Venezuela. Le défi

5639401-venezuela-maduro-l-heritier-improbable-du-comandantePar Guillermo Almeyra

Nicolas Maduro se donnait pour objectif de récupérer les votes d’Hugo Chavez et même de les dépasser en parvenant à 10 millions, mais il n’en a obtenu que 7’505’338, perdant 600’000 suffrages par rapport à la dernière élection de Chavez et ne gagnant qu’avec une avance de 300’000 votes, le dimanche 14 avril 2013. Il a donc obtenu 50.6% des suffrages contre 49.07 pour Capriles. L’abstention n’a que faiblement progressé, passant de 20% à 22%, ce qui démontre que la majorité des votes perdus par Maduro ont directement passé à l’opposition qui, imitant Chavez et disputant son héritage, a réussi à entraîner un secteur de la «classe moyenne» auparavant chaviste et même certains secteurs ouvriers.

La campagne politique du camp chaviste a été très pauvre: grand déploiement de rhétorique nationaliste que Capriles neutralisait en utilisant la figure de Bolivar et son drapeau; aucune idée sur l’approfondissement du processus social et encore moins, sur le socialisme; appels répétés à la loyauté (dirigés en partie à la lutte interne au sein de l’appareil d’Etat). Aucun encouragement à l’initiative et à l’auto-organisation populaire; silence sur les organismes de pouvoir populaire et un mélange de religiosité et de mysticisme : le fameux oiseau [1].

Celle de Capriles, insidieuse et faite de mensonges, a été plus habile par son insistance à différencier Chavez de ses successeurs et à attaquer ces derniers en mentionnant continuellement les privilèges, la corruption et les affaires de la boli-bourgeoisie et en gardant le silence sur ses propres plans et ses liens avec l’impérialisme. Les votes chavistes qu’il a gagnés et les voix perdues de ceux qui se sont abstenus ne représentent en rien un vote porteur d’espoir, mais une protestation face à l’inflation de 20% qui dévore les salaires et aux effets négatifs de la dévaluation sur le niveau de vie des secteurs populaires. Protestation également contre la délinquance, la violence, la corruption et, comme nous l’avons vu lors des funérailles de Chávez quand ceux qui allaient à la chapelle ardente obligèrent les ministres à descendre de leurs luxueuses voitures et à marcher avec eux, contre les privilèges de nombreux fonctionnaires.

Capriles demande avec insistance un recomptage des votes bien que le vol des bulletins électoraux soit impossible au Venezuela [le vote est électronique et chaque votant reçoit une confirmation de son vote]. Le gouvernement des États-Unis qui garda le silence devant les scandaleuses manipulations électorales de 1988 et 2006 au Mexiqueappuie Capriles et prépare un coup d’État déguisé en campagne démocratique et moralisante.

Washington et la droite anti-chaviste tissent maintenant leurs liens avec la droite du chavisme et avec le secteur le plus conservateur des forces armées.

L’étape suivante consistera à impulser une campagne qui combinera sabotage, fuite de capitaux, campagnes de presse, lock-out patronaux, manifestations étudiantes cherchant à provoquer des victimes et tentatives de corruption de personnalités civiles et militaires dans les milieux officiels.

Le danger immédiat réside donc dans la droite chaviste qui interprétera la faible marge de votes qui permit au chavisme de continuer à gouverner comme un signal incitant à freiner le rythme du processus et à négocier avec l’opposition en lui faisant des concessions.

Cependant si les 1600 entreprises expropriées fonctionnent mal, il ne faut pas les privatiser à nouveau, mais, au contraire, les administrer correctement et sous le contrôle des travailleurs. Si les organismes de pouvoir populaire ne fonctionnent qu’à moitié, il ne faut pas les éliminer. Il faut, au contraire, cesser de les contrôler depuis l’appareil d’Etat, de les asphyxier et leur donner plus de responsabilités. Si la délinquance est importante, qu’elle soit contrôlée et combattue par tous les moyens nécessaires à travers une organisation adéquate dans les quartiers et non pas par une police corrompue et corruptible.

Les droits démocratiques sont assurés par le référendum révocatoire [2], mais pour donner une issue positive au mécontentement et pour freiner le «golpisme» prétendument «démocratique», il faut l’étendre à toutes les charges publiques.

A la place d’interdire les grèves et de réprimer les syndicats et les travailleurs, il faut discuter avec eux sur un pied d’égalité. A la place de transformer le socialisme en rhétorique de propagande vide de sens, il faut discuter publiquement, avec tous et sans aucune restriction, des mesures qui doivent être prises afin d’aider à sa réalisation. comment éviter la bureaucratie et la corruption, avec la participation consciente et organisée des ouvriers, des étudiants et des intellectuels.

Venezuela-des-milliers-de-manifestants-protestent-contre-l-election-de-Nicolas-Maduro_article_popinPlutôt que d’embellir la réalité, il faut identifier à temps les difficultés pour les corriger. En lieu et place du paternalisme et de la loyauté, il faut laisser la place à l’initiative, à la créativité, à l’innovation, à la critique et à la construction de la citoyenneté.

Maduro a promis des augmentations massives et immédiates de salaire qu’il devra tenir sous peine de payer un lourd prix politique. Mais avec une très forte inflation et une pénurie d’aliments et de produits divers, un marché noir en expansion, une réduction des salaires réels, ces augmentations ne feront au mieux que compenser en partie la perte du pouvoir d’achat.

Le Venezuela ne peut pas exclusivement dépendre du prix du pétrole: il doit produire et augmenter la productivité. Il faut appliquer les mesures qui permettent d’en finir avec l’inefficacité ou la corruption au sein des appareils administratifs ; facteurs qui favorisent aussi les grands importateurs. Il faut former de toute urgence de jeunes administrateurs et des techniciens efficaces et innovateurs.

Il est également nécessaire d’apprendre du passé au lieu de se laisser guider par une image déformée et mythique de l’expérience péroniste, il faut comprendre sérieusement pourquoi Péron [3] a conduit au cours des années cinquante l’économie argentine dans un cul-de-sac avant d’être renversé et pourquoi il a répété cette politique néfaste au cours des années 1970 ouvrant la porte à une féroce dictature de droite.

Il est fondamental que l’histoire latino-américaine et celle du socialisme se discutent sans entraves ni limites. En effet, sans apprendre du passé il est impossible de préparer le futur.

Face à la presse «golpiste» il faut stimuler la création d’une presse de gauche, syndicale, une presse des groupes et des organisations: si elle critique certaines mesures du gouvernement cela permettra de les corriger si cela est nécessaire ou, au contraire, de convaincre les critiques qu’ils se trompent.

En un mot, pour réduire l’influence du «golpisme» en marche et le battre, il n’y a pas d’autre voie que celle de faire appel aux travailleurs et travailleuses ainsi que d’approfondir le processus de transformation dans toutes ses dimensions. (Traduction Hector Marquez ; édition A l’Encontre)

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[1] Maduro affirmait que le Comandante lui était apparu sous forme d’un «petit oiseau» ; une sorte d’Esprit saint revenu sur terre pour confirmer le soutien de Chavez à son parti. Il aurait tourné autour de la tête de Maduro trois fois en chantant afin de lui donner sa bénédiction. Maduro sifflait pour imiter cet oiseau. (Réd. A l’Encontre)

[2] Le référendum révocatoire de mi-mandat – après trois ans de mandat – est un droit civique qui donne à des citoyens la possibilité de décider de la révocation d’un président. Il a été mis en place par Chavez en 2004 (Réd. A l’Encontre)

[3] Juan Domingo Péron (1895-1974), militaire et dirigeant politique argentin. Il sera Président de la «Nation argentine » entre 1946 et 1955 et d’octobre 1973 à juillet 1974. Entre 1943 et 1945, il occupa divers postes dans le gouvernement militaire; il sera massivement soutenu par le mouvement syndical et populaire suite à sa démission forcée en octobre 1945. Un soutien qui le fera sortir de prison. Cet appui populaire va lui permettre de gagner avec 56 % des suffrages les élections, en février 1946. (Rédaction A l’Encontre)

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Guillermo Almeyra est écrivain et journaliste d’opinion au quotidien mexicain La Jornada

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