Le parti démocrate va-t-il refuser la nomination de Sanders, même s’il gagne?

Par William Rivers Pitt

De nos jours, tous les supporters de Bernie Sanders auxquels je parle manifestent les mêmes sentiments ambivalents dans leur existence politique. Ils sont, à la fois, optimistes et terrifiés, prudents et joyeux. Pourquoi? Leur candidat est clairement en tête pour obtenir l’investiture présidentielle d’un Parti démocrate dont le noyau dur de l’establishment ne veut rien d’autre que stopper Sanders dans sa course.

Le fait que le parti puisse contrecarrer sa nomination lors de la convention [qui se tiendra du 13 au 16 juillet à Milwaukee dans le Wisconsin] alimente les craintes du camp Sanders et atténue leur plaisir. L’appareil du parti dispose des outils nécessaires pour y parvenir si les pièces du puzzle se mettent en place. Cette situation instable laisserait n’importe qui dans le désarroi.

Voici un exemple parmi d’autres des absurdités qui alimentent cet état binaire. Les personnes de l’establishment démocrate qui ont essayé de convaincre les gens que les succès de Sanders dans l’Iowa et le New Hampshire n’ont pas de sens sont les mêmes qui prétendent que ces succès équivalent à une défaite assurée et complète devant Donald Trump, le 3 novembre 2020 (date des élections).

«Si vous voulez avoir un gâteau, vous ne pouvez pas le manger, car si vous le mangez, vous ne l’avez plus.» Les enfants comprennent mieux ce genre de proverbe que la direction du Parti démocrate. Cette absurdité est largement diffusée par la tendance de l’establishment du parti et est amplifiée grâce à leur présence tonitruante dans les médias.

Sanders et le «plafond de verre» de l’establishment démocrate

La dernière ligne d’attaque contre Sanders a été qu’il «se heurte à un plafond», qu’il ne peut pas étendre sa base au-delà des étudiants en colère qui veulent tout avoir gratuitement et des guerriers rustres de Twitter qui peuvent être, oui ou non, des trolls russes payés (soit multipliant les messages). «Sanders met l’establishment démocrate en mode panique», peut-on lire à la une de Politico, le 24 février. «Les modérés croient fermement qu’une victoire de Sanders aux primaires scellerait la réélection de Donald Trump», explique l’article.

Et pourtant, dans ce même article de Politico, on trouve ceci: «Ce n’est pas seulement la victoire de Sanders, mais le caractère déséquilibré du résultat qui a fait peur aux démocrates modérés. En un jour, Sanders a prouvé qu’il pouvait élargir sa coalition au-delà de la base étroite qui, selon beaucoup, limiterait son attrait. En 2016, Sanders a eu des problèmes avec des électeurs afro-américains. Mais maintenant, il réduit l’écart entre lui et Joe Biden [considéré comme ayant une base auprès de l’électorat afro-américain] en Caroline du Sud.» L’idée que Sanders pourrait être un candidat national vraiment formidable commence à percer le brouillard d’inquiétudes des démocrates établis.

Les chiffres du Nevada témoignent de la force de Sanders qui se distingue par des détails explicites. Sanders s’est imposé dans pratiquement toutes les catégories requises pour faire éclater ce «plafond» auquel l’establishment démocrate voudrait nous faire croire et qui limiterait ses chances nationales: les électeurs latinos, les électeurs blancs, les femmes, les hommes, les électeurs syndiqués, les électeurs non syndiqués, et toutes les tranches d’âge sauf celle des 65 ans et plus. Si Biden a dépassé Sanders parmi les électeurs noirs du Nevada, ce n’est pas par une marge significative. Et Sanders a obtenu des gains réguliers dans ce secteur. Sa force auprès des électeurs noirs sera mise à rude épreuve en Caroline du Sud, le 29 février.

Peut-être plus important encore, Sanders est en train de gagner l’appui d’électeurs et d’électrices qui ne votent pas souvent ou qui n’ont jamais participé à des primaires auparavant. Près de la moitié du pays est restée chez elle en 2016. Si Sanders est le candidat qui peut les amener dans l’isoloir, ce dernier élément aboutirait à permettre la constitution d’une coalition extrêmement puissante et complète. En d’autres termes, Sanders construit une coalition qui ressemble à au Parti démocrate tel qu’il se présente au plan publicitaire: la diversité grâce à une vaste gamme de secteurs de la population et de groupes d’âge.

La statue que Sanders ne mérite pas

Si Joe Biden, Mike Bloomberg, Pete Buttigieg, Amy Klobuchar ou Tom Steyer étaient en train d’obtenir les mêmes résultats que Sanders, le parti élèverait des statues en leur honneur, et cela devant le siège du Comité national démocrate. Pourtant, avec tous les atouts dont Sanders dispose, avec tout l’élan qu’il suscite et tous les avantages dans les sondages qu’il détient, s’impose le slogan «Bernie ne peut pas gagner» lancé par l’establishment démocrate presque partout. Le New York Times, la chaîne câblée MSNBC, le Washington Post, et d’autres publications et canaux de diffusion font tous écho à ce thème.

Si Elizabeth Warren ou Tulsi Gabbard [députée du 2e district de Hawaii depuis 2013] occupaient la place actuelle de Sanders dans les primaires, nous aurions pratiquement la même conversation. C’est la vérité actuelle à laquelle est confronté tout candidat progressiste qui se présente à l’investiture démocrate. Le parti est violemment allergique à de tels candidats depuis la débâcle de McGovern en 1972, et plus encore depuis la «révolution» Reagan en 1980. Après que les Clinton ont repris le parti en 1992, leur potion magique a été de pencher à droite afin d’attirer des électeurs républicains «modérés».

Mais à mesure que le GOP [Great Old Party-Parti républicain] s’est déplacé à droite, les démocrates se sont rapprochés d’eux afin d’apaiser les électeurs qui trouveraient aujourd’hui un républicain comme Richard Nixon intolérablement liberal. C’est une recette pour l’échec, et les résultats sont devenus évidents. Le relatif faible résultat d’Hillary Clinton n’est pas un cygne noir [au sens d’un événement imprévisible qui a une faible probabilité de réaliser], mais un signal d’alarme rouge vif dont l’establishment démocrate refuse de tenir compte.

Les outils de l’establishment lors de la Convention

Lorsque la moitié du pays refuse de voter – alors même que le niveau des océans croît, que les coûts des soins de santé explosent et que la fiction d’une économie «saine» devient de plus en plus évidente –, cela signifie que vous faites fausse route.

Certains médias affirment que le Parti démocrate va se raviser, que la victoire sera son nouvel élixir si Sanders est capable de prolonger ses succès. Car les craintes de pertes seront compensées par des gains dans des régions où les démocrates craignent depuis longtemps de mettre les pieds, comme la Géorgie, le Texas et le Nevada. L’énergie des résultats des midterms [élections de mi-mandat pour renouveler l’ensemble de la Chambre des représentants et 35 sièges du Sénat, sur 100] de 2018 n’a pas diminué, et le mot «socialiste» n’est plus aussi effrayant qu’il l’était, surtout parmi les jeunes électeurs qui feront ou déferont ces primaires

Pourtant, il y a une raison pour laquelle Biden, Bloomberg, Klobuchar et Buttigieg n’abandonneront pas de sitôt leur campagne. Cette raison, c’est la convention de juillet. Si Sanders n’a pas suffisamment de délégués pour obtenir les 1991 (sur 3979) nécessaires, les règles d’investiture du parti permettront à des «super-délégués» [770 entrent alors dans la bataille, ce sont des élus, des personnalités du parti, qui sont libres de voter pour le candidat qu’ils veulent] de faire pencher la balance en faveur du candidat, cela avec une nette majorité de délégués. Ce quatuor de candidats de l’establishment nommé précédemment restera en place aussi longtemps qu’il le pourra, car ils voient la possibilité de devenir le candidat si le parti décide qu’il ne peut pas soutenir Sanders. Si Warren dépasse Sanders d’une manière ou d’une autre lors des prochaines échéances des primaires, elle sera confrontée au même dilemme face aux délégués à la convention: l’argent de Wall Street qui alimente l’establishment démocrate craint Warren autant que Sanders, sinon plus.

Ce n’est pas sans précédent. Les dirigeants du Parti démocrate ont refusé leur soutien à McGovern en 1972 [sénateur du Dakota du Sud, de janvier 1963 à janvier 1981], dans ce cas après qu’il a obtenu l’investiture, parce qu’ils avaient fait un calcul très cynique: dans leur esprit, un second mandat de Nixon était préférable à la perte de contrôle du parti.

Les pouvoirs en place au sein de l’establishment démocrate feront-ils le même calcul lors de la convention dans le Wisconsin cet été? C’est possible. Ils le peuvent, si Sanders ne parvient pas à capter une majorité de délégués pendant les primaires et les caucus. Ce sont les règles.

Il y a une scène dans le film de baseball Major League [datant de 1989] où l’équipe découvre que la propriétaire fait tout ce qu’elle peut pour les faire perdre pour son propre gain financier. «Eh bien alors, je suppose qu’il ne reste qu’une chose à faire», dit le receveur [le joueur qui reçoit les balles du lanceur] joué par Tom Berenger. «Gagner ce foutu match.»

Pour Bernie Sanders, sa campagne et ses partisans, c’est le meilleur et seul type de réponse. Si Sanders arrive à la convention avec une nette majorité de délégués, il sera difficile de lui refuser l’investiture. Une telle trahison au grand jour briserait le Parti démocrate d’une manière que même les plus cyniques des partisans de l’establishment devraient à juste titre craindre d’envisager.

Pour le sénateur du Vermont, tout n’est pas rose et ensoleillé. Sa réponse maladroite à une question de l’émission 60 minutes de CBS News lui demandant comment il comptait payer ses ambitieux programmes a ouvert une voie pour l’attaque de ses rivaux. Son refus de tomber dans l’absolutisme de la guerre froide concernant Fidel Castro est devenu le carburant de l’usine conservatrice. Et cela soulève des inquiétudes quant à sa capacité à gagner la Floride en novembre prochain [Etat où les Cubains américains, quelque 1,6 million, disposent d’une forte influence]. Mike Bloomberg puise dans sa fortune inépuisable pour payer des achats publicitaires massifs qui attaquent Sanders sur tous les fronts.

Telle est la vie de celui qui mène la course en tête pour les présidentielles du XXIe siècle. La campagne de Sanders devra relever tous ces défis, et les autres qui suivront sans doute, si elle veut maintenir l’élan qui l’a portée jusqu’ici.

Malgré ces difficultés, les tendances générales de la campagne jouent en faveur de Sanders. Selon le dernier sondage de CBS News, il a de bonnes chances de battre Joe Biden en Caroline du Sud samedi 29 février. Il est bien placé pour imposer une forte influence au niveau national lors du Super Tuesday [le 3 mars]. Sa coalition est large et en expansion. Il est le candidat favori d’une grande partie des électeurs qui n’ont pas participé au scrutin jusqu’à maintenant parce que le choix parmi les démocrates se résumait à des candidats se situant dans la veine «centriste», celle ratée de Biden et Hillary Clinton. Selon les dix derniers sondages nationaux, il est en tête du classement des candidats.

L’obstacle le plus immédiat pour Sanders est le Parti démocrate dont il cherche à obtenir l’investiture. L’expression «Vote Blue No matter Who» [vote démocrate qui que ce soit] était très populaire dans les milieux démocrates établis à l’époque où Joe Biden était en tête de la course. Si l’establishment n’est pas capable – ou désireux – de s’assurer que le slogan s’applique également à Sanders, le parti pourrait être confronté au genre de conflagration dont il ne se remettra peut-être jamais. (Article publié sur le site Truthout, le 25 février 2020; traduction rédaction A l’Encontre)

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