De notre correspondant à San José (Costa Rica)
1.- L’effondrement des institutions démocratiques au Nicaragua est si complet que personne n’attend plus d’initiative du régime Ortega-Murillo en faveur de la justice, de la probité ou même de l’environnement. Il n’y a plus de limite à l’exercice du pouvoir autoritaire. La fonction principale du régime n’est pas d’assumer une responsabilité, mais le strict contrôle social par le biais d’une répression généralisée.
2.- Le Nicaragua n’est pas seulement un paradis fiscal où aucune des grandes entreprises ne paie son dû, c’est aussi devenu un paradis d’impunité où tout est utilisé pour rester au pouvoir et s’enrichir au détriment des fonds publics et des ressources nationales.
3.- Ortega-Murillo vont partir et ils le savent. L’image d’Ortega-Murillo, de plus en plus négative, continue d’être en chute libre, selon les deux derniers sondages. Quelle que soit la façon dont vous l’envisagez, les jours d’Ortega-Murillo sont comptés et ils en sont conscients.
4.- Ainsi, toute la clique des amis d’Ortega-Murillo, à l’exception des paramilitaires et du noyau dur de la «nouvelle classe», se sont dégagés et pris leurs distances.
5.- La décision désespérée du binôme dictatorial ne consiste qu’à maintenir la répression contre la population et la militarisation des villes.
6.- Beaucoup de gens croyaient que l’Alliance civique [la coalition de diverses oppositions] allait nous «libérer» de la mafia au pouvoir et nous apporter la démocratie. Cependant, un an plus tard, le même régime est en place sans avoir accordé à l’Alliance civique quoi que ce soit.
7.- La domination de la mafia nicaraguayenne au pouvoir est aujourd’hui infiniment supérieure à celle des «familles» mafieuses de New York des années d’après-guerre, les Genovese, Gambino et Luciano. La mafia nicaraguayenne a perfectionné ses méthodes et élargi ses intérêts.
8.- Non seulement elle contrôle les casinos, les armes, la drogue, l’argent des deniers publics et, par la terreur et la répression, elle exerce un contrôle sur les gens, mais elle a aussi son emprise sur le terrain politique et fait siennes toutes les institutions civiles et militaires. Elle exerce une influence considérable sur les médias, le commerce, les églises, le tourisme et les finances nicaraguayennes.
9.- Son personnel ne vit plus à Chicago ou à New York, mais est basé à El Carmen [quartier de Managua où se barricadent le binôme Ortega-Murillo et son clan]. Les paramilitaires et la parapolice concrétisent avec leurs brutalités la décadence du régime Ortega-Murillo. Le profil de ces chefs mafieux est plus sinistre qu’il n’y paraît à première vue.
10.- La «famille» a désigné des forces para-étatiques pour faire disparaître, assassiner, tuer et torturer sans relâche les citoyens, dans le but d’éliminer toute contestation sociale. Ce faisant, les Ortega-Murillo ont commis des crimes contre l’humanité.
11.- Les données montrent que l’économie entre dans une zone à haut risque sans solution immédiate: détérioration commerciale, endettement élevé, bulle immobilière, décélération et crise du secteur agricole, déficit commercial, chômage, baisse des investissements, réduction des liquidités, limitation du crédit bancaire, risque de faillites bancaires dû à l’augmentation des défaillances et de la fuite des capitaux, etc. Tout ce qui précède laisse entrevoir une récession majeure avec une contraction profonde de l’économie.
12.- Comment est-il donc possible que les grands capitaux et les banquiers soient si aveugles qu’ils ne voient pas que, si le pays s’effondre, leurs entreprises connaîtront le même sort? Une explication est qu’ils pensent encore à un «atterrissage en douceur». De même, ils craignent qu’avec un changement de gouvernement, les amarres et les avantages obtenus grâce à leur alliance avec le gouvernement Ortega-Murillo apparaissent au grand jour.
13.- Un secteur des entreprises a pris une distance prudente avec Ortega-Murillo: ils les considèrent comme faibles, ils savent que leur fin approche et qu’il vaut mieux ne pas être «trop collés» à eux. A partir de maintenant, la pression va augmenter. Les détenteurs de dollars vont accélérer les transferts d’argent à l’étranger.
14.- Ils cherchent ainsi à provoquer une tempête qui contraigne Ortega à accepter un «atterrissage en douceur», en échange d’une possibilité d’éviter le chaos économique, terrain sur lequel ils manœuvrent à l’aise.
15.- Pour le moment, les principaux hommes d’affaires acceptent «l’orteguisme sans Ortega». Mais ils sont aptes à prendre un courant favorable s’il se manifeste. La logique de l’Etat mafieux a été d’impliquer les différents secteurs des grandes entreprises grâce à des affaires non transparentes et des bénéfices multiples. Ce système de connexion les rendant plus favorables à une «sortie en douceur» de la crise.
16.- Dans ce contexte, quel est le véritable objectif des négociations de l’INCAE (la business school où se tiennent les négociations)? Ces négociations sont dictées par la volonté, obsessive, d’Ortega-Murillo de se maintenir au pouvoir.
17.- Sur le plan international, l’isolement du régime se poursuit. Cependant, la mafia a réussi, grâce aux pourparlers / négociations de l’INCAE ainsi qu’au soutien du Nonce apostolique, à suspendre l’application des sanctions de l’Union européenne et des Etats-Unis (Nica Act). Dans la logique des Etats-Unis et de l’Union européenne, tant que les pourparlers se poursuivront à l’INCAE, il n’y aura pas de sanctions dans le cadre de la loi Nica ou de la loi Magnitsky, car ils pensent que tant que les négociations Alliance civique-gouvernement se poursuivent, les contacts pour une issue à la crise ne seront pas rompus.
18.- Pourquoi l’Alliance civique n’explique-t-elle pas que les négociations en tant que telles sont suspendues? Que la dictature n’a absolument pas appliqué les accords prévus? Que l’état de siège de facto continue? Que les arrestations arbitraires se poursuivent chaque jour sans ordre judiciaire dans tout le pays et que les prisonniers politiques ne sont pas tous libérés et que ceux libérés sont en résidence surveillée? Il semble que la majorité des délégués de l’Alliance soient de plus en plus enclins à favoriser un «atterrissage en douceur», laissant sa marge de manœuvre à Ortega-Murillo.
19.- L’Alliance civique donne la sensation de pédaler dans le vide sans avancer d’un pouce dans les revendications du peuple, avec le risque de perdre toute légitimité devant les citoyens auto-convoqués, étant donné son attitude hésitante face au manque évident de volonté de négociation du régime.
20.- L’Alliance civique continue de recevoir le soutien verbal des représentants des États-Unis et de l’Union européenne sans prendre de mesures concrètes contre les membres de la mafia au pouvoir.
21.- Entre-temps, le régime continue de violer toutes les lois constitutionnelles, de mettre à profit le temps à disposition et de jouer toutes les cartes possibles – y compris celle du Vatican – pour rester au pouvoir.
22.- L’analyse du Nonce apostolique du Vatican, Mgr Stanislaw Sommertag, est que la solution à la crise nécessite du temps et qu’il est prudent, pour ses intérêts, de laisser ouvertes les voies de communication avec le régime Ortega-Murillo. L’Etat du Vatican est une structure d’origine religieuse, mais avec des intérêts économiques et politiques. Historiquement, le Vatican, en tant qu’institution, a été lié aux dictatures et aux régimes oppressifs.
23.- Il est clair que la partialité du Nonce apostolique a été payée par l’exil forcé de Silvio José Báez, évêque de l’archidiocèse de Managua, le 12 avril, avec une excuse vaticane invoquant la nécessité de protéger sa vie. Les intérêts de l’Etat du Vatican – qui joue la carte de la négociation – ont pesé plus lourd que ceux d’une défense de l’Eglise nicaraguayenne à des paroisses réprimées.
24.- Dès le début, la médiation du Nonce apostolique a servi à légitimer le régime Ortega-Murillo. En confirmant l’exil de Mgr Baez, le Nonce apostolique a lancé une bouée de sauvetage au régime, bien que ce dernier n’ait respecté aucun des accords signés les 27 et 29 mars pour initier les négociations de l’INCAE. Ortega-Murillo continueront ainsi à gagner du temps et à réprimer. La sortie de Báez s’inscrit dans le cadre de la stratégie de mise en œuvre d’un pacte entre les puissances de fait.
25.- Quelle nouvelle opération mafieuse se prépare contre la population insurgée qui contraint le Vatican à exiler l’évêque Baez? Il ne faut pas oublier que depuis mai 2018, les puissances de fait cherchent à sortir de la crise «en douceur» afin de continuer à bénéficier des avantages du modèle d’alliance entre les représentants du capital et le régime, même au détriment de la démocratie.
26.- L’exil de Mgr Baez sera-t-il un signe de plus qu’a été imposée la logique de l’isolement des «radicaux» [Articulation des mouvements sociaux qui avait rejoint les négociations] pour justifier et mettre en œuvre l’«atterrissage en douceur»? Cet isolement apparaissant comme une condition à une solution à la crise sociopolitique. Pour ce faire, il est nécessaire que tous ceux qui sont en faveur d’élections anticipées et de la sortie du pouvoir d’Ortega-Murillo soient marginalisés, qu’ils soient étudiants, femmes, paysans ou évêques.
27.- Le désespoir et le découragement quant au sort du pays et à la vie du peuple, voilà ce que le régime veut imposer à la société pour désarmer la protestation sociale. La pression de la population «auto-convoquée» dans la rue, des prisonniers, des mères des assassinés et du peuple en général, est la seule chose qui peut empêcher le pacte traditionnel entre les différents pouvoirs de fait, afin de parvenir à une défaite définitive du régime Ortega-Murillo.
28.- La fin est déjà écrite. Nous ne savons pas exactement quand, mais ce sera sûrement plus tôt que tard. Comme le cardinal Leopoldo José Brenes l’a déjà dit lui-même: «nous ne pouvons plus attendre, 2021 [date formelle des élections] est trop tard». (San José/Costa Rica, 15 avril 2019; traduction et édition A l’Encontre)
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