Brésil. Le rôle des militaires prétend s’imposer aussi dans le champ économique

Par Mario Osava

Le ministre de l’Economie, Paulo Guedes, autrefois considéré comme tout-puissant et pilier du gouvernement d’extrême droite de Jair Bolsonaro, est aujourd’hui confronté à une rébellion contre ses réformes libérales et ses mesures d’austérité budgétaire, menée principalement par ses collègues militaires qui invoquent des prévisions désastreuses dans ce domaine.

La crise provoquée par la pandémie de Covid-19 a affaibli les orientations économiques de Paulo Guedes et a favorisé les propositions d’augmentation des dépenses et des investissements publics face à la nécessité de relancer l’économie et face à la popularité malmenée de Bolsonaro.

Le président a fait des déclarations de soutien à M. Guedes, dont le départ pourrait saper le soutien des hommes d’affaires et chasser les investisseurs qui préfèrent des politiques favorisant le libre marché, le secteur privé et la réduction des obstacles étatiques.

Mais le gouvernement a déjà perdu un autre pilier, l’ancien ministre de la Justice Sergio Moro, qui, en tant que juge, a mené l’opération Lava Jato qui, depuis 2014, a permis de condamner des centaines de politiciens et d’hommes d’affaires pour corruption.

Sergio Moro a donné de la crédibilité au gouvernement, mais sa démission en avril a eu peu d’effet sur le gouvernement, malgré ses accusations visant Jair Bolsonaro qui a essayé d’interférer avec la police fédérale [qui enquêtait sur les actions de son fils Flávio Bolsonaro: http://alencontre.org/ameriques/amelat/bresil/bresil-la-bataille-est-ouverte-entre-le-reseau-de-bolsonaro-et-certains-de-ses-anciens-allies-avec-au-centre-un-systeme-juridique-secoue.html], qui est une agence d’Etat plutôt qu’une agence gouvernementale et qui est liée au ministère de la Justice.

Pour surmonter de départ de Sergio Moro et ses accusations sans subir des dommages sérieux, ainsi que d’autres revers – comme le licenciement en avril de l’ancien ministre de la Santé Henrique Mandetta, qui était populaire pour sa gestion du Covid, et plusieurs enquêtes pointant sur des cas de corruption dans la famille présidentielle – les militaires apparaissent au premier plan comme soutien et matrice de ce gouvernement. Son caractère n’est pas encore qualifié de militaire, bien que 10 ministres sur 23 et 6157 fonctionnaires occupant des postes civils dans les ministères soient d’origine militaire, selon la Cour des comptes de l’Union, un organe auxiliaire du Congrès national législatif, dans un rapport publié le 17 juillet 2020.

C’est plus du double des 2765 militaires qui occupaient des postes civils en 2018, sous le gouvernement qui a précédé l’arrivée au pouvoir de Jair Bolsonaro en janvier 2019.

La plupart des ministres actuels sont des officiers de l’armée de terre à la retraite, un de l’armée de l’air et un de la marine. Le seul général en activité est le ministre de la santé Eduardo Pazuello, officiellement nommé ad interim, mais en fonction depuis trois mois et sans remplacement à l’horizon.

En outre, le Secrétariat général de la présidence est dirigé par un membre de la Police militaire à la retraite, Jorge Oliveira, qui, avec trois généraux de l’armée, constitue le groupe le plus proche de Bolsonaro, avec des bureaux au Palais Planalto, le siège présidentiel à Brasilia.

L’influence des militaires s’est accrue au cours des 18 mois du gouvernement actuel, mais ce ne sont pas ces signes plus visibles qui dictent la nature du gouvernement, mais l’importance de Jair Bolsonaro lui-même dans la présidence de ce pays sud-américain de dimensions continentales et de 211 millions d’habitants.

Sa victoire électorale par 57,8 millions de voix au second tour, le 28 octobre 2018, a redonné aux militaires le pouvoir qu’ils avaient quitté en 1985 après 21 ans de dictature, que les militaires ne reconnaissent pas comme telle. Pour les militaires, l’élection d’un chef qui était capitaine de l’armée à une majorité de 55,1% des suffrages valides représentait la réhabilitation populaire des militaires en tant que dirigeants.

La popularité des forces armées a probablement été déterminante pour cette victoire, puisque les sondages les ont longtemps placées comme l’une des institutions les plus fiables pour les Brésiliens, qui a atteint son apogée précisément lors des élections de 2018.

«C’est l’alternance démocratique», après 33 ans de gouvernements de gauche, selon la formule utilisée dans des interviews et des articles par le vice-président, Hamilton Mourão, général à la retraite. Or ce dernier utilise la formule d’alternance entre démocratie et dictature ou entre civilisme et militarisme, et non pas entre courants démocratiques.

Le coup d’État militaire de 1964, qui a instauré la dictature, a été «un cadre pour la démocratie brésilienne», selon le message que le ministre de la Défense Fernando Azevedo e Silva, également général. Il l’a envoyé à l’ensemble des casernes, le 31 mars 2020, pour célébrer l’anniversaire du «Mouvement de 1964», qui, selon lui, aurait empêché une dictature communiste au Brésil.

Jair Bolsonaro était un capitaine rebelle, accusé en 1987 d’avoir planifié des bombardements à Rio de Janeiro. Un an plus tard, il quitte l’armée et se lance dans la politique, d’abord comme conseiller municipal, puis comme député national, pendant 28 ans.

Mais il a toujours maintenu son cordon ombilical avec les militaires. Il assiste fréquemment à la remise des diplômes aux nouveaux officiers de l’Académie militaire Agulhas Negras de Resende, à 160 kilomètres de la ville de Rio de Janeiro. En novembre 2014, il apparaît dans une vidéo dans laquelle est répété à l’unisson par les cadets son statut de «dirigeant».

C’est avec un langage cru, brutal, qu’il célèbre la violence dictatoriale et le «héros» Carlos Brilhante Ustra, un colonel mort en 2015. Il avait commandé un centre de torture en 1970-1974 à São Paulo. De la sorte, Bolsonaro est devenu le dirigeant qui a sauvé la fierté et l’estime de soi des militaires. Il leur a donné une approbation populaire majoritaire lors des élections. Il les a également fait sortir d’une léthargie politique de trois décennies, placée sous les récriminations permanentes des nouveaux protagonistes politiques et des historiens.

Les membres de génération actuelle de généraux ont presque tous été formés pendant la dictature militaire. Les ministres proches de Bolsonaro et lui-même ont obtenu leur diplôme entre 1969 et 1978, la période de la plus grande violence répressive de l’armée, mais aussi la plus glorieuse, lorsque l’économie brésilienne connaissait une croissance de plus de 10% par an.

A cette époque, la propagande militaire construisait le «Brasil Grande», avec des routes qui traversaient le pays, le programme d’énergie nucléaire, et une industrialisation accélérée qui accroissait la classe moyenne et la population urbaine. En outre, le pays est devenu alors trois fois champion du monde de football. Le régime a cherché à alphabétiser toute la population; il a initié la colonisation de l’Amazonie et le développement agricole qui allait se traduire par des exportations massives de soja, de viande et de maïs, et pas seulement de café.

Pour le bolsonarisme c’est l’époque de référence: un passé qui sert d’utopie aux militaires. Jair Bolsonaro a déclaré que, pendant la campagne électorale de 2018, il chercherait à recréer «un Brésil similaire à celui d’il y a 40 ou 50 ans», lorsque la famille, les valeurs traditionnelles et l’éducation prédominaient.

Le «marxisme culturel» est probablement la «théorie» qui résume le mieux les convictions militaires, qui sont exprimées par des officiers à la retraite, considérés comme des réserves des forces militaires, en symbiose avec le bolsonarisme. Ce n’est pas nouveau pour les militaires, qui parlaient il y a longtemps de «guerre psychologique adverse» et d’ennemis internes. Ces communistes – qualificatif renvoyant à leur dictionnaire idéologique – qu’ils ont vaincus seraient à l’origine de l’évolution des idées et des mouvements qui ont émergé dans un processus antérieur à la redémocratisation initiée en 1985. Ils voient partout des «communistes» ou, pour ne pas paraître ridicules, des «gauchistes».

Cela expliquerait la colère et l’obstination avec lesquelles, ces militaires agissent contre les arts, le journalisme, l’enseignement, l’environnement, les droits des indigènes et d’autres domaines qu’ils considèrent comme contaminés, voire dominés, par la nouvelle forme de pénétration «marxiste»: le discours insidieux.

«Tendancieux, malhonnête, mensonger et crapuleux», c’est ainsi que 93 officiers de l’armée à la retraite qualifient le journalisme, dans un manifeste, datant du 23 mai 2020, en solidarité avec le général Augusto Heleno Pereira, ministre de la Sécurité institutionnelle, dans une controverse avec la Cour suprême fédérale (STF).

Ils avouent préférer les réseaux sociaux aux journaux, des réseaux que le bolsonarisme utilise pour orienter ses militants et diffuser de fausses informations contre ses adversaires.

En 19 mois, le ministère de l’Education a déjà mené quatre attaques: des mesures moralisatrices et religieuses, des tentatives de criminalisation des enseignants, la diffamation des universités et la construction d’écoles militaires.

Dans le domaine de la culture, dont le ministère a été rétrogradé au rang de secrétariat du ministère du Tourisme, on trouve également des attaques et des activités paralysées. Le ministère de l’Environnement a désactivé ses organes, dans le cadre d’une série de mesures qui écartent des investissements dont le Brésil a besoin pour soutenir la conservation de ses écosystèmes.

Ce sont des militants civils, du groupe dit «idéologique», qui mènent ces batailles destructives, mais les ministres généraux ne leur sont pas étrangers. Ils ne sont pas en désaccord, comme on le croyait il y a quelque temps. Ils sont ensemble dans cette guerre culturelle menée par des civils et des membres en uniforme de la droite radicale. (Article publié par Inter Press Service, en date du 14 août 2020; traduction rédaction A l’Encontre)

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