Etats-Unis. L’United States Postal Office peut mourir ces prochains mois. Une lutte se profile

Entretien avec Maerk Dimonstein conduit par Hamilton Nolan

L’United States Postal Service (USPS), compte parmi les victimes les plus lourdement atteintes par la crise financière due au coronavirus. Littéralement, elle manquera de l’argent nécessaire à son fonctionnement sans approbation rapide d’un plan de sauvetage par le gouvernement fédéral. A l’instar d’une grande partie des républicains, l’administration Trump plaide depuis longtemps pour couper dans le service postal, pour le privatiser. Elle s’est donc investie pour empêcher que la loi CARES (Coronavirus Aid, Relief, and Economic Security, entrée en vigueur le 27 mars 2020) renfloue l’USPS. Ça n’a pas empêché Donald Trump d’en faire des tonnes en louanges publiques sur le travail accompli par Fedex et l’UPS, deux firmes privées. Pas tout à fait subtil.

Il y eut cinquante ans le mois dernier, les postiers américains ont déclenché une grève historique et sans précédent de huit jours. Ils ont fait reculer l’administration Nixon et obtenu le droit de négociation collective. Un demi-siècle plus tard, Mark Dimondstein, président du Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes – fort de 200’000 membres – affirme que l’administration Trump s’est emparée de la crise actuelle pour détruire une fois pour toutes le service postal comme entité publique. In This Times s’est entretenu avec Maerk Dimondstein du risque mortel qui menace les postiers et de leurs projets pour y faire face.

Hamilton Nolan: Aujourd’hui, que demandez-vous précisément au Congrès?

Mark Dimondstein: La pandémie a un énorme impact économique sur le courrier postal. La Poste n’est pas financée par les contribuables, elle fonctionne grâce aux revenus d’affranchissement et aux services qu’elle dispense. Lorsqu’entre 40% et 50% de ces rentrées sont annulées par la pandémie – et c’est ce qui semble en train de se produire très rapidement et dans la confusion – cet argent devra être récupéré. C’est pourquoi, le Conseil des gouverneurs des postes demande 25 milliards de dollars en fonds de secours et 25 autres pour moderniser le parc automobile. Ces fonds sont nécessaires au bien-être commun dans ce pays. Il ne s’agit pas de financer une boîte privée.

Nous avons bénéficié du soutien bipartisan pour un tel appui avec la loi CARES, mais le secrétaire au Trésor Steven Terner Mnuchin, parlant au nom de l’administration, a empêché qu’il nous soit accordé.

Comment expliquez-vous l’hostilité de l’administration Trump au sauvetage du service postal?

Je pense que c’est assez évident. En juin 2018, un rapport de l’Office of Management and Budget (Bureau de la gestion et du budget) – c’est-à-dire de la Maison Blanche – a ouvertement appelé à vendre le service postal à des sociétés privées. Pour enrichir quelques-uns de leurs amis du secteur privé au détriment de tous les habitants de notre pays.

Leur objectif est d’autant plus lamentable que nous connaissons un chômage massif. Il s’accroît à un rythme jamais vu, même pendant la Grande Dépression des années 1930. Et le service postal, ce sont 600’000 bons emplois, correctement rétribués. Qu’ils osent s’y attaquer est proprement scandaleux.

Et plus fondamentalement, ils s’attaquent à un droit du peuple des Etats-Unis. En privatisant la Poste et en la vendant à des boîtes privées, recevoir notre courrier dépendra de qui nous sommes, d’où nous vivons et du prix que nous serons prêts à payer.

Quel est aujourd’hui pour la Poste le degré d’urgence d’une solution? Sans programme de sauvetage, quand les gens verront-ils que leur courrier est touché?

La Poste a élaboré une projection, nous pouvons donc imaginer ce qui pourra se passer. La Poste sera probablement à court d’argent entre juillet et septembre 2020. A ce moment, le travail cessera. Il n’y a plus rien pour remplir les réservoirs des camions, pour payer les travailleurs, pour payer le courant.

Nous avons reçu un soutien bipartisan à la Chambre et au Sénat [pour financer le service postal dans le cadre de la loi CARES]. Mais à Wall Street, le secrétaire au Trésor, ex de Goldman Sachs [Steven Terner Mnuchin], a déclaré aux deux partis: «Vous n’aurez pas de plan de secours s’il comporte la Poste.» Et pourtant, ils ont donné 500 milliards de dollars au secteur privé. Et c’est ce rapport des forces que nous devons retourner. Nous avons besoin que le Congrès dise maintenant à Mnuchin: «Vous n’aurez pas de plan de secours si la Poste n’est pas dedans.»

Craignez-vous qu’ils s’en prennent à vos droits de négociation collective pour obtenir un compromis?

Le groupe de travail présidentiel que dirigeait Mnuchin a déjà demandé la liquidation de notre droit à la négociation collective. Bien sûr, c’est dans leur agenda. Depuis 2010, nos collègues ont fait des sacrifices et des concessions énormes à la Poste, pour des milliards de dollars par an. Alors, nous combattrons avec acharnement toute tentative de nous enchaîner. Rien de ce qui a un lien avec la lutte contre le Covid ne doit être prétexte à poser des chaînes.

Les postiers luttent en première ligne, ils font un travail essentiel. Plus de 30 sont morts du coronavirus. Des milliers en ont été malades, des milliers d’autres mis en quarantaine. Et ils veulent s’en prendre à nos salaires et à nos avantages sociaux? Même pas en rêve!

Votre syndicat a beaucoup de membres. Vous êtes maintenant au bord du précipice, quelles actions militantes pourriez-vous entreprendre comme syndicat dans une situation de vie ou de mort pour la Poste?

Nous n’avons pas encore tellement pu y réfléchir. Pour l’heure, nous sommes concentrés sur la santé et la protection des collègues. Et nous nous efforçons d’obtenir que le Congrès finance ce dont nous avons besoin. Comment réagir si le Congrès ne le fait pas? En ce qui concerne la réaction des gens si le Congrès ne le fait pas, nous ferons face à l’obstacle quand nous y arriverons. Mais je suis sûr que les travailleurs seront très mécontents. Leurs familles seront très en colère. Leurs communautés seront très fâchées. Et je pense qu’il y aura certainement une intensification des efforts de la part des citoyens de ce pays pour s’assurer que la Poste soit sauvée.

Et je veux encore souligner un point: le suffrage universel. Nous vivons maintenant dans une situation où les gens ne peuvent se rendre au bureau de vote. Les scrutateurs ne peuvent pas accomplir en sécurité leurs fonctions civiques. Par contre, le vote par correspondance est sûr, il laisse une trace écrite, il fonctionne dans les États qui l’ont institué, comme dans ceux qui l’autorisent. Il augmente la participation au scrutin. Or, dans ce pays, il y a des gens qui préféreraient que personne ne vote! C’est la Poste qui assurera dans une large mesure la tenue du scrutin! Je répète, le service postal public, c’est la vie civique de ce pays.

Votre syndicat a soutenu Bernie Sanders. Que pensez-vous du cours qu’a pris la primaire?

Je pense que le sénateur Sanders a fait un travail formidable au cours de toutes ces années écoulées, de 2016 à 2020. Il a pris à bras le corps les questions qu’il fallait soulever. Et c’est à ça que les gens ont si bien réagi. Sanders a mis en avant le besoin de soins à payeur unique, le Medicare for All. L’objectif était maintenu à la marge du débat public. Il l’a porté au centre de la vie politique du pays. Et regardez ce que révèle la pandémie: nous vivons en société. Pour être en bonne santé, il faut que tout le monde soit assuré. Pourquoi? Parce que si vous êtes malade vous allez contaminer quelqu’un d’autre.

Je pense – et Sanders lui-même l’a dit – qu’il a perdu la capacité d’être élu. C’est un fait. C’est un malheur, car je pense que Sanders pouvait être élu. Mais je pense que cette pandémie révèle notre besoin d’une approche plus collective, notre besoin commun de prendre chacun et chacune soin des autres: avec le congé maladie payé, avec Medicare for All, avec la garde d’enfants, avec un gouvernement fédéral capable d’agir. Ce que je veux dire à ce propos: quelqu’un peut-il accepter que ce gouvernement n’ait ni préparé les tests ni été en mesure de tester rapidement les gens? C’est complètement dément.

Que pensez-vous du poids de cette crise pour l’avenir du mouvement ouvrier? Va-t-elle nuire aux syndicats ou leur ouvre-t-elle des opportunités?

Si nous voulons vraiment nous mettre en mouvement, je pense que le moment est venu pour les travailleurs de se dire: «Nous devons vraiment être entendus sur le lieu de travail.» Dans le pays tout entier les travailleurs sont à la merci de la pandémie. Cette cruelle leçon est précieuse pour les travailleurs de ce pays: nous avons besoin de syndicats plus forts, nous avons besoin de droits sociaux et collectifs plus forts.

D’après les articles que j’ai lu les travailleuses et travailleurs d’Instacart, celles et ceux de Walmart, d’Amazon, et dans toutes sortes d’entrepôts, de chantiers et d’usines ressentent fortement combien ils sont plus vulnérables sans organisation pour les défendre.

Le mouvement ouvrier doit agir. À mon avis, le mouvement syndical doit lutter beaucoup plus clairement pour toutes les travailleuses et tous les travailleurs, qu’ils soient syndiqués ou non. Et ce combat est le combat pour une assurance maladie légale pour la société tout entière et non une assurance maladie dépendant de l’employeur. Pour un congé maladie pour toutes et tous et non dépendant de l’employeur. L’AFL-CIO et les autres syndicats ont une formidable opportunité pour se porter à l’avant-garde de la classe ouvrière tout entière dans de telles négociations. (Article publié dans In These Times, en date du 18 avril 2020; traduction par la rédaction de A l’Encontre)

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