Editorial du Socialist Worker
Ce mois-ci, deux prises de bec, avec des conclusions très différentes, entre les activistes du Black Lives Matter et des candidats démocrates pour les primaires en vue des élections présidentielles de 2016 jettent une lumière autant sur les démocrates et leur réponse faite de paroles vaines et d’absence d’action face aux revendications de justice raciale que sur la politique du mouvement Black Lives Matter et les défis auxquels il fait face un an après la rébellion de Ferguson.
Le premier événement a fait la une des médias. Le 8 août, deux activistes de premier plan du Black Lives Matter occupèrent la tribune lors d’un meeting, à Seattle, du sénateur du Vermont, Bernie Sanders [candidat à l’investiture du Parti démocrate] en défense de la sécurité sociale, du Medicare [assurance maladie pour les personnes de plus de 65 ans] et du Medicaid [assurance maladie pour les personnes à très faible revenu]. Les deux activistes repoussèrent les tentatives des organisateurs de reprendre le micro et continuèrent à s’exprimer alors que la foule – dont une grande partie a attendu une heure et demie pour écouter Sanders parler sur ces trois programmes sociaux centraux – devenait impatiente.
Des allégations folles commencèrent immédiatement à circuler sur Internet. Les deux femmes auraient, en fait, été envoyées par la campagne d’Hillary Clinton [elle aussi candidate] ou même seraient des instruments du Parti républicain. Mais il y eut aussi des affirmations selon lesquelles les organisateurs du meeting avaient appelé la police pour arrêter les militantes et que la foule à laquelle elles faisaient face était «une bande de racistes blancs hurlant», ainsi qu’elle fut qualifiée par les activistes à la tribune.
De la presse à grande diffusion aux médias sociaux, la plupart des récits dépeignaient le conflit comme étant un symbole des profondes divisions et de l’hostilité entre deux camps progressistes: d’un côté, le mouvement Black Lives Matter qui se développe en protestation contre la violence policière raciste croissante et épidémique; et, de l’autre, les mobilisations populaires qui s’expriment en faveur de la campagne de Sanders, centrées sur les inégalités sociales et économiques.
Ce conflit est faux et nuisible. A gauche, pour tout le monde, tenter de surmonter cette polarisation est un défi.
La deuxième rencontre a reçu moins de publicité: un groupe d’activistes du Black Lives Matter a voyagé de Boston vers le New Hampshire pour faire face à Hillary Clinton lors d’un «arrêt de campagne», le 11 août. Le groupe arriva trop tard pour entrer dans le forum où Clinton parlait, mais l’équipe de campagne arrangea une rencontre à portes fermées avec la candidate immédiatement après. Avant leur protestation planifiée, le groupe déclara via Twitter: «Nous avons attiré l’attention de l’équipe de @HillaryClinton & ils travaillent avec nous».
L’idée selon laquelle Hillary Clinton «travaille avec» des activistes antiracistes pour une quelconque autre raison que celle de soutenir sa campagne est également fausse. Elle doit aussi être mise en question.
Les activistes et organisations du Black Lives Matter promettent des affrontements supplémentaires avec les candidats pour l’élection présidentielle de 2016, mais les deux que nous venons de mentionner posent déjà d’importantes questions: quelle relation le mouvement Black Lives Matter doit entretenir avec le Parti démocrate? Qu’est-ce que signifie mettre sous pression des Démocrates de premier plan et que devons-nous attendre d’eux? Où réside le pouvoir permettant de gagner le type de changements radicaux que Black Lives Matter appelle de ses vœux? Les activistes antiracistes et les organisations doivent-ils chercher à gagner des couches plus larges de la société à notre cause? Et si oui, comment? Quelles sont les stratégies et les tactiques qui découlent des réponses apportées à ces questions?
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Si l’objectif à court terme de ces affrontements était d’obtenir des deux candidats favoris aux primaires démocrates qu’ils reconnaissent l’injustice des violences policières et de l’incarcération de masse ainsi que d’ajouter des promesses de changement dans leurs déclarations de campagne, la victoire est alors déjà à leur portée.
Mais la facilité avec laquelle Clinton et Sanders peuvent satisfaire ces «revendications» devrait interroger les activistes.
L’équipe expérimentée d’Hillary Clinton était à l’affût des activistes de Black Lives Matter dans le New Hampshire et chercha à les séduire avec la rencontre privée organisée avec la candidate.
Il n’était pas seulement question d’éviter l’embarras dont avait souffert son opposant, Bernie Sanders. Hillary Clinton comprend que tout candidat qui souhaite gagner les primaires démocrates devra dire quelque chose au sujet de la violence raciste et de la police. Ainsi, après la rébellion de Baltimore qui fit suite au meurtre de Freddie Gray par la police, se déroula le spectacle d’Hillary Clinton déclarant qu’il était «temps de mettre un terme à l’époque de l’incarcération de masse», laquelle, lors de la présidence de son époux, avait été accélérée.
B. Sanders a été plus lent à répondre que H. Clinton en raison de la faiblesse historique de sa politique social-démocrate, qui comprend mal la connexion entre les revendications économiques de la classe laborieuse contre la pauvreté et l’exploitation et les revendications spécifiques contre le racisme et la discrimination des Afro-Américains et d’autres minorités opprimées.
Sanders commença pourtant à changer de ton après la première protestation de Black Lives Matter lors de son apparition à la mi-juillet à la conférence Netroots Nation [réseau militant] à Phoenix [Arizona]. La nouvelle section de son site de campagne consacrée à la «justice raciale» était fondée sur une présentation faite devant la National Urban League, fin juillet et le meeting de Sanders à Los Angeles. Devant un important public, y compris de nombreux syndicalistes, son discours tourna autour des mêmes questions; il avait donc été préparé avant la protestation de Seattle, deux jours plus tôt.
Sanders devrait être contesté pour son échec historique à aborder l’une des plus importantes questions politiques aux Etats-Unis. De manière générale, les candidats des primaires démocrates devraient sentir une pression pour qu’ils répondent à la prise de conscience populaire croissante [sur ces questions] ainsi qu’à l’impact des protestations. Mais ces seuls aspects constituent une manière étroite de juger la direction d’un mouvement tel que Black Lives Matter qui aspire à atteindre quelque chose de bien plus vaste que les seules déclarations publiques de politiciens démocrates.
Ainsi que le souligna Keeanga-Yamahtta Taylor dans un article pour The Root [Black News, Opinion, Politics and Culture]: «Les candidats concourant au poste le plus élevé des Etats-Unis devraient certes répondre au mouvement antiraciste le plus significatif qui balaie le pays depuis des années. Mais il y a une question plus large: quelle est la signification du fait que Sanders ou Clinton présentent des plateformes de “justice raciale” alors qu’ils restent dans un parti politique qui est complice et qui s’est impliqué dans la destruction de quartiers noirs par le biais de la privatisation et de l’érosion des institutions et des services publics? Pourquoi devrions-nous croire que représente autre chose qu’une posture adoptée en année électorale? En 1964 Malcolm X disait aux électeurs noirs: “vous placez les démocrates en première position et les démocrates vous placent en dernière”. Quelque chose a-t-il changé en 50 ans?»
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Lorsqu’ils tentent de gagner les voix de la base démocrate, les dirigeants du parti utilisent une rhétorique séduisante et font état de promesses de campagnes comme d’un bonbon d’Halloween. Ce qui est plus difficile est de faire en sorte qu’ils agissent lorsqu’ils sont en capacité de le faire: inculper et poursuivre les policiers assassins, démilitariser la police et décriminaliser les infractions non violentes, redistribuer la richesse des entreprises et des riches afin de financer nos écoles, bibliothèques, parcs et programmes sociaux.
Clinton et Sanders espèrent être le président succédant à Barack Obama, le premier Afro-Américain élu à la Maison-Blanche dans un pays fondé sur l’esclavage. Alors qu’Obama doit son succès à l’enthousiasme sans précédent de la communauté noire, il a présidé à la détérioration des conditions de la grande majorité des Afro-Américains, y compris à la militarisation de la police ainsi qu’à une escalade effrayante de violence raciste [ce à quoi on peut ajouter, en 2013, la suppression de dispositions, obtenues en 1965 par les mobilisations du mouvement des droits civiques, supervisant et garantissant le vote des Afro-Américains dans certains Etats].
Le silence quasi entier d’Obama sur toute question liée au racisme a succédé, cette année, à une certaine reconnaissance prudente de l’ampleur du racisme policier, à des propositions modérées de réforme qui restent sous-financées et appliquées de manière inconsistante, de même qu’à des appels à renverser les peines planchers obligatoires qui ont rempli à craquer les prisons des Etats-Unis de délinquants non-violents, lesquels sont de manière disproportionnée Afro-Américains [1].
C’est un changement par rapport à l’hystérie law-and-order ininterrompue au cours des dernières décennies. Mais il y a des limites manifestes. Obama ne fait que prendre la parole dans la mesure où il sait que ces dernières années de président comme «canard boiteux» [c’est-à-dire qu’il sait qu’il ne sera pas élu – au terme de son deuxième mandat – et que les élections de mi-mandat se sont déjà déroulées] et en sachant que les républicains au Congrès disposent des voix suffisantes pour bloquer toute mesure concrète qu’il présente. De même, l’espoir présidentiel Hillary Clinton critique aujourd’hui la mise en œuvre de choses dont elle était responsable en tant que sénatrice de l’Etat de New York et dirigeante du Parti démocrate.
Plus important encore est de savoir pourquoi Clinton et Obama ont quelque chose à dire aujourd’hui: l’éruption de protestations et de mécontentement politique à la suite du soulèvement contre le meurtre [de Mike Brown], il y a une année, à Ferguson et qui s’est répandu dans les villes à travers le pays.
Si les dirigeants démocrates et même les républicains atypiques reconnaissent Black Lives Matter, c’est parce que des centaines de milliers de personnes sont descendues dans les rues au cours des derniers mois et bien d’autres ont vu leurs convictions et leurs idées mises en doute par ce mouvement et ont changé d’opinion – et non à cause des affrontements publics qui ont débuté cet été.
C’est la raison pour laquelle Sanders – un socialiste du type de la social-démocratie modérée européenne – a réagi comme il l’a fait sur cette question. En raison de sa formation politique, Sanders s’est centré historiquement sur la question de la justice économique, tout en minimisant l’importance d’affronter des formes d’oppression qui affectent des franges spécifiques de la classe laborieuse.
SocialistWorker.org a argumenté contre cette attitude de Sanders ainsi que contre de semblables exprimées par des militants de gauche plus radicaux. Nous sommes convaincus qu’il sera impossible de bâtir un mouvement unifié de la classe laborieuse à même de défier le capitalisme à moins qu’il ne lutte de manière simultanée pour défaire le racisme et l’oppression sous toutes ses formes. Mais il est aussi important de reconnaître que quelqu’un soutenant les idées de Sanders n’est pas un suprématiste blanc.
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Plus encore, la même chose s’applique aux personnes qui ont participé au meeting de Seattle afin de défendre la sécurité sociale, Medicare et Medicaid, où Sanders devait être le plus important orateur – aux côtés de Kshama Sawant, conseillère municipale socialiste de Seattle, ainsi que Gerald Hankerson, président du NAACP pour la région du nord-ouest de la côte Pacifique [National Association for the Advancement of Colored People, l’une des plus vieilles organisations – d’orientation plutôt modérée – de défense des droits des Noirs].
La foule de quelque 4000 personnes était principalement composée de Blancs, mais pas exclusivement. Le sponsor de l’événement était la Social Security Workers Washington Coalition, une alliance de syndicats et d’organisations de travailleurs qui, bien sûr, comptent des membres de couleur.
Mais les deux activistes Black Lives Matter qui occupèrent la tribune alors que Sanders commençait de parler caractérisèrent la foule participant au meeting de «libéraux [dans le sens américain, soit «de gauche»] suprématistes blancs».
Selon les comptes rendus, des huées de la foule se firent entendre lorsque la perturbation commença – ce qui n’est sans doute pas surprenant étant donné la confusion du moment. Certains dans la foule huèrent Marissa Janae Johnson et Mara Jacqueline Willaford [les deux activistes] et exigèrent qu’elles soient arrêtées. Mais d’autres hurlèrent: «laissez-les parler». Après avoir résisté à l’occupation de la tribune, les organisateurs du meeting tentèrent de calmer la colère des participants durant les quatre minutes et demie de silence qu’exigèrent les activistes. Lorsque Johnson et Willaford prirent le micro et continuèrent de parler après ce moment de silence, Sanders quitta la tribune et les organisateurs déclarèrent que l’événement était terminé.
Par la suite, les deux activistes expliquèrent qu’elles n’avaient pas demandé l’autorisation de parler et que celle-ci leur aurait dans tous les cas été refusée – elles insistèrent que si elles avaient fait ainsi, cela serait revenu à capituler devant l’idée que les antiracistes doivent «demander la permission» de s’élever contre la violence policière.
Mais cela souligne leur apparente supposition selon laquelle les activistes faisaient face à une audience hostile – comme si un événement visant à célébrer et à défendre la sécurité sociale était aux antipodes d’une manifestation exigeant que la vie des Noirs compte. En réalité, lors de son discours à ce meeting, Gerald Hankerson, du NAACP, portant un T-shirt Black Lives Matter, parla explicitement de questions liées à la justice raciale comme faisant partie de la lutte contre l’austérité.
Et qu’en est-il des participants au meeting? Combien dans la foule avait participé à des manifestations du Black Lives Matter au cours de l’année précédente? Combien d’autres soutinrent et défendirent la lutte lors de conversations sur leur place de travail ou dans leur quartier?
Nous reconnaissons le droit des opprimé·e·s à combattre leur oppression en faisant usage de toute tactique qu’ils pourraient choisir. Mais une discussion critique est nécessaire sur ce qui peut faire avancer ces luttes, elle ne peut être évitée au prétexte que le mouvement devrait embrasser une «diversité de tactiques».
Dans une interview après l’action, Mara Willaford déclara: «La manière dont nous pensons et le monde que nous pouvons envisager sont souvent tellement limités. Le concept de démocratie nous a conditionné à toujours souhaiter que la majorité soit de notre côté. Je veux être claire sur le fait que la majorité des gens sera toujours complice du statu quo.»
Cela suppose que la majorité des gens ne peut être gagnée à soutenir une question de droits civiques essentielle, soit celle de mettre un terme à la violence raciste – ou, à défaut d’une majorité, que la minorité qui n’est pas «complice du statu quo» n’inclurait pas exactement les gens qui participent à un meeting en défense de la sécurité sociale où s’expriment deux socialistes avoués, parmi lesquels le candidat le plus progressiste aux primaires démocrates.
L’une des forces du mouvement Black Lives Matter, alors qu’il naissait lors et à la suite des protestations à Ferguson, a été sa reconnaissance instinctive que la lutte contre la violence policière était liée à des questions plus larges de la classe laborieuse. Une chose qui a été, par exemple, soulignée par la participation régulière de contingents de militants de Fight for 15 [mouvement en faveur d’un salaire horaire minimum de 15 dollars].
Manifestement, défendre la sécurité sociale, Medicare et Medicaid fait partie de la même lutte. Ce d’autant plus parce que l’agenda d’austérité qui menace celles-ci et d’autres programmes sociaux a eu un impact disproportionné sur la situation des Afro-Américains. Le meeting de Seattle était une protestation explicite contre la politique d’austérité, et c’est un élément moteur de l’enthousiasme qui est le moteur de la campagne populaire de Sanders, même si elle est partie prenante de la mobilisation pour devenir le candidat présidentiel d’un parti qui a mis en œuvre l’austérité.
Autant Black Lives Matter que la lutte contre l’austérité sont importants en tant que tels – aucun ne doit être mis au silence ou mis de côté par l’autre. Mais plus important encore pour la gauche est la tâche de lier ces deux luttes et d’en faire un élément central de chacune.
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La controverse autour de la protestation à Seattle soulève d’autres questions que la gauche et le mouvement Black Lives Matter doivent discuter.
L’une d’entre elles porte sur l’effet déformant des médias sociaux et d’Internet sur une question politique compliquée. Dans les heures qui ont suivi l’événement de Seattle, le récit de ce qui s’y était déroulé a été polarisé autour de deux versions: d’un côté, deux jeunes femmes noires, agissant peut-être pour un autre candidat, ont utilisé la couverture de l’antiracisme pour dénigrer Bernie Sanders; de l’autre, une foule composée exclusivement de Blancs a répondu par rien d’autre que la maltraitance et le mépris au mouvement Black Lives Matter.
Malheureusement, une bonne partie des discussions qui ont suivi a consisté à contester ces caricatures et non à aborder les questions politiques réelles soulevées par ce qui s’est passé à Seattle.
Il ne s’agit pas là d’un appel à rejeter Internet et Facebook comme forces obscures qui corrompent la politique de gauche. Mais cela peut être un rappel que pas tous les tweets de 140 signes contiennent l’information dont nous avons besoin – et que nombre de débats politiques cruciaux ne sont pas les mieux servis par des fils Facebook enflammés. Un défi auquel a fait face tout mouvement social et politique du passé a été de trouver des forums effectifs pour de tels débats.
Une autre question soulevée est celle de la reconnaissance – une fois encore, comme toute lutte sociale antérieure significative – que le mouvement Black Lives Matter n’est pas une formation unique, uniforme et non évolutive.
Black Lives Matter est né d’une source principale: la colère face à la violence raciste et à l’épidémie d’assassinats policiers dirigés principalement contre la communauté noire. Mais les expériences de protestations initiales et l’organisation ont été différentes d’un endroit à l’autre. Il en a été de même des conclusions tirées de ces expériences, lesquelles ont conduit à des idées différentes, quoique parfois non définies, au sujet de la stratégie et de l’organisation.
Vieux d’un an, Black Lives Matter reste jeune. A Seattle, Johnson et Willaford sont cofondatrices d’un groupe Black Lives Matter qui est lié à des activistes qui ont organisé la National Black Lives Matter Convergence à Cleveland cet été. C’était l’une des premières initiatives prises pour donner un contour national au mouvement, et ce n’est certainement pas la dernière.
Il y a un instinct sain parmi de nombreuses personnes et organisations qui ont pris part aux protestations antiracistes cette année afin de défendre le projet Black Lives Matter lorsqu’il faisait face aux critiques et au harcèlement, non seulement de forces de droite défendant le racisme de la police, mais aussi face à des liberals de la communauté noire et au-delà appelant à la patience et à la modération alors que l’épidémie d’assassinats policiers exige de l’action.
En même temps, cependant, quiconque a pris part au mouvement devrait être à même de reconnaître et de discuter les différences politiques sur la manière de comprendre la lutte et quelles sont ses suites. Il n’est en rien destructeur, irrespectueux ou raciste de débattre de ces questions – ou d’être en désaccord en matière théorique ou d’analyse politique ainsi que sur la stratégie et les tactiques à suivre. De tels débats sont au contraire trop importants pour l’avenir pour pouvoir être évités.
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Le soulèvement à Ferguson l’été et l’automne derniers ainsi que le regain de protestations et d’actions politiques depuis lors ont transformé la politique aux Etats-Unis, peut-être plus qu’une quelconque autre question au cours de l’année passée. Non seulement des dirigeants politiques de premier plan comme Hillary Clinton ou Barack Obama, personnellement responsables, de bien des manières, des crimes du système d’injustice pénale, ont été contraints de dire quelque chose, mais la conscience populaire est en train de changer.
Les sondages indiquent que la profondeur de la brutalité et du racisme de la police sont mieux compris aujourd’hui au sein de la société. Selon le Pew Research Center, l’année dernière, près de la moitié de tous les Blancs ont déclaré que le pays avait fait tout ce qu’il pouvait pour mettre un terme aux discriminations raciales. Actuellement, ce nombre est inférieur au tiers. Plus de la moitié des Blancs – ainsi que, bien sûr, 86% des Noirs – affirment que des mesures supplémentaires doivent être prises pour dépasser le racisme.
Cela représente un déplacement significatif de la prise de conscience. Mais Black Lives Matter fait également face à des défis. Le nombre d’assassinats policiers n’a pas diminué au cours de l’année écoulée. Au contraire, selon l’enquête en cours menée par The Guardian, le mois de juillet a atteint un nouveau sommet avec 118 personnes tuées par des policiers, le nombre d’Afro-Américains représentant un pourcentage même plus important que ce chiffre sinistre dénombre «habituellement».
Il y a eu certains succès. Il est désormais plus probable qu’un policier soit poursuivi – bien que cela ne signifie pas qu’il soit reconnu coupable – pour ses crimes. Mais ce progrès est encore trop faible comparé à l’ampleur du problème et des nécessités brûlantes de l’heure. Ainsi que l’écrivait le SocialistWorker pour la commémoration le 9 août du meurtre de Mike Brown à Ferguson: «Bien des choses ont changé – mais presque rien de suffisant n’a changé.»
Des défis positifs sont également au rendez-vous. Black Lives Matter est un élément d’une radicalisation au sein de la société des Etats-Unis, y compris autour de questions d’inégalités économiques. Occupy Wall Street a cristallisé cette tendance il y a quelques années, le Fight for 15 des travailleurs à bas salaires l’a poursuivi et actuellement l’enthousiasme pour la campagne de Bernie Sanders le montre sous une nouvelle forme, bien qu’elle soit limitée par la décision de Sanders de concourir en tant que démocrate.
A l’instar du mouvement des droits civiques et de celui pour le Black Power qui l’ont précédé, la manière dont ceux et celles qui sont impliqués dans la lutte du Black Lives Matter établissent un rapport avec d’autres luttes et mouvements émergents, séparés mais fortement liés, est importante.
La plupart des mouvements politiques dans l’histoire ont fait irruption sans émettre de nombreux avertissements, poussés par l’amère indignation d’un exemple particulier d’oppression ou de tyrannie. Cela est suffisant pour mener le mouvement à un certain point. Mais, alors, de nouvelles questions – sur le mouvement lui-même ou sur d’autres luttes ou encore sur la société plus largement – émergent. La manière dont on répond à ces questions participe fortement à façonner l’avenir.
Nous avons besoin d’une approche patiente mais déterminée vis-à-vis d’une lutte qui a inspiré des protestations vastes ainsi que des espoirs positifs qu’un changement profond peut être réalisé. La force de ce qui a façonné jusqu’ici le mouvement Black Lives Matter – les actions de centaines de milliers de personnes à travers le pays, qui se dressent et prennent la parole, défiant autant la violence de l’Etat que l’opposition de l’establishment politique – sera la base lui permettant d’aller de l’avant. (Editorial du 15 août 2015 site SocialistWorker.org, publié par l’International Socialist Organization, traduction A l’Encontre)
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[1] 37% des personnes en prison sont des Afro-Américains, alors qu’ils composent 12% de la population du pays; il y a 2,3 millions de personnes incarcérées – de nombreuses, d’où la formule «délinquants non-violents» le sont en raison de crimes liés à la drogue, qui les punissent particulièrement. Il faut ajouter les 4,7 millions de personnes en liberté conditionnelle et autres qui doivent régulièrement se présenter aux autorités et qui rencontrent de grandes difficultés à trouver un emploi ou un logement – voir les articles sur ce thème publié sur ce site, rubrique Etats-Unis. (Rédaction A l’Encontre)
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