Par William Rivers Pitt
A Baton Rouge (capitale de l’Etat de la Louisiane), le pasteur Tony Spell [de l’Eglise évangélique: Life Tabernacle Church] a bien compris ce qu’il fallait penser de la distanciation sociale. «Le virus, c’est de la propagande politique», a-t-il prêché dimanche dernier [22 mars] aux 1170 personnes qui assistaient à son service à l’église du Vivant Tabernacle. Vingt-sept bus les avaient réunis. Ils venaient de cinq paroisses différentes, et ils reviendront. «Parce que ce n’est pas un vrai problème», prêche le pasteur Tony Spell.
Dans de telles circonstances, on peut se consoler en pensant que Spell est un doux dingue, un fétu de paille se heurtant au bloc solide des innombrables conseils médicaux rationnels qui fusent de tous les coins du pays pour entraver la progression désormais explosive de COVID-19.
Mais le pasteur Tony Spell n’est pas isolé. Tate Reeves, gouverneur républicain du Mississippi, le conforte dans ses illuminations. Après avoir supporté quelques jours une inconfortable distanciation sociale, le gouverneur Reeves a supprimé toutes les recommandations de sécurité et promulgué un décret pour ouvrir à nouveau un vaste éventail d’entreprises – y compris les magasins d’armes à feu et les agences immobilières – qu’il a considérées comme étant «essentielles».
Lorsque j’écris ces lignes [le 28 mars], le Mississippi comptait près de 400 cas diagnostiqués de coronavirus. Cinq personnes au moins étaient décédées dans cet Etat. Grâce au gouverneur Reeves ce nombre est appelé à croître rapidement.
A l’heure où Donald Trump adresse une lettre aux gouverneurs du Mississippi, de la Louisiane et des 48 autres Etats pour les informer, au mépris de tous les conseils médicaux d’experts, qu’il adoucit les mesures de sécurité contre le COVID-19, pour quelle raison des gens comment le pasteur Spell et le gouverneur Reeves devraient-ils ne pas se sentir libres de gaver leur peuple de slogans contre le virus? «C’est politique!» Si le président le déclare, ça doit être vrai.
Beaucoup de rumeurs semblables circulent en ce moment. Mercredi, quatre sénateurs républicains – Lindsey Graham (Caroline du Sud), Ben Sasse (Nebraska), Tim Scott (Caroline du Sud) et Rick Scott (Floride) – ont failli envoyer dans les cordes le projet de loi de relance/renflouement de 2000 milliards de dollars, au prétexte que les allocations de chômage qu’il prévoit seraient trop généreuses.
Frottez-vous les yeux, relisez cette dernière phrase. Elle est insensée. Ces quelques derniers jours, plus de trois millions de personnes ont déposé une demande d’allocation chômage, ce nombre est probablement largement sous-estimé, la masse des demandes et la maladie submergent les bureaux de chômage.
Et pendant ce temps, les hôpitaux de villes comme New York sont écrasés sous le nombre des malades qui se pressent à leurs portes. Et dans tout le pays les professionnels de santé manquent de l’équipement le plus élémentaire pour lutter contre le virus. Cela par la faute de Trump qui, en janvier et juste pour briller une fois de plus à la télé, a ignoré le problème lorsque quelque chose de concret aurait pu et aurait dû être fait.
Les médecins et les infirmières, faute de disposer des équipements nécessaires pour se protéger, se vêtent avec des sacs à ordures pour leur sécurité. Et ils viennent travailler, tous les jours, jusqu’à ce qu’ils soient malades et qu’ils meurent. Près de 75% du pays soutient un confinement à l’échelle nationale.
Comparez cela avec la lâcheté de notre président et de ses lèche-bottes d’alliés, qui déjà, sous la pression de l’argent, se contorsionnent pour «revenir à la normale» le plus vite possible. Et pensez que nous n’en sommes qu’au début, de cette horreur. Que le pire reste à venir et dans des proportions que multiplie la propagation du virus.
Il se passe quelque chose d’intéressant en Chine, si le Wall Street Journal (du 26 mars 2020) a vu juste. Cette nation commence à émerger de sa propre expérience, dévastatrice, du coronavirus, mais le statu quo ante ne semble pas se rétablir:
«Il semble que la Chine soit aujourd’hui parvenue au point qu’espèrent atteindre les Etats-Unis et l’Europe dans quelques semaines ou quelques mois. Et pourtant, de nombreuses usines chinoises constatent que la demande pour leurs produits a disparu. Les consommateurs, en Chine et ailleurs, hésitent à dépenser préoccupés par ce qu’ils ont perdu et craignant ce qui les attend.
»Pour les entreprises américaines liées au commerce mondial, les exportateurs et les sociétés multinationales, la limite d’un retour à la normale en Chine pourrait préfigurer la perspective d’une reprise américaine lente. La consommation constitue plus des deux tiers de l’économie américaine. La perte d’emplois, la baisse des revenus et une chute de la confiance pourraient l’entraver pour une période d’une durée inconnue.»
Voulez-vous savoir pourquoi Trump et la vorace bande de ses copains veulent nous ramener à la vie d’avant, quand bien même l’air serait chargé d’un virus mortel? Pour que nous consommions. La machine qui leur bourre les poches s’est arrêtée parce que les gens préfèrent pouvoir continuer à respirer plutôt que de leur acheter des trucs. En Chine, cela se passe comme ça. Attendez seulement. Ici aussi, ce sera comme ça! [Et diverses données tendent à valider la sous-estimation des décès en Chine, à Wuhan en particulier.]
Pour Trump et les capitalistes, c’est la fin d’un monde, celui qu’ils connaissent et qu’ils possèdent, qu’ils aiment depuis toujours. Pour lequel, ils sont prêts à nous sucer la moelle des os et se fichent complètement de notre détresse.
Un de ces jours, au mépris des experts, Trump annoncera peut-être le retour à la normale. Reste à savoir si les gens l’écouteront. Ce n’est encore que le début. Haut les cœurs! N’écoutons pas le président. (Article publié sur le site de Truthout en date du 28 mars 2020; traduction rédaction A l’Encontre)
Soyez le premier à commenter