Etats-Unis. Une mobilisation de masse déborde l’alt-right

Par Scott McLemee

Les organisateurs ont appelé leur manifestation «Union de la droite, épisode 2». Comme il arrive souvent avec les films d’horreur, la suite, le dimanche [12 août], de l’affrontement mortel de Charlottesville, dans l’Etat de Virginie, qui s’est déroulé il y a un an (voir l’article publié sur ce site en date du 15 août 2017), n’était pas aussi terrifiante que l’original – excepté pour les nationalistes eux-mêmes.

Seule une poignée d’entre eux se sont présentés au rassemblement à Lafayette Square, en face de la Maison Blanche. Encouragés par l’agenda réactionnaire de Trump et ses efforts de nettoyage ethnique par le biais de l’ICE [l’agence responsable des douanes et du contrôle des frontières], ils ont prononcé des discours qui n’étaient écoutés que par eux.

En revanche, les manifestant·e·s antiracistes et antifascistes qui ont défilé dans le centre de la capitale, Washington, étaient plusieurs milliers. Leurs slogans – tels que «Non à Trump, non au KKK [Ku Klux Klan], non à des Etats-Unis fascistes» et «A qui sont les rues? Nos rues!» – pouvaient être entendus loin dans la ville.

Tout au long du rassemblement, l’alt-right [1] était sous haute protection de la police. Cela a dû représenter pour eux un soulagement vu le faible nombre de participants.

Les rangs nombreux et très divers des protestataires étaient disciplinés et combatifs. Ils ont tiré les leçons des mobilisations contre le rassemblement de la droite à Boston, il y a près d’un an, où le ratio entre manifestants antiracistes et participants au rassemblement de l’extrême droite était estimé à 800 contre 1.

Près d’un mois après la violence meurtrière de Charlottesville, la contre-manifestation de Boston et les mobilisations qui ont suivi sont parvenues à réduire l’écho de l’alt-right pour plusieurs mois.

Alors que les organisateurs du rassemblement «Union de la droite, épisode 2» ont déclaré aux autorités qu’ils s’attendaient à au moins 400 personnes, les événements de dimanche vont encore plus les démoraliser. Le rassemblement a duré un peu plus d’une heure avant que les guerriers de la suprématie blanche soient évacués à grande vitesse dans deux camionnettes aux fenêtres teintées. Un observateur a fait remarquer avec humour qu’ils «sont partis au troisième quart pour éviter les embouteillages» [allusion à l’équipe de basketball The Warriors, réputés pour gagner le match au cours du troisième quart d’une partie].

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Les premiers avertissements d’une mobilisation de fascistes dans la capitale fédérale pour «célébrer» l’anniversaire de Charlottesville ont, à juste titre, été reçus avec inquiétude.

L’extrême droite tentait de retrouver de la force alors qu’elle avait été sur la défensive dans les semaines qui ont suivi Charlottesville. La mobilisation du week-end dernier à Patriot Prayer, à Portland dans l’Etat de l’Oregon, était la dernière démonstration de force de suprémacistes blancs prêts à en découdre.

Toutefois, des signes indiquaient que l’extrême droite ne tiendrait pas le haut du pavé dimanche dernier. Lorsque a fuité l’information choquante que l’agence responsable du trafic de Washington entendait organiser un train spécial ou des véhicules spéciaux pour les nazis, le syndicat des transports, dont les membres sont majoritairement Noirs, s’est élevé contre cette décision, contraignant la direction à faire marche arrière.

Le premier «anniversaire» du meurtre d’Heather Heyer [assistante juridique, militante des droits civiques, née en 1985; assassinée le 12 août 2017 à Charlottesville] a suscité des articles significatifs dans les médias quant au cauchemar de l’année passée, ce qui montre plus clairement que jamais les enjeux d’une manifestation des nazis ne rencontreraient pas une opposition.

Donald Trump s’est contenté, dans l’intervalle, d’un seul tweet dans lequel il s’opposait à «toute forme de racisme et à tous les actes de violence», un texte qui laisse comprendre qu’il rend encore les «deux côtés» responsables de l’horreur de Charlottesville. L’extrême droite a démontré son amour pour Trump en voulant organiser son rassemblement anniversaire à un jet de pierre de la Maison Blanche. Trump n’a rien fait pour les décourager.

La marginalisation complète des suprémacistes blancs dans une ville où la population noire reste majoritaire était rendue plus évidente lorsque plusieurs restaurants de la capitale ont annoncé qu’ils ne serviraient pas les racistes.

«Parfois, lorsqu’un client se montre insultant envers un employé, on demande au serveur de changer de place», a déclaré Dan Simons, co-propriétaire du restaurant populaire Founding Farmers. «Nous avons dit à notre équipe: ici, ce n’est pas de ça qu’il s’agit. Vous n’avez pas à servir quelqu’un prônant votre mort et votre mise en esclavage.» 

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Les suprémacistes blancs voulaient initialement défiler à Charlottesville, comme s’ils désiraient mettre du sel sur les blessures de l’horrible violence non provoquée qui a causé la mort de la manifestante antiraciste Heather Heyer et blessé un grand nombre de personnes.

L’extrême droite n’a pas reçu d’autorisation, ce qui n’a pas empêché le gouverneur de Virginie, Ralph Northam, de décréter l’état d’urgence dans la ville et ses environs.

Une présence policière massive – plus de 1000 agents – était organisée lors d’une manifestation antiraciste à l’Université de Virginie le 11 août. Ce même jour, un an plus tôt, des nazis portant des flambeaux défilaient, de manière terrifiante, à travers le campus.

Cette fois-ci, un grand nombre de personnes avaient le sentiment que la menace provenait d’un groupe différent et bien mieux organisé. Ainsi qu’on pouvait le lire sur une banderole antiraciste fixée sur la statue de Thomas Jefferson: «L’année dernière ils sont venus avec des flambeaux. Cette année, ils viennent avec des badges.» 

Décrivant le tableau de policiers engoncés dans des tenues antiémeutes faisant face aux manifestants, le Washington Post a rapporté que la foule a commencé à «lancer des slogans en direction des agents, qui portaient casques et boucliers».

Tom Freeman, un manifestant, a déclaré au Post: «Il est vraiment difficile de défendre notre société civile lorsque la police fait ça. Ils se sont dirigés vers nous sans avoir été provoqués. Il ne s’est rien passé. Cela ne fait que confirmer ce que tout le monde dit d’eux, et je ne suis pas même quelqu’un opposé à la police.»

Lisa Woolfork, enseignante à l’Université de Virginie et activiste du groupe Black Lives Matter de Charlottesville, a déclaré à ce même quotidien: «Je vois là quelque chose de disproportionné. A moins qu’il y ait quelque chose qu’ils ne nous disent pas et qu’ils disposent d’informations que les nationalistes blancs marcheront en force, il semble qu’ils se préparent à surveiller, observer, discipliner et bloquer ceux d’entre nous qui veulent résister au fascisme et au racisme.»

Le jour suivant, alors que des milliers de manifestants antiracistes se réunissaient dans la capitale fédérale pour faire face à la droite, plus de 200 personnes – y compris la mère d’Heather Heyer, Susan Bro – se sont rassemblées au parc Booker T. Washington de Charlottesville pour protester et commémorer l’activiste tuée l’année dernière. Lorsque, plus tard, des protestataires se préparaient à manifester, des dizaines de policiers leur faisaient face en dépit de l’absence de l’extrême droite.

Selon le New York Times, la police a «formé une barricade empêchant les manifestants de sortir d’un checkpoint. Sans signe de suprémacistes blancs, les tensions se sont limitées à des interactions entre les manifestants de gauche et les forces de l’ordre».  

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Les développements de ce week-end soulignent l’importance des débats en cours sur les tactiques de lutte contre ceux qui aspirent à devenir les troupes d’assaut de Trump.

Anti-fasciste défilant à Washington DC (Brian Terney)

Une approche était exprimée de manière humoristique sur une pancarte dans la manifestation de dimanche à Washington: «A punch a day keeps the Nazis away!» [Un coup de poing par jour maintient les nazis au loin!]. Il n’est pas nécessaire de partager cette méthode pour en comprendre l’attrait.

Mais, quels que soient les bénéfices cathartiques de ce type d’action directe, elle est presque toujours l’œuvre d’individus ou de petits groupes. Comme cette tactique repose sur un élément de surprise, cette approche «organisationnelle» tend à cultiver le secret et l’isolement.

L’approche qui a dominé dimanche à Washington, en revanche, soulignait la nécessité de construire sur le long terme un mouvement démocratique, ouvert, devant rendre des comptes à ses membres afin de défendre quiconque est menacé par les forces de l’alt-right ou des réactionnaires.

C’est le contenu d’un message tenu lors d’une rencontre, la semaine dernière à Washington, qui a été enregistré. Les orateurs appartenaient à de nombreuses organisations. La plupart ont partagé leurs expériences de la manifestation de Charlottesville l’année dernière contre le rassemblement «Union de la droite».

Entourés par des suprémacistes blancs prêts à en découdre, ils étaient débordés et mal préparés. En l’absence de liens forts et de discussions entre leurs organisations en amont, les forces progressistes sur place à Charlottesville étaient, en effet, plus faibles que la somme des éléments présents.

Ce dimanche à Washington, les opposants à la suprématie blanche étaient bien plus nombreux. Même si les fascistes avaient été en mesure de dépasser le millier, ils auraient été débordés par le nombre de participants antiracistes.

C’est l’une des principales leçons apprises dans le sillage de Charlottesville, inscrite sur plusieurs banderoles lors de la marche: «Notre force, c’est la solidarité». (Article publié le 13 août 2018 sur le site SocialistWorker.org; traduction A L’Encontre)

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[1] Ce courant d’extrême-droite milite en faveur de la suprématie des Blancs, du sexisme, de l’antisémitisme, contre les immigré·e·s. Il développe une «narration» ayant trait aux événements selon une grille de lecture relevant de la conspiration et du (ou des) complots, ce qui rappelle, entre autres, toute une propagande des années 1930 et qui a cours, aujourd’hui, dans divers pays d’Europe, pour ne pas citer l’Inde de Modi ou le Myanmar (ex-Birmanie) de la prix Nobel Aung San Suu Kyi ainsi que des militaires, comme du clergé bouddhiste. (Réd. A l’Encontre)

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