Syrie. La crainte d’être «soutenus contre l’EI, mais pas contre El-Assad»

Combattant de l'ASL, en juillet 2013
Combattant de l’ASL, en juillet 2013

Par A l’Encontre et Hélène Sallon

Depuis ce dimanche 21 septembre 2014, la Turquie semble mettre en place une sorte de «zone tampon» à la frontière de la Syrie. Initialement, le projet du gouvernement turc était de l’installer – en particulier pour les Syriens des régions kurdes du pays – sur le territoire de Syrie. Etant donné l’évolution des affrontements avec l’Etat islamique (EI) dans le canton de Kobané – où des combattants kurdes, certains venant actuellement de Turquie ou déjà présents en Syrie, se battent contre les attaques des djihadistes de l’EI – le régime turc organise une sorte de zone tampon du côté turc. Le résultat: 1° Une partie les Kurdes syriens, ne pouvant continuer à se réfugier par milliers (70’000 à 100’000 le sont déjà en Turquie selon certaines estimations), risquent de se trouver face à face aux djihadistes; 2° les combattants du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan, formation combattue par le gouvernement turc) qui combattent en Syrie contre l’EI ne pourront plus circuler aussi «facilement» des deux côtés de la frontière syro-turque; 3° une séparation va être instaurée entre les réfugié·e·s qui se trouvent dans des camps, sur le territoire de la Turquie, et ceux qui se trouvent sur le territoire de la Syrie.

D’ailleurs la répression a frappé des députés (à l’assemblée de Turquie) pro-kurdes qui sont venus sur la frontière turco-syrienne pour réclamer son ouverture. Ils sont membres du HDP (Parti démocratique populaire), une formation qui a réuni un nombre fort important de voix lors de la dernière élection présidentielle en Turquie le 10 août 2014.

Le 20 septembre: réfugié·e·s kurdes à la frontière Syrie-Turquie
Le 20 septembre: réfugié·e·s kurdes à la frontière Syrie-Turquie

La poussée de l’EI en Syrie «complexifie» une situation – où la barbarie prend le premier rang – et pose, de fait, la question de l’alliance, de facto, entre le pouvoir iranien et celui des Etats-Unis, ou plus comme l’indique la rencontre, ce dimanche 21 septembre à New York, entre John Kerry et Mohammad Javad Zarif, son homologue iranien; en outre est sous la loupe de l’OTAN le positionnement du gouvernement turc (dont les 46 otages officiels – diplomates et membres des services de sécurité – retenus à Mossoul par l’EI depuis le 11 juin ont été libérés le 20 septembre) face à la «coalition internationale» mise en place par Obama, une coalition hétéroclite devant avancer sur un terrain miné. En effet, l’EI est l’enfant bâtard: de la politique du gouvernement irakien d’AL-Maliki, engoncé dans un système institutionnel mis en place par les Etats-Unis, plus que porté sur une gestion brutale, clanique, clientéliste et «milicienne», sans que le succès du «nouveau» gouvernement irakien Abadi – avec Al-Maliki toujours en toile de fond – soit assuré, loin de là; du jeu confessionnel et de la guerre menée par la dictature de Bachar el-Assad; de la politique des Etats-Unis dans la région, au moins depuis 2003; des diverses opérations militaro-diplomatiques de l’Arabie saoudite et du Qatar en Syrie; de la réouverture violente, militaire, de la crise au Yémen, pourtant modèle de transition présenté comme «à suivre» par les Etats-Unis, où l’accord de paix – annoncé aujourd’hui – est plus que fragile, car l’affrontement pour le pouvoir et la redistribution des contrôles régionaux dépasse un conflit caractérisé de manière fort simpliste comme un strict affrontement chiite-sunnite; sans mentionner la dynamique contre-révolutionnaire à l’œuvre dans un pays comme l’Egypte dont le gouvernement Sissi est un intermédiaire clé et intéressé entre Israël et l’Autorité palestinienne (AP).

Pour information nous publions ci-dessous un article utile d’Hélène Sallon. (Rédaction A l’Encontre)

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Mais tôt ce matin les forces de sécurité ont donné l’assaut contre le camp de Mürsitpinar alors que des Kurdes de Turquie venaient apporter leur aide à leurs cousins réfugiés de ce côté de la frontière. Pourquoi ? C’est difficile à comprendre, mais il est possible qu’avec le passage vers le Kurdistan syrien de combattants du PKK, donc la rébellion kurde de Turquie, Ankara ait raidi sa position et veuille deux choses : d’abord isoler les réfugiés kurdes de Syrie dans des camps du gouvernement, et ensuite empêcher les Kurdes de Turquie de passer côté syrien pour aller défendre le canton de Kobané contre l’offensive des jihadistes de l’organisation Etat Islamique, qui fait rage depuis près d’une semaine.

C’est la raison de la présence ce matin de plusieurs députés pro-kurdes – dont l’un, Hüsamettin Zenderlioglu, député du HDP, a été blessé et hospitalisé- venus ce matin rendre visite aux réfugiés kurdes syriens : ils demandaient l’ouverture de la frontière.

Les Kurdes persona non grata

Il est certain que la situation est de plus en plus délicate pour Ankara. Trois ans de répression du régime de Bachar el-Assad ont poussé vers la Turquie quelque deux millions de Syriens, « amis », peut-on dire, car arabes ou turkmènes musulmans sunnites, partisans de l’Armée Syrienne Libre soutenue par la Turquie contre Damas.

Cet afflux de réfugiés n’a guère jusque-là causé de problèmes. Mais depuis l’offensive en juin des jihadistes de l’Etat Islamique sur l’Irak, mais aussi sur le Kurdistan syrien, ce sont des Kurdes qui s’invitent en Turquie (déjà plus de 100’000 au cours du mois écoulé). Ceux-ci sont cette fois des « amis » – et même des cousins – des Kurdes de Turquie, et cela pose un problème de conscience aux dirigeants turcs, toujours réticents à donner des gages à leur minorité turque, à lui tendre la main, à lui laisser l’initiative, surtout pour disposer des mouvements de populations aux frontières du pays.

Les Kurdes, c’est certain, ne bénéficient pas du même traitement de faveur que la première vague de réfugiés syriens, installés dans des camps et souvent aussi dans les villes.

Installé dans un endroit tenu secret le long de la frontière syrienne, côté turc, le commandement des opérations militaires est au cœur du programme américain de soutien à l’opposition syrienne dite modérée.

Depuis ce centre opérationnel, le ministère de la défense américain devrait superviser, avec le soutien de ses alliés, un programme d’un an pour entraîner et armer la future force rebelle, qui mènera sur le terrain la lutte contre l’Etat islamique (EI). La loi, qui prévoit l’allocation de 500 millions de dollars (390 millions d’euros), a été approuvée au Parlement et signée, vendredi 19 septembre, par le président Barack Obama. La formation de 5000 combattants, que l’Arabie saoudite s’est engagée à accueillir sur son territoire, prendra «des mois», a averti sa conseillère à la sécurité nationale, Susan Rice.

Aux yeux de l’opposition syrienne, le soutien que lui a publiquement témoigné M. Obama contre le régime du président Bachar El-Assad intervient trop tard. Depuis mars 2011, le conflit a fait plus de 190 000 morts. L’Armée syrienne libre, qui avait conquis les provinces du nord et de l’est du pays grâce à l’appui de dizaines de milliers de combattants en 2012, n’est plus que l’ombre d’elle-même. Les forces rebelles modérées, désormais éclatées en une myriade de groupes locaux, n’ont pas réussi à contrer la montée en puissance des groupes islamistes et, notamment, la prise de contrôle par l’EI de la majeure partie des zones libérées.

Quelques milliers de combattants

Face à l’ampleur de la menace, le programme américain paraît insuffisant. «La stratégie américaine n’est pas claire. Elle vise à combattre l’EI et à affaiblir le régime sans l’abattre pour imposer une solution politique dont Assad ne fera pas partie», estime le politologue Ziad Majed. Au sein de l’opposition, prise en étau entre le régime de Damas et le groupe djihadiste, l’unanimisme se fissure. «De nombreux groupes craignent d’être utilisés par les Américains comme milices supplétives contre l’EI et de ne pas être soutenus contre Assad», souligne le politologue Thomas Pierret. «Si les avions américains bombardent l’Etat islamique et qu’en même temps le régime syrien continue de bombarder Alep sans que les Américains ne l’en empêchent, cela aura une résonance catastrophique auprès de l’opposition», poursuit-il.

Plusieurs de ses chefs ont déjà été la cible de tentatives d’assassinats. Mardi, le commandant du Front des révolutionnaires syriens, Jamal Maarouf, a échappé à un raid aérien du régime, dans lequel sa femme et son adjoint ont été tués. Le 9 septembre, le commandement du groupe Ahrar Al-Cham a été décapité dans une attaque, dont l’origine reste à ce jour mystérieuse.

Certaines critiques s’alimentent de la compétition engagée entre factions armées pour bénéficier du soutien américain. L’aide pour payer les salaires, les formations et l’armement des combattants est destinée à des groupes, triés sur le volet, dont l’idéologie est jugée modérée. Washington soutient déjà directement depuis plusieurs mois quelques milliers de combattants réunis au sein d’une dizaine de groupes. L’Arabie saoudite joue un rôle central dans le processus de sélection. Certains groupes, jugés proches des Frères musulmans, soutenus par les rivaux saoudiens que sont le Qatar ou la Turquie, ont été écartés.

Ces armes tomberont-elles aux mains des djihadistes?

Les critères de sélection créent des disparités géographiques dans le soutien aux groupes armés, du fait de la difficulté pour les alliés à dissocier dans certaines localités entre groupes. «Il y a un manque terrible de soutien à Alep où l’opposition combat l’Etat islamique et le régime en même temps. Il faudrait (…) des missiles sol-air pour protéger la population des raids aériens du régime», indique M. Majed.

Au niveau local, certains groupes « modérés » ont tissé des alliances avec les djihadistes du Front Al-Nosra contre l’EI. La question de fournir un armement sophistiqué à ces groupes, comme des missiles sol-air pour combattre contre les avions du régime syrien, fait à nouveau débat, de crainte de voir ces armes tomber aux mains des groupes djihadistes. Les combattants syriens évoluent d’un groupe à l’autre au gré de l’offre de salaires, d’armes et la discipline de combat. «Ce serait un scandale politique si Al-Qaida faisait une attaque avec des armes américaines, un massacre», explique Aron Lund, analyste au centre Carnegie.

Dans la perspective de l’aide américaine, toute la scène militaire pourrait se recomposer, estiment les experts. Certains groupes, qui avaient adopté un agenda « islamiste » pour séduire des donateurs étatiques et privés, opèrent un repositionnement dans leur discours et leurs tactiques. Plusieurs brigades du Front islamiste se sont ainsi dissociées en août du groupe salafiste Ahrar Al-Cham. Le Qatar et la Turquie, rappelés à l’ordre par les Etats-Unis, ont pris des mesures pour tarir les flux de financement vers les groupes islamistes jugés radicaux, à l’instar du groupe djihadiste Al-Nosra, filiale d’Al-Qaida en Syrie. (Publié dans Le Monde des 21-22 septembre 2014, p. 2)

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