elle est entrée en bourse à Hongkong en 2004. Son siège social est installé aux Bermudes. (Réd.)
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