Par Humberto Márquez (Caracas)
Des rebelles vénézuéliens, avec le soutien de mercenaires américains, ont tenté un coup de main le 3 mai pour attaquer – et peut-être capturer – le président Nicolas Maduro: à bord de petites embarcations. Ils ont cherché à s’infiltrer sur les plages proches de la capitale, mais ont été découverts. Huit ont été tués et 18 ont été arrêtés, selon les informations officielles.
Le premier épisode a été enregistré à Macuto, une ville située sur les rives de la mer des Caraïbes et à 32 kilomètres au nord-est de Caracas, où 10 individus, arrivés au petit matin dans un petit bateau de touristes, ont atteint une maison où ils auraient disposé de véhicules armés. Ils ont été découverts par un commando de la police, qui les a affrontés avec un soutien militaire. Il y a eu huit morts et deux arrestations. Du côté officiel, il n’y a pas eu de victimes.
Seule l’identité d’un des morts, le capitaine de la Garde nationale Robert Colina (36 ans), alias Pantera, qui s’était exilé en Colombie depuis l’année dernière, a été signalée. Quelques heures plus tard, à Chuao, une petite ville côtière au nord-ouest de Caracas, huit individus à bord d’un bateau ont été interceptés par des pêcheurs, qui les ont capturés avec l’aide de la police, sans tirer un seul coup de feu. D’autres individus ont été appréhendés en d’autres points de la côte et à Maracaibo, la capitale pétrolière de l’Ouest, jusqu’à ce que 18 d’entre eux soient arrêtés. Les autorités cherchent toujours à en savoir plus.
Parmi les captifs de Chuao figurent deux capitaines de la Garde nationale à la retraite, le fils d’un ancien commandant général de l’armée et deux Américains, Airan Berry et Luke Denman, qui ont servi dans les forces spéciales de leur pays et auraient aidé à former les attaquants pendant des semaines dans une maison du nord de la Colombie. De là, les bateaux seraient partis pour l’incursion dans le centre-nord du Venezuela, un voyage de centaines de miles dans les eaux des Caraïbes.
Bérets verts, mensonges et vidéo
Dans une vidéo de l’interrogatoire de Luke Denman, montrée par Maduro lors d’une conférence de presse virtuelle le 6 mai, Denmam a déclaré qu’il agissait sous contrat avec la société de sécurité Silvercorp, enregistrée en Floride et appartenant à Jordan Goudreau, un ancien béret vert qui a servi comme médecin militaire en Afghanistan et en Irak.
Denman a déclaré que sa mission était de sécuriser et de contrôler un aéroport pour le moment où un avion arrive pour transférer Maduro. En d’autres termes, le commandement envisageait la capture du président et son transfert ultérieur. Le ministère étasunien de la Justice avait accusé le successeur d’Hugo Chavez de trafic de drogue et d’autres crimes. Il a offert une récompense de 15 millions de dollars pour sa capture, ainsi que des montants un peu moins élevés pour une douzaine de ses collaborateurs civils et militaires.
L’écheveau de l’invasion, partiellement démêlé par les révélations de la presse avant les événements [1], montre que Jordan Goudreau a conclu un accord avec des conseillers de l’opposition basés à l’étranger pour former des expéditionnaires et les infiltrer au Venezuela afin d’attaquer les installations militaires, de fomenter des soulèvements et de démembrer le gouvernement. Il est question de savoir si Juan Guaidó, chef du Parlement et reconnu comme «président légitime» par Washington et 50 autres gouvernements, a signé un contrat à hauteur de millions de dollars avec Jordan Goudreau pour financer l’opération dite Gedeón, qui a échoué.
Alors que l’opération échouait au large des côtes du Venezuela – le gouvernement l’avait manifestement infiltrée et l’attendait –, Jordan Goudreau a déclaré à Miami, en compagnie d’un autre déserteur militaire du Venezuela, que Guaidó n’avait pas respecté les paiements prévus dans le contrat, qui, selon l’ancien Béret vert, s’élèverait à 200 millions de dollars. A son tour, Guaidó a nié avoir signé un contrat. Il a rejeté toute implication avec Jordan Goudreau et l’invasion ratée. Il a exigé le respect des droits de l’homme des personnes capturées et a réitéré sa demande que Maduro quitte le pouvoir pour former un gouvernement de transition afin de résoudre la crise et d’organiser de nouvelles élections.
Pour sa part, Maduro a accusé Guaidó et l’opposition radicale de complicité. Il a rappelé qu’un processus est en cours pour renouveler le pouvoir électoral – pas pour élire un nouveau président mais un nouveau parlement – et a insisté sur la thèse officielle selon laquelle les gouvernements des États-Unis et de la Colombie sont complices de l’opération Gedeón. Bogota a rejeté l’accusation, et le président américain Donald Trump a déclaré que son administration n’avait rien à voir avec ce qui s’est passé. «Si nous avions participé, le résultat aurait été différent», a déclaré son secrétaire d’État, Mike Pompeo, aux journalistes.
En attendant, la crise continue
L’opération Gedeón surprend les Vénézuéliens dans la troisième année d’hyperinflation (130’160% en 2018 et 9589% en 2019, selon les chiffres officiels), avec plus de 80% de la population vivant dans la pauvreté (le salaire minimum est équivalent à 3 dollars par mois) et neuf de ses 28 millions d’habitants sont en situation d’insécurité alimentaire, selon les agences de l’ONU. Les services essentiels – eau, électricité, gaz, transports et accès à la santé – se sont effondrés, au point de provoquer des dizaines de manifestations quotidiennes dans tout le pays, malgré la quarantaine imposée par le Covid-19, et de provoquer, dans certaines villes de province abattues, le pillage des magasins d’alimentation. La détérioration de la qualité de vie a poussé près de cinq millions de Vénézuéliens à émigrer depuis 2015.
La pénurie d’essence mérite un chapitre à part, dans un pays qui pendant un siècle a été un grand exportateur de pétrole brut et de dérivés. Les raffineries ne fonctionnent plus et les sanctions imposées par les États-Unis rendent difficile l’importation de carburant et, surtout, l’obtention de devises étrangères pour pouvoir l’acheter. En outre, l’effondrement du marché du pétrole, qui se produit lorsque l’économie mondiale s’effondre avec l’avancée du Covid-19, pourrait laisser le Venezuela avec des recettes d’exportation de pétrole brut d’environ 3 milliards de dollars seulement, alors qu’il y a dix ans, elles avoisinaient les 100 milliards de dollars par an.
Dans les quelques stations de ravitaillement, toutes appartenant à l’entreprise publique Petróleos de Venezuela, des files de centaines de véhicules se forment pendant des heures (ou des jours) pour acheter quelques litres d’essence si le propriétaire peut prouver qu’il travaille sur un service essentiel, en plein confinement. Le Venezuela a officiellement l’essence la moins chère du monde, 0,001 dollar par litre, mais sur le marché noir omniprésent, c’est la plus chère, jusqu’à quatre dollars pour un litre de carburant.
A cette crise sociale et économique s’ajoute celle de la politique, avec les héritiers d’Hugo Chavez – décédé en 2013 – au pouvoir et une opposition incapable de réunir la force et la stratégie nécessaires pour les écarter. Il n’existe pas d’accords pour régler ces différends par voie électorale et pour convenir d’une coexistence minimale. Et maintenant, en mettant le doigt dans l’opération Gedeón, la lutte politique armée – même s’il s’agit d’un groupe marginal qui ne traduit pas le projet de la majorité de l’opposition – a encore plus fermé les voies du dialogue, de la compréhension et des accords propres à la lutte politique pacifique et démocratique. Cela n’augure rien de bon. (Article publié dans l’hebdomadaire uruguayen Brecha, le 8 mai 2020 ; traduction rédaction A l’Encontre)
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[1] Selon le site Caracas Chronicle, en date du 8 mai 2020, «le SEBIN [Servicio Bolivariano de Inteligencia Nacional: Service de renseignement vénézuélien] avait connaissance de plans d’incursion armée au Venezuela depuis le début février, lorsque des sources en Amérique centrale lui ont fait part de réunions pour discuter de ces plans». (Réd.)
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