Venezuela. Une nouvelle vie «pour le processus bolivarien»?

Diosdado Cabello et Nicolas Maduro
Diosdado Cabello et Nicolas Maduro

Entretien avec Manuel Guerrero

Roland Denis, ex-ministre de la Planification dans le gouvernement d’Hugo Chavez en 2002-2003, dans un article intitulé «Adieu au chavisme», publié sur le site apporea le 28 septembre 2015, dénonçait avec vigueur la corruption de l’appareil partisan (Parti Socialiste Uni du Venezuela) et étatique chaviste. Pour Roland Denis et beaucoup d’autres, la figure centrale de ce pouvoir est Diosdado Cabello. Et non pas Nicolas Maduro qui, certes, baigne avec sa famille dans les marigots de la rente pétrolière.

L’actuel président de l’Assemblée nationale du Venezuela est un militaire qui participa aux côtés d’Hugo Chavez, à la tentative de coup d’Etat de 1992. Il fut alors emprisonné avec Chavez. Après l’élection de Chavez, en décembre 1998, Cabello occupa des postes ministériels et, dès 2001, celui de vice-président du gouvernement. Il passa à la clandestinité lors de la tentative militaro-patronale de coup d’Etat du 11 avril 2002. A la tête de corps militaires d’élite – et s’appuyant sur une mobilisation populaire d’ampleur, semi-spontanée – il rétablit vite l’ordre constitutionnel et libéra, le 14 avril, Chavez. Il lui transféra, de suite, son bref mandat intérimaire de Président que lui avait conféré, selon l’article 234 de la Constitution de 1999, le président d’alors de l’Assemblée nationale, William Lara. Ce qui révèle le rôle qui peut être crucial de cette fonction. Or, Diosdado Cabello occupe ce poste dans cette conjoncture post-électorale, un président dont dont la femme, Marleny Contreras est ministre du Tourisme. Elle a été nommée par Nicolas Maduro. Les cercles familiaux du chavisme se portent bien et disposent d’assises matérielles, entre autres grâce à leur accès la Banque centrale du Venezuela (devises) et aux liens directs et indirects avec PVDSA (Petroleos de Venezuela SA), qui est une relative boîte noire (pire que Petrobras au Brésil). Il y a là le microcosme de ce qui fut appelé, y compris par des partisans du «processus» initié en 1998, la «bolibourgeoisie» qui s’est greffée sur l’appareil d’Etat rentier et étaye sa mainmise sur les «avantages issus du pouvoir».

Certes, la compréhension de la situation socio-politique régnant au Venezuela ne peut être réduite à ces données. Mais leur poids est indéniable pour expliquer la défaite électorale du chavisme lors des élections du 6 décembre 2015. Comme l’explique Manuel Guerrero, la «crise de la pénurie» se fait ressentir dans la vie quotidienne. Elle ne peut être imputée aux seuls «accapareurs» ou aux «sabotages impérialistes», qui assurément existent. L’échec d’une réforme agraire, conçue de manière primitive, se combine avec une politique d’importations de biens alimentaires «sélectives», avec des positions quasi monopolistes pour des fournisseurs: le poulet vient du Brésil; le lait de l’Uruguay, les haricots noirs du Nicaragua. Lorsque le baril était à 100 dollars cela pouvait se faire et la corruption ne pas apparaître avec éclat. Mais quand la pénurie se marie avec une politique de change incontrôlée, un réseau faible de distribution, la corruption et l’accaparement jettent une lumière plus crue politiquement sur les pénuries et sur un système d’accaparement-importation fantôme qui se nourrit d’opérations frauduleuses (entreprises factices d’importation), visant à rafler les devises distribuées par la Banque centrale, devises «exportées» en lieu sûr, dans un climat d’inflation galopante et de dévaluation du bolivar.

En outre, la rente pétrolière a abouti à développer des réseaux de «missions sociales» qui, certes souvent utiles, doublent des structures publiques préexistantes sans qu’une interface soit mise en œuvre. Evidemment, cela prend du temps, mais l’expérience chaviste a commencé il y a 17 ans. Et les anticipations nécessaires sur les fluctuations inévitables (et souvent brutales) du prix du pétrole et du gaz, dans un contexte de crise récurrente du capitalisme mondialisé, n’ont pas été intégrées. Ce type d’ignorance ne relève pas d’une incapacité technique, mais des soubassements sociaux du pouvoir chaviste, dont les traits sont apparus au grand jour suite à la disparition du caudillo.

La loi électorale de 2009, qui opéra un redécoupage des circonscriptions, attribuait une surreprésentation à des Etats moins peuplés. La perte d’une majorité électorales dans ces Etats, produite par le mal-fonctionnement du système économique et ses modes de gestion, s’est retournée fortement contre le PSUV. Est-ce qu’un mouvement socio-politique issu du chavisme va croître? c’est l’hypothèse de Manuel Guerrero. A examiner. (Rédaction A l’Encontre)

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A première vue, la défaite électorale du chavisme [représenté par la figure du président Nicolas Maduro] lors des législatives, le 6 décembre 2015, est une sorte d’extension de l’arrivée de l’effet Macri [Argentine] dans la Caraïbe. Cet effet implique une tendance au déclin des gouvernements dits progressistes en Amérique latine. Ce processus a commencé il y a quatre ou cinq ans. La défaite au Venezuela est qualitative, parce qu’elle possède un effet potentiel supérieur à celui dz processus argentin. Pourquoi le chavisme a-t-il perdu au Venezuela?

Ceux qui suivaient le processus savaient qu’une défaite [1] se préparait. Il n’est pas possible de gagner suite à autant de drames, rassemblés, dans un pays où depuis plus de deux ans règnent des pénuries [de biens alimentaires, de médicaments, etc.] programmées et profondément cruelles. Aucune société le supporterait, même si le Mahatma Gandhi la gouvernait. Le problème est de savoir comment ce phénomène s’est produit.

Le chavisme a perdu 2,5 millions de voix cette fois. L’opposition n’avait jamais dépassé les 6 millions de suffrages. Le dimanche 6 décembre, elle a obtenu 9 millions. Cela doit être analysé avec subtilité et prudence.

Le chavisme n’a plus rien à offrir comme gouvernement, mais il peut le faire comme mouvement. Il faut voir si, dans les cinq Etats où il a gagné sur le plan électoral, les mouvements à l’échelle des communes, les formes de pouvoir populaire, le pouvoir du peuple, les syndicats et les organisations paysannes ont joué un rôle. Les gens «ordinaires», qui ne sont pas des militants, qui ne sont pas organisés politiquement représentent des millions de personnes. Ils sont déchirés par l’angoisse et le désespoir, parce qu’ils ne parviennent pas à nourrir leur famille. La droite a gagné l’estomac par la tête des gens. Si règne la faim, il n’y a pas de gouvernement qui puisse tenir.

Avec Hugo Chavez [disparu en mars 2013], quelque chose de similaire se serait-il passé?

Si Chavez gouvernait aujourd’hui, il aurait de même perdu, mais avec une perte de suffrages inférieure. Chavez donnait une unité au mouvement. Ce n’est pas le cas pour Nicolas Maduro. Mais Chavez aurait également perdu. Qui, sain d’esprit, serait content de ne rien pouvoir acheter, même s’il a de l’argent? Au Venezuela, il y a une masse monétaire importante, mais il n’y a rien à acheter. Dès lors, il n’y a pas de président qui puisse tenir.

Il y a un mécontentement croissant au sein du chavisme provoqué par des raisons extérieures dont les Etats-Unis sont des protagonistes et par la crise du capitalisme mondial qui a engendré cette récession. Mais les pénuries sont aussi le produit de l’accaparement très grand de biens essentiels. La deuxième cause de ce mécontentement réside dans l’incapacité du gouvernement Maduro à y faire face.

Ont été arrêtés 60 ou 70 accapareurs et spéculateurs. Mais ils ne peuvent pas être emprisonnés pendant plus de deux ou trois jours. Et le système capitaliste peut absorber tout cela. Si le système de spéculation enregistre le fait que le taux de change du dollar passe à 600 bolivars, il va réagir et jouer contre le système économique. Tout cela a explosé à la tête des gens, qui ne veulent plus vivre sous un tel gouvernement, bien que ce dernier ne soit pas directement coupable. Toutefois, les gens ne se posent plus la question de savoir qui est à blâmer.

L’élection présidentielle, en 2019, aboutira-t-elle à une nouvelle défaite pour la chavisme?

Une complète défaite, si des présidentielles se tenaient dans le laps d’un an, ou un an et demi. Si un changement radical dans la situation de l’économie n’intervient pas, il ne fait aucun doute que le chavisme serait écrasé.

L’opposition [qui détient une majorité qualifiée] peut contraindre à une démission prématurée le gouvernement, cela avant la date fixée pour la présidentielle?

C’est ce qu’elle veut, mais elle ne peut pas le faire légalement. Il faut toujours considérer l’équilibre des pouvoirs. Au Paraguay, l’opposition ne pouvait pas le faire légalement, mais elle a quand même imposé la démission [référence est faite ici à la destitution de Fernado Lugo par un «coup d’Etat politique» en juin 2012, par une opposition majoritaire au parlement].

Vous ne pouvez pas, légalement, le faire au Venezuela parce que la Constitution vous contraint à un référendum révocatoire pour écarter le président. Dès lors, le référendum doit être fait. C’est beaucoup plus démocratique qu’un collectif parlementaire qui vous vide. La droite, qui maintenant dispose de la majorité qualifiée [109 députés pour la MUD-Table de l’Unité Démocratique; 55 pour le PSUV et 3 pour RE Indigena, sur un total de 167] a déjà demandé d’abroger toutes les lois organiques qui ont créé l’Etat social de droit et une loi d’amnistie pour libérer ses trois prisonniers [politiques].

Le chavisme, dans tous les cas se réorganise et débat. Mardi 8 décembre, le vice-président Jorge Arreaza était présent à Esquina Caliente, sur la Place Bolivar, à Caracas. Cela s’appelle «le coin chaud», car c’est un endroit où l’on se rencontre pour débattre ouvertement. Là, environ 2000 chavistes se sont réunis pour analyser les facteurs négatifs qui ont conduit à cette défaite. Ce mécanisme démocratique consistant à travailler avec les forces d’en bas, à la différence de ce qui se passe en l’Argentine et au Brésil, est ce qui permet d’espérer que se répande un mouvement dépassant la capacité de réaction d’un gouvernement qui est groggy. Ce type de mouvement, formé par des groupes de paysans, de citoyens, de syndicalistes, de jeunes, est le vecteur qui pourrait apporter une nouvelle vie au «processus bolivarien». (Article publié dans l’hebdomadaire uruguayen Brecha, le 11 décembre 2015; traduction A l’Encontre)

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[1] Les résultats définitifs donnés par le CNE (Conseil national électoral) sont les suivants: 65,27% pour la MUD (Table d’unité démocratique); PSUV (Parti Socialiste Uni du Venezuela): 32,93%, Re Indegina: 1,80%. (Rédaction A l’Encontre)

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Manuel Guerrero est correspondant de l’hebdomadaire Brecha. Journaliste, c’est un militant qui, vivant en Argentine, a créé la première représentation extérieure du PSUV, en 2006.

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