Par Au Loong-yu
Une grande purge est en cours à Hong Kong. Au total, 153 personnes ont été poursuivies en vertu de la loi sur la sécurité nationale (LSN), imposée à Hong Kong par le régime de Pékin en juillet dernier.
La menace de Pékin a incité de nombreuses organisations à se dissoudre. Entre janvier et fin septembre 2021, 49 structures ont décidé de se dissoudre face aux menaces ou à une possible répression. Il s’agit notamment d’organisations politiques d’opposition, de grands et petits syndicats, d’organisations étudiantes, d’ONG, d’Eglises et leurs structures satellites, ainsi que de médias.
Il ne s’agit pas seulement de Hong Kong
Le 11 septembre, le syndicat enseignant PTU (Professional Teachers’ Union) a voté son auto-dissolution. La même décision a été prise, le 3 octobre, par la centrale syndicale HKCTU (Hong Kong Confederation of Trade Unions).
La répression actuelle se veut une grande purge visant à écraser la société civile, y compris la liberté d’expression, les organisations telles que les syndicats et les associations étudiantes, ainsi qu’une purge culturelle visant à contrôler la pensée et l’âme de la population.
Il n’est pas étonnant que le gouvernement de Hong Kong, après avoir fait prêter un serment de loyauté aux fonctionnaires des services administratifs, essaie maintenant de faire de même avec les enseignant·e·s. Cela s’ajoute à sa politique de longue date consistant à essayer de remplacer dans l’enseignement le cantonais par le mandarin.
Alors qu’il jouissait de la liberté de création, le secteur culturel se retrouve soudain à la merci de la censure et du harcèlement, à tel point que même le visionnage en cercles restreints de documentaires sur la révolte de 2019 est désormais une infraction punissable.
Si les travailleurs et travailleuses estimaient que défendre un Hong Kong régi par «l’économie de marché» valait tout de même le coup, c’est parce que Hong Kong abritait simultanément une variété florissante de mouvements sociaux locaux, même si ceux-ci n’en étaient encore qu’à leurs balbutiements. En un an seulement, cet espace public a été détruit par le régime de Pékin.
La grande purge ne concerne pas uniquement Hong Kong. L’imbrication des sociétés civiles de Hong Kong et du continent amène à penser que ce qui se passe dans la première a de profondes répercussions dans la seconde. Le cas le plus récent est celui de la coalition présentée ci-dessous sous le nom de l’Alliance (Alliance hongkongaise de soutien aux mouvements démocratiques patriotiques de Chine). Cette organisation était la plus détestée par le régime de Pékin pour avoir organisé de façon constante le soutien de la population de Hong Kong au mouvement démocratique du continent.
Pendant plus de trente ans, l’Alliance a organisé à Hong Kong la commémoration de la tragique répression du 4 juin 1989 à Pékin, ce qui faisait de Hong Kong le seul endroit en Chine où l’on pouvait le faire. Et cela jusqu’à l’année dernière où cette célébration a été interdite. Cette interdiction a été suivie d’un harcèlement de l’Alliance par les autorités, avant que celle-ci ne soit amenée à se dissoudre le 25 septembre.
Il existe une catégorie d’organisations qui se sont dissoutes ou ont cessé de fonctionner au cours des deux dernières années et qui ont rarement attiré l’attention. Il s’agit d’organisations hongkongaises ayant soutenu la société civile chinoise, qu’il s’agisse de prêter main-forte aux avocat·e·s persécutés du continent, ou de soutenir le militantisme ouvrier.
Elles sont parmi les premières victimes de la répression, mais cela est généralement peu connu. Depuis trente ans, ces groupes (réseaux d’entraide ou ONG), ont couvert un large éventail de domaines comme l’environnement, le monde du travail, l’égalité entre les sexes, ainsi que l’organisation d’activités sociales au niveau local. Ils ont joué un rôle crucial dans l’introduction des pratiques d’auto-organisation en Chine continentale.
Les groupes hongkongais que je connais le mieux sont ceux engagés dans le soutien au militantisme ouvrier en Chine. Depuis le début des années 2000, une dizaine de ces groupes agissaient dans ce domaine. La plupart animaient des centres de quartiers ou de salarié·e·s dans le delta de la Rivière des perles, d’autres ont choisi de soutenir plutôt des partenaires du continent, d’autres encore faisaient les deux à la fois.
Au début, ils ont été tolérés par les autorités locales, et certains ont même pu avoir une collaboration discrète avec des bureaux locaux de l’ACFTU (All-China Federation of Trade Unions), la centrale syndicale officielle. Mais cela n’a pas duré. Aujourd’hui, dans un environnement de plus en plus hostile, la plupart des organisations hongkongaises ont vu leur enregistrement en Chine continentale supprimé. Après la promulgation de la loi sur la sécurité nationale de Hong Kong, certaines ont même dû annuler «volontairement» leur enregistrement à Hong Kong.
Mais leur désagrégation avait déjà commencé en 2015, lorsque le 9 juillet, les autorités continentales ont commencé à rafler près de trois cents avocat·e·s qui avaient aidé au «weiquan» (défense des droits légitimes des classes défavorisées ou des dissidents). A peu près au même moment, deux douzaines de défenseurs et défenseuses des droits des travailleurs et travailleuses ont également été arrêtés. Trois ans plus tard, une autre vague d’arrestations a eu lieu. Cette fois-ci, elle visait principalement les étudiant·e·s qui étaient venus en masse pour aider les travailleurs de la compagnie Jasic [machines à souder] à s’organiser. [La bataille dans cette fabrique de Shenzen portait entre autres sur le droit à constituer un syndicat indépendant.]
Dans la foulée de cette opération, les autorités ont également arrêté des militant·e·s travaillant pour des groupes de défense des droits des salarié·e·s fondés par des hongkongais, bien qu’ils n’aient pas participé à la lutte des Jasic. Depuis lors, ces groupes ont été victimes de harcèlement et la plupart d’entre eux ont cessé leurs activités ou ont dû les réduire considérablement.
Pour les quelques groupes ayant subsisté, la situation est de plus en plus difficile. Ce fut le début de la fin pour les groupes de Hong Kong soutenant les salarié·e·s du continent. Avec la promulgation de la loi sur la sécurité nationale, certains de ces groupes ont commencé à s’inquiéter pour leur existence à Hong Kong, surtout lorsque les médias du Parti communiste chinois, comme d’habitude, ont non seulement condamné les groupes hongkongais recevant des fonds américains, mais aussi, pour la première fois, les organisations européennes ayant contribué au financement de leur développement, des syndicats aux groupes religieux. Par conséquent, certaines d’entre eux se sont également dissous.
Avec la «fin» de ce Hong Kong, la désagrégation de la société civile chinoise naissante est presque certaine, du moins pour le moment. On peut se demander si ce n’était pas l’objectif initial de Pékin.
Une poignée de personnes maintiennent le cap
Sous le coup de massue du régime de Pékin, l’opposition et la société civile se sont nécessairement tournées vers une position défensive pour minimiser les dégâts supplémentaires. L’heure est au repli tactique. Il faut parfois sacrifier les cavaliers pour sauver la reine. Le problème, toutefois, est de savoir si la retraite est ordonnée ou chaotique, si elle est dominée par la panique et aboutit à l’anéantissement complet de leurs forces. Les événements récents font craindre de plus en plus que les choses aillent dans ce sens. Mais la répression actuelle a également mis à l’épreuve celles et ceux ayant encore la volonté de résister, même si leur résistance est plutôt de nature symbolique et morale.
L’auto-dissolution du syndicat enseignant PTU – le plus grand syndicat de Hong Kong – représente la manière la plus controversée de battre en retraite. Techniquement, la motion de dissolution a finalement été décidée par un vote démocratique des délégué·e·s représentant les adhérents du syndicat.
Pourtant, avant cela, la direction avait déjà décidé que le syndicat serait et devrait être dissous suites aux menaces verbales d’un «intermédiaire» de Pékin (le PTU avait rendu cela public). Afin d’atteindre cet objectif, la direction s’était empressée de modifier les statuts du syndicat de sorte qu’au lieu d’exiger une majorité des deux tiers de tous les membres pour consentir à la dissolution, il suffisait désormais d’une réunion des seuls délégués pour que celle-ci ait lieu. En fin de compte, au lieu de permettre à près de cent mille membres de voter sur la motion proposée par la direction, ou la possibilité pour les adhérents le souhaitant de participer à cette réunion en tant qu’observateurs. En final, seulement 140 délégués ont voté: 132 pour la dissolution, 6 contre et 2 abstentions.
Le principal argument avancé par la direction pour dissoudre le syndicat avec une telle hâte et de telles méthodes était celui de «la dissolution en échange de la clémence». Paradoxalement, même lorsque la direction a rendu publique la décision, les médias du PC chinois ont immédiatement fait savoir que même si le syndicat était dissous, le régime de Pékin continuerait à s’en prendre aux syndicalistes.
Un mot encore sur les «intermédiaires» de Pékin. Leur tâche consiste à copiner avec toute personne ayant une certaine influence ou potentiellement dangereuse pour Pékin, et ensuite la coopter. Ce n’est là qu’un des piliers de la stratégie bien connue de «front uni» du régime de Pékin. Non seulement son ampleur à Hong Kong est incroyablement énorme depuis longtemps, mais elle est aussi très méticuleuse, souvent sur mesure, adaptée à une personne donnée.
Les «intermédiaires» de Pékin se lient d’abord d’amitié avec vous, découvrent ce qui vous intéresse le plus (pas nécessairement l’argent), puis vous proposent une aide à laquelle vous ne pouvez résister. La personne qui est approchée se trouve alors sur une pente glissante, sans en avoir pleinement conscience. Même dans les cas où cela ne fonctionne pas, le régime peut toujours manipuler la personne visée par toutes sortes de menaces et de chantages. C’est probablement l’une des raisons pour lesquelles aujourd’hui à Hong Kong, au sein de la plupart des organisations de masse et des partis démocratiques, on peut toujours trouver certaines figures de proue dont les paroles et les actes ressemblent tant à ceux des partisan·e·s de Pékin.
Mais il existe aussi des personnes incorruptibles. La manière dont l’Alliance a été dissoute s’est avérée un peu plus satisfaisante. En apparence, l’auto-dissolution de cette coalition d’organisations a suivi un schéma similaire à celle du PTU. Mais la motion en faveur de la dissolution proposée par la direction ne l’a emporté qu’à une courte majorité de quatre contre trois. L’opposition à l’auto-dissolution était menée par Chow Hang-tung, une jeune avocate et militante. Au moment du vote, elle était déjà détenue, mais avant le vote, elle avait écrit un appel public aux organisations membres de l’Alliance pour leur demander de ne pas céder. Elle a fait valoir que la tactique de «la dissolution en échange de la clémence» était erronée, et que refuser de capituler montrerait au monde la détermination du peuple de Hong Kong à poursuivre la lutte. Ses partisans ont été minoritaires, mais elle et ses camarades ont sauvé l’honneur de la résistance de Hong Kong. Beaucoup de gens considèrent cette avocate comme un nouveau symbole de la résistance.
Quant à la centrale syndicale HKCTU (Hong Kong Confederation of Trade Unions), il semble qu’il n’y ait pas eu d’opposition publiquement visible à la proposition de dissolution, mais seulement des ouï-dire selon lesquels le vice-président était contre. Le congrès du 3 octobre a adopté la motion de dissolution par une majorité de 57 contre 8. Contrairement au PTU, l’Alliance et HKCTU ont permis à leurs membres d’exercer leur droit de vote légitime. Il est certes difficile en ce moment de résister au régime de Pékin, mais il convient de saluer les quelques personnes qui continuent à le faire.
Une profonde démoralisation a été déclenchée par le démantèlement des organisations de masse. Le 7 octobre, le syndicat étudiant de l’Université chinoise de Hong Kong (HKCU), un très important bastion du mouvement étudiant, voire le plus important, s’est également dissous. En moins d’une semaine, le syndicat étudiant d’une autre université a également annoncé sa dissolution. A proprement parler, c’est uniquement la direction de l’institution universitaire qui avait mis des bâtons dans les roues au syndicat, et non pas le gouvernement. Mais rien n’obligeait pour autant le syndicat à s’auto-dissoudre aussi rapidement.
Contrairement aux cas précédents de dissolution, celle du syndicat étudiant de la HKCU a cette fois-ci suscité des critiques non seulement parmi les étudiants, mais aussi plus largement. La critique la plus notable est venue d’un professeur enseignant à la HKCU, le Dr Chow Po Chung. Cet érudit libéral bien connu avait été actif dans le syndicat lorsqu’il était lui-même étudiant. Le jour même de l’annonce de la dissolution du syndicat étudiant de la HKCU, il a expliqué sur Facebook que, selon les statuts du syndicat, sa direction n’avait pas été mandatée pour déclarer la dissolution, et que pour dissoudre le syndicat, il fallait au moins une consultation complète des membres suivie d’un référendum.
Son commentaire avait été accueilli avec hostilité par certains, qui lui ont rétorqué qu’il n’était pas en position de faire de telles critiques, car il ne faisait pas partie des personnes menacées par le pouvoir. Le Dr Chow Po Chung a répondu avec beaucoup de mesure en disant qu’il n’avait peut-être pas été assez clair dans son message, et qu’il voulait simplement réaffirmer que la décision de la direction du syndicat étudiant n’aurait aucun effet juridique sur tout étudiant qui souhaiterait relancer le syndicat à l’avenir. En d’autres termes, son message était plutôt destiné à conseiller celles et ceux qui souhaiteraient maintenir le syndicat. Son message n’a pas tardé à être entendu. Un mois après l’annonce de la dissolution, un étudiant a fait appel au comité juridique du syndicat étudiant et l’a persuadé de déclarer que les statuts ne donnaient à la direction du syndicat aucun pouvoir de dissoudre celui-ci, et que la décision était donc nulle.
En ce qui concerne les institutions de Hong Kong, le régime de Pékin a tellement chamboulé le système électoral, que suite à sa récente «réforme» le nouveau corps législatif ne sera qu’une marionnette de Pékin: non seulement les candidatures potentielles sont désormais filtrées dans le cadre de la loi sur la sécurité nationale, mais la composition de l’Assemblée législative est redevenue comparable à ce qu’elle était il y a des dizaines d’années: la proportion des députés élus au suffrage direct est en effet passée de la moitié des sièges à seulement 22%. En outre, Pékin a déjà utilisé les nouveaux critères de la loi sur la sécurité nationale pour destituer un certain nombre d’élus locaux.
Il est comique de constater que c’est un porte-parole de Pékin qui a publiquement demandé au Parti démocrate de se présenter aux élections afin de renforcer la crédibilité de son spectacle de marionnettes. Lu Wenduan, vice-président de la Fédération pan-chinoise des originaires du continent [1], a averti que Pékin considérerait le refus du Parti démocrate de se présenter aux élections comme une «marque d’hostilité». Cela a pu être contre-productif, car même le courant démocrate dominant, traditionnellement conciliant, n’a aucune envie de jouer les marionnettes. Tout cela n’a pas empêché Han Dongfang du China Labour Bulletin d’annoncer qu’il se présenterait aux élections législatives si suffisamment de membres du parti le soutenaient. Mais cette démarche a échoué [2].
La stratégie autodestructrice du Parti démocrate
Il ne fait aucun doute que la politique répressive du régime de Pékin est très grave, et que le prix à payer pour toute résistance est élevé. Il convient, cependant, d’avoir le sens des proportions – on est encore loin du type de répression dont a fait preuve la junte militaire birmane ou le pouvoir chinois en 1989.
Il est certain qu’une personne ne peut forcer une autre à devenir un martyr contre sa propre volonté. La meilleure stratégie consisterait à «marcher sur deux jambes», c’est-à-dire comprendre celles et ceux souhaitant éviter les risques, mais aussi laisser à celles et ceux souhaitant résister par des moyens non violents le temps et l’espace nécessaires pour faire ce qu’ils veulent. Et cela surtout lorsque les règles de leurs organisations respectives les autorisent à le faire. Ne voulant pas courir de risque, des dirigeants d’organisations sont trop souvent amenés à ne pas respecter les statuts de celles-ci, ou à les contourner par diverses manœuvres.
S’il ne faut pas être sévères envers les étudiant.es ayant annoncé la dissolution de leurs syndicats sans respecter les procédures appropriées, nous devrions être suspicieux envers certains dirigeants expérimentés du Parti démocrate ayant agi de cette manière. Dans une large mesure, ce parti avait une influence considérable sur le syndicat PTU et l’Alliance, plus que tout autre parti d’opposition.
Au cours des dix dernières années, on a entendu beaucoup de rumeurs selon lesquelles certains dirigeants du Parti démocrate/PTU/Alliance ont été cooptés par Pékin. Différents indices indiquent que des choses étranges se passent parmi certains dirigeants du Parti démocrate.
Il n’existe cependant pas de preuves tangibles de cela, mais il n’est pas indispensable d’en disposer. Il suffit de passer brièvement en revue la stratégie politique du Parti démocrate.
- A son crédit, il n’a pas condamné la révolte de 2019 comme l’exigeait Pékin. Il a plutôt, dans une certaine mesure, suivi les jeunes rebelles, et une partie de ses dirigeants sont maintenant en prison à cause de cela.
- Politiquement parlant, cependant, la ligne suivie par ce parti depuis les années 1980 a semé, pendant des années, les graines de l’effritement rapide actuel du mouvement social hongkongais. Cela peut être résumé par deux de leurs termes en cantonais – jaugaiking et doizyusin. Le premier signifie littéralement «nous pouvons discuter (avec le régime de Pékin)», qu’il s’agisse de faire pression sur lui pour qu’il nous accorde le suffrage universel ou de le persuader de nous accorder davantage de sièges élus au suffrage direct, en échange de son incapacité à honorer cette promesse. Le second terme signifie littéralement «accepter toute concession offerte (par Pékin).»
Mais la mise en œuvre de cette stratégie nécessite que Pékin envoie des «intermédiaires» pour parler aux dirigeants pan-démocrates ou à toute personne possédant une certaine influence. Les dirigeants pan-démocrates concernés ont considéré cela comme un signe de leur importance, et n’avaient aucune conscience qu’il s’agissait d’une tentative de les coopter. Ainsi, ils se sont entendus avec Pékin pour que la mise en œuvre du suffrage universel se fasse graduellement, par étapes successives. En 2010, le Parti démocrate a accepté de Pékin un paquet de réformes politiques (élargissement partiel du pourcentage de sièges élus au suffrage direct à l’assemblée législative), ce qui était une action typique de doizyusin. Mais cela a suscité de nombreuses critiques dans le camp pro-démocratie, et c’est également à ce moment-là que le Parti démocrate a commencé à perdre le soutien dont il jouissait, ainsi que sa crédibilité. Il n’était pas conscient que l’échec de sa stratégie de compromis était écrit d’avance.
En ce qui les concerne, les jeunes ont à leur crédit d’avoir sauvé l’honneur de Hong Kong en menant un ultime combat. Nous devrons également nous souvenir de la poignée de combattants de la démocratie, comme la jeune avocate Chow Hang-tung, qui ont mené un dernier combat pour l’honneur qui continuera à inspirer les générations futures.
La compétition mondiale entre la Chine et les Etats-Unis
Le régime de Pékin a besoin de mettre fin à l’autonomie de Hong Kong, qui représente un danger pour la permanence de son monopole du pouvoir et son appropriation des richesses du pays. Une deuxième raison pour Pékin est qu’en écrasant Hong Kong, il peut également se débarrasser de l’influence politique des Etats-Unis et du Royaume-Uni, et afficher sa force. Hong Kong est pour cette raison devenu un champ de bataille dans la compétition mondiale entre la Chine et les Etats-Unis.
Au plus fort de la révolte de 2019, le vice-président américain Mike Pence a prononcé un discours visant Pékin, que certains considèrent comme l’annonce d’une nouvelle guerre froide.
En ce qui me concerne, j’hésite à utiliser l’expression «nouvelle guerre froide». Pendant l’ancienne guerre froide, existait en effet une véritable guerre chaude en Asie. Et c’était l’empire américain qui était à l’offensive, tandis que les Chinois et les Vietnamiens étaient plutôt sur la défensive. Derrière cette dichotomie offensive-défensive se cachait également l’opposition entre colonialisme et anticolonialisme. Toute personne attachée à la démocratie et à l’autodétermination des nations opprimées ne pouvait pas rester neutre, et encore moins de ranger aux côtés des Etats-Unis.
La situation actuelle est très différente. La lutte de Pékin contre les Etats-Unis n’est pas en soi une lutte contre l’impérialisme, elle n’est pas destinée à remplacer la domination américaine par quelque chose de meilleur. Il s’agit d’une lutte pour savoir qui aura le dernier mot dans la répartition de la chaîne de valeur mondiale, une lutte qui est également profondément injuste. Il suffit de regarder ce que font les entreprises chinoises dans le monde, leurs investissements sont de même nature que ceux de tout régime impérialiste ou d’exploitation, à savoir poursuivre la maximisation du profit aux dépens de la planète et des salarié·e·s.
Les personnes essayant de se positionner dans la compétition entre la Chine et les Etats-Unis, sont amenées à débattre du régime politique de la Chine.
- Certaines disent que la Chine est un régime autoritaire. Mais cette appellation n’est pas très satisfaisante, car un régime autoritaire ordinaire n’est pas capable de détenir un tel niveau de contrôle sur l’ensemble de la population, qu’il s’agisse du contrôle social, économique ou sur les pensées des individus.
- Avec un tel niveau de contrôle, il est tentant de dire que la Chine est plus totalitaire qu’autoritaire. Encore une fois, ce terme a une forte connotation de l’ancienne guerre froide, bien que son usage semble avoir été utilisé avant celle-ci.
Je pense que l’une des difficultés réside dans le fait que la Chine est beaucoup de choses à la fois. Sur certains aspects, c’est un pays en développement, mais selon d’autres, c’est un pays impérialiste émergent.
- D’une part, c’est l’atelier clandestin du monde, ce qui signifie que la Chine ne peut obtenir qu’une petite proportion de la chaîne de valeur mondiale, ce qui est un cas typique d’accumulation dépendante.
- D’autre part, l’Etat consacre d’énormes sommes d’argent à la promotion de l’innovation, et connaît en ce domaine un certain succès. Aujourd’hui, la Chine présente également une forte caractéristique d’accumulation autonome.
La Chine est donc un ensemble de contradictions multiples.
Une seule caractéristique du Parti communiste chinois est restée inchangée depuis 1949, à savoir son hostilité à ce que la population laborieuse jouisse de la liberté de la presse et des droits démocratiques, ainsi que la détermination de ce parti à exercer son droit divin à laver le cerveau de la population.
J’ai un jour discuté avec un dissident du continent. Il avait été détenu pendant un mois pour ses activités. Lorsqu’il a été libéré, la police secrète lui a dit: «notre parti respecte la liberté de pensée, vous pouvez donc avoir vos propres idées, tant que vous ne les exprimez pas». C’est ainsi que le régime prétend respecter la liberté de pensée.
Je pense que dans le débat sur la confrontation entre la Chine et les Etats-Unis, certains se concentrent trop sur les mérites ou les démérites de tel ou tel Etat, oubliant qu’en tant que partisans du socialisme, nous devrions toujours placer le bien-être de la population au centre de nos préoccupations. Certaines personnes peuvent s’empresser de proclamer qu’elles sont d’accord avec cette idée, et ensuite publier des articles présentant les performances de Pékin en matière de développement économique, par exemple dans quelle mesure Pékin a éradiqué la pauvreté, ou combien de lois sur le travail ont été adoptées, etc. Tout cela pour expliquer ensuite que, «oh, grâce au gouvernement du PC chinois, le bien-être du peuple a été pris en charge, ce qui prouve encore une fois que l’Etat chinois est progressiste alors que l’Etat américain est réactionnaire». Et au final, ces personnes décident de soutenir le régime de Pékin dans cette lutte mondiale pour l’hégémonie.
Mais cela passe largement à côté de l’essentiel car, premièrement, les chiffres officiels sont toujours trompeurs, voire carrément faux. Deuxièmement, si l’on veut comprendre la situation réelle au niveau de la base, il faut connaître ce que disent les gens ordinaires et comment ils vivent leur vie. Malheureusement, les personnes soutenant le régime de Pékin face aux Etats-Unis se préoccupent rarement des personnes réellement existantes.
Troisièmement, je soutiens qu’en ce qui concerne la Chine, le bien-être économique des salarié·e·s est un critère secondaire par rapport à celui de la jouissance des droits politiques par la population. Selon moi, la question de savoir si le peuple jouit de droits politiques devrait être notre critère primordial pour évaluer le régime de Pékin. Lorsque la population est privée de tels droits, elle perd tôt ou tard, littéralement, tout. Dans cette situation, même si des personnes ont pour le moment des revenus raisonnables, il n’est jamais certain que cette situation durera. Le danger d’être à nouveau spolié par l’Etat, ou par des promoteurs immobiliers de connivence avec le parti, est toujours présent.
Il suffit de regarder ce qui s’est passé pour les paysans à l’époque de Mao. Ils ont reçu une parcelle de terre lors de la réforme agraire du début des années 1950, mais ont tout perdu au profit de soi-disant communes populaires quelques années plus tard. Ils n’ont récupéré leurs terres que dans les années 1980, pour recommencer à les perdre dans le cadre de l’actuel accaparement des terres, souvent mené par des responsables locaux du parti.
Quant à la législation sociale, depuis la persécution des «ONG du travail» en 2015, la non-application du droit du travail s’est également généralisée, comme l’a montré le conflit social appelé «996» [mobilisation des salarié·e·s du secteur tech – par exemple Alibaba ou Huawei – qui s’opposaient aux cadences infernales illustrées par des journées de travail de 12 heures, commençant à 9 heures ses terminant à 21 heures, six jours sur 7: d’où 996].
Ce déni des droits politiques fondamentaux par le parti-Etat est suffisant pour dire que le régime chinois est totalement injuste, qu’il doit être remplacé par un régime démocratique, et que la confrontation entre la Chine et les Etats-Unis devrait être jugée en fonction de l’intérêt de la population dans sa lutte historique pour l’émancipation.
Le débat de savoir «si oui ou non le gouvernement américain et le gouvernement chinois sont tout aussi mauvais ou tout aussi forts» est également un faux débat, car nous n’avons pas besoin de prouver que celui qui nous a volé est aussi mauvais qu’un autre voleur, ou aussi fort, avant de pouvoir le mettre en prison. Le pouvoir de Pékin n’est peut-être pas aussi mauvais que celui de Washington, et il n’est certainement pas aussi fort, mais il est assez fort pour écraser son peuple, et il le fait depuis des décennies.
Par conséquent, les vrais partisans du socialisme qui placent le bien-être politique et économique de la population au centre de leurs préoccupations, devraient prioriser par-dessus tout leur lutte pour l’émancipation. Ils ne devraient juger l’affrontement entre la Chine et les Etats-Unis que du point de vue des intérêts primordiaux de leur propre lutte.
En Occident, beaucoup de personnes estimables détestent l’empire américain. Mais il ne leur est pas nécessaire pour autant de soutenir le régime de Pékin pour exprimer leur colère contre leur propre régime.
De la même façon, les habitant·e·s de Hong Kong, n’avaient pas besoin de soutenir le gouvernement Trump pour exprimer leur colère contre le pouvoir de Pékin. Je voudrais dire aux «honnêtes gens» en Occident que le parti-Etat chinois n’a pas besoin de votre soutien, c’est plutôt le peuple chinois qui en a besoin.
Mais que faut-il entendre par «peuple chinois»? La difficulté réside dans le fait que vous ne pouvez pas entendre beaucoup sa voix. Vous rencontrez rarement ses véritables représentant·e·s dans la plupart des rencontres internationales. Parce que les vrais militant·e·s socialistes, en plus de se voir interdire de se rendre à l’étranger pour dire ce qu’ils pensent, sont constamment pourchassés et mis en prison. Malheureusement pour les partisans internationaux de Pékin, le bien-être du peuple chinois réel est rarement leur préoccupation.
Pourtant, ce qui est considéré comme une absence de voix du peuple chinois est en réalité le cri le plus fort du monde! Si certains ne l’ont pas entendu, c’est uniquement parce que leurs oreilles n’étaient pas tendues dans la bonne direction. C’est précisément parce que le peuple chinois ne peut se faire entendre que nous devons attirer l’attention du monde entier avec notre voix la plus forte, afin d’aider ce peuple à se faire entendre.
Néanmoins, il arrive qu’il soit entendu. Il y a quelques années, certains médias en ligne ont publié un article sur une possible guerre entre la Chine et les Etats-Unis, et un commentaire a attiré beaucoup d’attention. Il disait que le peuple chinois devrait soutenir l’effort de guerre en demandant d’abord aux membres du Bureau politique du parti d’aller faire la guerre, et s’ils n’arrivaient pas à la gagner, demander l’envoi au front de tous/toutes les membres du comité central, puis de tous/toutes les membres du parti. A la fin, le peuple chinois l’emportera. L’article mentionné ci-dessus montre des Chinois·e·s savent que dans la situation actuelle, une guerre entre la Chine et les Etats-Unis ne serait pas la leur. Le peuple a sa propre guerre à mener, une guerre pour restaurer son estime de soi et ses droits politiques et économiques afin de gagner sa liberté. (Article datant du 4 décembre 2021; traduction de l’anglais par Union syndicale Solidaires)
Au Loong-Yu, à 65 ans, est un spécimen rare: un auteur marxiste d’une lucidité peu fréquente sur le Parti communiste chinois, un analyste capable de mettre au jour le système totalitaire qui a malheureusement les faveurs d’une certaine gauche occidentale aveuglée par un anti-américanisme primaire, au point notamment de nier les crimes contre l’humanité à l’encontre de la minorité musulmane de la région du Xinjiang. Les éditions Syllepse ont publié en mai 2021 son dernier ouvrage, Hong Kong en révolte, qui porte sur la mobilisation sociale de 2019 dans l’ancienne colonie britannique. (Mediapart dans un entretien avec Au Lonng-Yu, publié le 7 décembre, le présentait ainsi.)
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[1] All-China Federation of Returned Overseas Chinese. Cette organisation est composée de Chinois ayant vécu à l’étranger pendant une longue période, puis qui sont revenus vivre en Chine. Il s’agit d’une organisation importante pour le PCC qui s’en sert comme agence de renseignement.
[2] Han Dongfang, fondateur et directeur du China Labour Bulletin (CLB) https://clb.org.hk, est une figure bien connue des militant·e·s syndicalistes internationaux. Actuellement basé à Hong Kong, il a rarement été l’un des favoris des médias. Citoyen chinois en 1989, Han Dongfang s’était fait connaître lorsqu’il avait été emprisonné par le gouvernement de Pékin pour sa participation à la fondation de la Fédération autonome des travailleurs de Pékin. Libéré en 1992, il s’était rendu aux Etats-Unis, mais avait fini par s’installer à Hong Kong. Récemment, cependant, il est apparu à plusieurs reprises dans les médias en raison d’une action surprenante: il a annoncé qu’il se présenterait aux prochaines élections législatives de décembre s’il pouvait obtenir l’investiture de son parti, le Parti démocrate. Cela est surprenant, car il se serait alors retrouvé bien seul: en effet aucun des leaders de l’opposition n’a voulu se présenter, y compris ceux/celles de son propre parti. Finalement sa démarche a échoué.
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