Etats-Unis. Pour conserver le pouvoir, Trump envisage de saboter les élections

Par Barry Sheppard

Trump et les républicains projettent de saboter l’élection présidentielle et de provoquer le chaos. Ils espèrent ainsi maintenir Trump au pouvoir et conserver une majorité républicaine au Sénat.

Ils développent deux axes pour atteindre leur objectif. L’un d’entre eux consiste à saper le service postal [l’USPS, voir entre autres sur ce site l’article datant du 4 août 2020], pour rendre difficile voire impossible le décompte des votes par correspondance. L’annonce du candidat gagnant prendrait plusieurs jours, ou plusieurs semaines. Trump a déjà déclaré que face à de tels retards, et pour le cas où il aura perdu l’élection, il n’en reconnaîtrait pas le résultat. Des contestations judiciaires des résultats par les républicains et les démocrates pourraient s’ensuivre. Dimanche 9 août 2020, un article, en Une, du New York Times (NYT) titrait: «Une longue bataille juridique peut suivre le vote le jour de l’élection – Trump jette les bases pour discréditer le résultat –, Biden se prépare».

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L’article fait référence au résultat contesté des élections présidentielles de 2000 en Floride. La Cour suprême était intervenue. Confrontée à un résultat controversé, son intervention avait conclu à l’élection de George W. Bush face à Al Gore à la présidence des Etats-Unis. Alors que Gore avait remporté le vote populaire, la Cour a donné à Bush suffisamment de voix au Collège électoral [qui réunit l’ensemble des grands électeurs qui nomment le président et le vice-président] pour qu’il y bénéficie d’une voix de plus.

Face à un tel gâchis, les violations du vote démocratique qu’engendre le système américain sautent aux yeux. Le NYT écrit: «L’exceptionnelle tempête qu’a provoquée le recomptage des voix en Floride a polarisé le pays en 2000 et a abouti à ce que la Cour suprême décide qui serait président. Cet événement pourrait bientôt sembler n’avoir été qu’une élection de conseil d’école en regard de ce qui menace de se produire en novembre.»

«Imaginez non pas une autre Floride, mais une douzaine de Floride. Pas seulement une série de procès, mais un vaste éventail de ces procès. Et au lieu que deux candidats discrets restent sur la touche et laissent le combat à des substituts, un président des États-Unis en exercice déclenche TOUTES les possibles salves de tweets depuis le Bureau ovale tout en cherchant des moyens d’utiliser le pouvoir de son bureau pour intervenir. La possibilité d’un mois de novembre moche – et peut-être même de décembre et janvier – est apparue plus nettement ces derniers jours, le président Trump se plaignant que l’élection sera truquée et les démocrates l’accusant d’essayer d’en faire une prophétie auto-réalisatrice.»

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Le raisonnement de Trump à propos de «l’élection la plus truquée de l’histoire» repose sur une accusation sans fondement, celle selon laquelle les bulletins de vote par correspondance seraient falsifiés dans les États à gouverneurs démocrate. Alors que, selon lui, ils seraient honnêtement décomptés dans les États, comme la Floride, dont les gouverneurs sont républicains. Il est vrai que le décompte des bulletins transmis par la Poste est plus lent que celui des bulletins déposés dans les bureaux de vote. Les analystes estiment que beaucoup de citoyens et citoyennes recourront au vote par correspondance à l’occasion de ces élections pour éviter le risque d’être exposés au virus.

Le dépouillement ne pourra donc pas se terminer le soir de l’élection du 3 novembre. L’insistance de Trump sur le fait que le gagnant doit être connu le soir même est une mise en scène qui prépare le rejet du résultat, en cas de défaite. Avant la crise du Covid-19 déjà, la Poste subissait une profonde crise financière due aux coûteuses lois des démocrates et des républicains qui l’ont forcée à placer sur un compte bloqué l’équivalent du paiement des retraites pendant 75 ans. Aucune autre agence gouvernementale n’est tenue à une telle obligation.

La pandémie a aggravé les pressions qui s’exercent sur la Poste. De nombreuses personnes ont commandé en ligne des marchandises – y compris des médicaments – obtenues par courrier. Auparavant, elles se rendaient en personne chez leurs fournisseurs. Au cours des récentes négociations entre démocrates et républicains concernant l’allocation de nouvelles dépenses pour l’économie, les républicains ont mis leur veto à une proposition démocrate de 25 milliards de dollars pour permettre à la Poste de faire face à une partie des dépenses supplémentaires qu’a suscitées le virus.

En mai de cette année, Trump a nommé Louis DeJoy au poste de ministre des Postes. Grand donateur de la campagne électorale de Trump (1,2 million de dollars), Louis DeJoy était, avant sa nomination, chargé de la collecte de fonds pour la Convention nationale républicaine. Lui et sa femme détiennent 75 millions de dollars d’actions de concurrents privés ou de sous-traitants de la Poste. Depuis son entrée en fonction, Louis DeJoy a déjà mis en place des mesures de réduction des coûts qui ont eu pour effet de ralentir la distribution du courrier [1].

Il y a maintenant un retard de plusieurs jours dans le traitement du courrier à travers les États-Unis. Cet événement survient alors que Trump ne cesse d’affirmer que la Poste est incapable de gérer l’augmentation des bulletins de vote par correspondance. Louis DeJoy vient de perturber le fonctionnement du service postal en réaffectant ou en licenciant des cadres supérieurs de la Poste: «les personnes même qui exercent la responsabilité quotidienne des opérations du service postal», a déclaré Peter Defazio, représentant démocrate de l’Oregon au Congrès. «Ce n’est rien de moins qu’une tentative de Donald Trump et de sa bande de voler les élections en bloquant ou en retardant le vote par correspondance. Pour tenter de bloquer le vote par correspondance, Trump a poursuivi des États en justice. Cela ne fonctionnera pas. Mais il va essayer d’empêcher la distribution du courrier. C’est scandaleux.»

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S’exprimant sur Democracy Now, Mark Dimondstein, président de l’American Postal Workers Union [2], a déclaré: «Toute politique qui ralentit le courrier va à l’encontre de tout ce à quoi s’engage une postière ou un postier. Et nous sommes totalement opposés à ces politiques qui retardent le courrier. […] Notre travail obéit à une loi selon laquelle nous sommes tenus à “un service rapide, fiable et efficace”. La pandémie a porté les postiers et les postières en première ligne en tant que travailleurs essentiels. C’est évidemment démoralisant pour celles et ceux qui relient le pays en ces temps difficiles, d’être ainsi invités à ralentir la distribution du courrier.»

L’une des plus sévères mesures de réduction des coûts que Louis DeJoy a mises en œuvre a été l’interdiction des heures supplémentaires. «Nous sommes ici dans un monde marqué par le Covid-19. Quarante mille travailleuses et travailleurs des postes ont été mis en quarantaine depuis mars, plus de 2500 sont tombés malades», a déclaré Mark Dimondstein. Les heures supplémentaires sont indispensables pour boucher ces trous. Alors le manque d’heures supplémentaires ralentit encore davantage le courrier. L’objectif immédiat de Trump est de saper le vote par correspondance. Mais il ambitionne un objectif à plus long terme. Selon Mark Dimondstein: «Le 28 juin, l’Office of Management Budget, le Bureau de la gestion et du budget de la Maison Blanche a présenté une proposition écrite visant à démanteler la Poste et à la vendre à des entreprises privées, pour réaliser des profits privés. Le fait que les gens aient accès au service postal dépendra alors de qui ils sont, de l’endroit où ils vivent et du prix que cela coûtera.»

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Outre le sabotage du service postal, le second axe sur lequel comptent Trump et les siens pour influer sur le résultat est la pratique du voter suppression (suppression des électeurs) [3]. Le cœur de la fameuse loi de 1965 «Voting Rights Act» sur le droit de vote a été annulé en 2013 par la majorité républicaine de la Cour suprême dans une décision de cinq contre quatre qu’a rédigée le Chief Justice John Roberts [4]. Les dispositions annulées sont celles qui obligeaient les États qui avaient l’habitude de supprimer les électeurs noirs à l’époque de Jim Crow [5] d’obtenir l’approbation du gouvernement fédéral avant de promulguer de nouvelles lois sur les droits de vote.

Depuis lors, des États du Sud que contrôlent les républicains, ou d’autres États, ont adopté de nombreuses restrictions du droit de vote qui visent les électeurs noirs et que la Cour suprême a confirmées. Ils ont utilisé divers subterfuges qui rappellent les décisions arbitraires de l’époque de la ségrégation raciale.

Un article du New York Times a souligné que la décision de 2013 «a incité de nombreux États contrôlés par les républicains à promulguer des voter ID law [6], à annuler le vote anticipé et à purger les listes d’inscription des électeurs». Un exemple de décision arbitraire a été de réduire drastiquement les bureaux de vote dans les communautés à prédominance noire de Géorgie à l’occasion des élections de 2018. Après avoir été contestée, cette mesure a été ratifiée par la Cour suprême.

Depuis le mois d’avril 2020, la Cour a rendu quatre autres décisions dans des affaires de l’Alabama, de la Floride, du Texas et du Wisconsin qui restreignaient les votes par correspondance. Elles affectent de manière disproportionnée les électeurs noirs et latinos. En avril, la majorité de la Cour a statué qu’un juge fédéral n’aurait pas dû prolonger la date limite pour certains votes par correspondance en raison de la pandémie de coronavirus.

Dans une prise de position dissidente, la juge Ruth Bader Goldberg a écrit que «l’ordonnance du tribunal, je le crains, entraînera une privation massive du droit de vote». Elle a déclaré que la majorité avait placé les électeurs face à un choix inacceptable. «Soit ces électrices et électeurs devront se rendre au bureau de vote, en bravant le danger et en mettant en danger leur sécurité et celle des autres, soit elles et ils perdront le droit de vote, bien qu’ils n’auront pas commis la moindre faute.»

En juillet 2020, la Cour a bloqué l’ordonnance d’un juge de première instance qui aurait facilité l’utilisation de bulletins de vote par correspondance lors d’une élection primaire en Alabama. Dans une autre décision, la Cour a refusé de rétablir une décision du juge de première instance qui aurait permis à toutes les électrices et à tous les électeurs du Texas – et pas seulement à celles et à ceux âgés de 65 ans ou plus – de faire parvenir leur bulletin de vote par courrier en raison de la crise sanitaire.

En 2018, les électeurs de Floride ont étendu par référendum le droit de voter aux criminels qui avaient purgé leur peine (la Floride les avait précédemment privés de droit de vote pour le reste de leur vie). Le gouvernement contrôlé par les républicains a ensuite adopté une loi qui stipule que ces anciens détenus doivent d’abord rembourser les amendes et les frais de justice, avec intérêts, avant de pouvoir voter; ce qui les prive effectivement du droit de vote.

La Cour suprême a statué que la Floride pouvait procéder ainsi. Les Noirs et les Latinos représentant la grande majorité des personnes emprisonnées du fait du programme d’incarcération de masse aux États-Unis, ces populations sont les plus touchées.

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S’il s’avère que, malgré les efforts de Donald Trump pour supprimer les votes minoritaires et pour saboter le vote par correspondance, il est déclaré perdant, il reste à voir comment il mettra à exécution – ou s’il met à exécution – ses menaces de ne pas accepter ce résultat, et ce que cela signifiera. Mais il est certain que nous pouvons faire face à un grave danger pour la démocratie bourgeoise, aussi faible qu’elle soit déjà aux États-Unis. (Article envoyé par l’auteur le 12 août 2020; traduction rédaction A l’Encontre)

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[1] Voir aussi sur le site A l’Encontre le 20 avril 2020 un entretien avec Mark Dimonstein, «Etats-Unis. L’United States Postal Office peut mourir ces prochains mois. Une lutte se profile». (Réd.)

[2] Syndicat américain des travailleuses et des travailleurs de la poste. (Réd.)

[3] Voter suppression: la suppression des électeurs est une stratégie utilisée pour influencer le résultat d’une élection en décourageant ou en empêchant des groupes spécifiques de personnes de voter par divers moyens légaux ou illégaux, à l’échelle des municipalités, des Etats et lors même des élections. (Réd.)

[4] Chief Justice, le juge en chef des États-Unis est le plus haut magistrat du système judiciaire fédéral étasunien et le président de la Cour suprême des Etats-Unis. La Cour suprême comporte neuf juges dont un président. (Réd.)

[5] Les lois Jim Crow (Jim Crow Laws) étaient des lois nationales et locales promulguées par les législatures des États du Sud de 1877 jusqu’en 1964, lois visant à entraver l’application effective des droits constitutionnels des Afro-Américains, acquis au lendemain de la Guerre de Sécession: le Treizième amendement de la Constitution des États-Unis du 6 décembre 1865 abolissant l’esclavage; le Quatorzième amendement de la Constitution des Etats-Unis de 1868, accordant la citoyenneté à toute personne née ou naturalisée aux États-Unis et interdisant toute restriction à ce droit; le Quinzième amendement de la Constitution des États-Unis, de 1870, garantissant le droit de vote à tous les citoyens des États-Unis. (Réd.)

[6] Une voter ID law, loi d’identification des électeurs, loi qui demande d’une personne qu’elle présente une carte d’identité à l’occasion du scrutin. Dans nombre de circonscriptions une électrice ou un électeur qui ne dispose pas d’une carte d’identité comportant sa photo doit présenter une déclaration signée sous serment pour recevoir un bulletin de vote. (Réd.)

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