Equateur. La «révolution citoyenne» se droitise-t-elle à nouveau?

Rafael Correa
Rafael Correa

Par la rédaction du bimensuel Opción

La droitisation de l’orientation du président Rafael Correa – élu en novembre 2006, assumant sa fonction en janvier 2007, réélu en 2009, puis en 2013; son mandat expire fin en 2017 – et de son gouvernement [1] fut dénoncée dès le milieu de l’année 2010 par les organisations sociales et des partis de gauche tels que le MPD [2] et Pachakutik [3]. Ce cours produisit un recul du soutien social initial apporté à ce régime. On pourrait dire aujourd’hui qu’il y a même une régression majeure: il semble que l’on assiste à un retour des pratiques néolibérales typiques de la partitocratie contre laquelle les Equatoriens et Equatoriennes se battirent historiquement et qui favorisa l’apparition en Equateur d’un courant démocratique, patriotique et progressiste dans lequel s’est inscrit le Rafael Correa de 2006 et dont il fut, en quelque sorte, le fruit.

Cette affirmation s’appuie sur deux faits très significatifs: les négociations d’un Traité de libre-échange avec l’Union européenne, que l’on tente de dissimuler en Accord commercial afin de neutraliser la réaction populaire; l’annonce du retour à la dépendance envers l’impérialisme par le biais d’organismes créditeurs tels que la Banque mondiale (BM) et donc du Fonds monétaire international (FMI).

Pour ce qui a trait au premier fait, on se souviendra que sous les gouvernements de Lucio Gutiérrez [président entre 2003 et 2005] et d’Alfredo Palacio [président entre 2005 et janvier 2007] on tenta de signer un traité de libre commerce (TLC) avec les Etats-Unis. Cette initiative échoua en raison des luttes sociales qu’elle provoqua ainsi que d’une offensive véhémente des intellectuels qui se situaient dans la sphère progressiste d’alors, parmi lesquels se trouvait Correa lui-même.

Ni Gutiérrez ni Palacio ne parvinrent à faire aboutir ce TLC. Cela sans considérer que des années auparavant les Etats-Unis avaient échoué dans leur tentative de structurer une Zone de libre-échange des Amériques (ALCA de son acronyme espagnol) sur tout le continent [fin 2005]. L’un de ses principaux opposants à l’ALCA fut le gouvernement d’Hugo Chávez, qui, dans le but de créer un axe politique régional différent, fonda l’Alliance bolivarienne des Amériques (ALBA, de son acronyme espagnol). Les Etats-Unis modifièrent leur stratégie et tentèrent de poursuivre leurs objectifs par le biais d’accords de libre-échange bilatéraux (TLC) avec les pays andins. Ils y sont parvenus avec la Colombie, le Pérou et le Chili; en Equateur la résistance fut importante.

Actuellement Rafael Correa se trouve non seulement au cœur de négociations en vue de la signature d’un traité de libre-échange, mais il a, en outre, ouvert la voie aux firmes transnationales pour qu’elles s’approprient de l’Amazonie, par le biais d’activités extractives (pétrole et minerais) à grande échelle. Cet élément est très important pour les grands monopoles à la suite des crises continuelles au niveau mondial. Ces dernières tenteront toujours de concrétiser ces objectifs via les traités de libre-échange. Un rêve néolibéral tenu également en échec par les mobilisations populaires et l’opposition de la gauche [voir note 1].

Pour ce qui touche à la dépendance au travers de la Banque mondiale et du FMI, la trahison des intérêts populaires – représentés par CONAIE (la Confédération des nationalités indigènes de l’Equateur), Pachakutik et le MPD – par Lucio Gutiérrez est encore toute récente. Gutiérrez se rendit aux Etats-Unis, le 11 février 2003, pour y déclarer à G.W. Bush que l’Equateur était le meilleur allié de ce pays dans la région et y signer une déclaration d’intention avec le FMI qui condamnait l’Equateur à une forte soumission [4].

Rafael Correa a fait quelque chose de semblable lors de sa dernière visite aux Etats-Unis, la deuxième semaine d’avril 2014 [5]. Au cours de cette visite il a fait ressortir la signification de cette puissance mondiale: «c’est la meilleure éducation universitaire du monde», déclara-t-il. Sur un ton qui rappelle le plus pur style colonial des néolibéraux, et dégrade les expériences et les capacités latino-américaines en cette matière.

Quant au thème de l’endettement, il faut souligner que pour le Correa droitisé d’aujourd’hui cette question est envisagée comme relevant d’un pragmatisme comptable. Si la Banque mondiale nous offre des crédits à des taux d’intérêt plus bas et pour une plus longue durée, «nous transférerons toute notre dette vers elle», a-t-il déclaré sans ciller au sujet de la signification idéologique et politique qu’une telle affirmation.

L’hémorragie de devises que l’endettement a impliqué pour la partie amazonienne («pais oriental») de l’Equateur est évidente [le gouvernement a ouvert aux firmes extractives ces régions afin d’obtenir des devises]. Or, Correa défendait jusqu’à il y a peu de manière frontale une politique différente matière de dette.

Sur le tapis , il y a des dizaines d’autres aspects par lesquels pourrait être démontré ce tournant vers la droite du régime de la «révolution citoyenne»: imposer un Code organique pénal intégral (COIP, Código Orgánico Integral Penal) qui affirme un état de surveillance et de punition toujours plus sévère, ou une série de lois qui touchent à la flexibilisation du travail que la partitocratie néolibérale considéra toujours comme mesure ultime, ou encore l’élitisation de l’éducation qui est une marque néolibérale par excellence. (Traduction A l’Encontre)

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[1] Lors de dernières élections municipales, en février 2014, la formation dirigée par Rafael Correa – Alianza País – a connu un revers, alors que ces élections étaient présentées comme un plébiscite pour son gouvernement. R. Correa, dans une conférence de presse donnée le 23 février 2014, alors que les résultats définitifs n’étaient pas encore connus, a admis «ce revers douloureux» à Quito, Guayaquill et Cuenca, les trois villes les importantes. Correa a ajouté: «Certainement nous avons succombé au sectarisme et probablement nous avons dormi sur nos lauriers.» Les résultats dans la Région amazonienne de l’Equateur («Oriental»), qui inclut les provinces de Morona Santiago, Napo, Pastaza, Sucumbio, Orellana (où se situe le territoire protégé, depuis 1979, Yasuni), Zamora Chinchipe, étaient fort importants pour le gouvernement, car c’est dans cette vaste région que se développent (et doivent se développer) des projets d’extraction. Dans certaines provinces, les forces indigénistes ont conservé leurs positions.

imageUn fort mouvement citoyen s’oppose actuellement à l’exploitation du pétrole dans les zones amazoniennes, particulièrement riches dans le domaine de la biodiversité. L’expérience plus que négative de la Chevron est là pour les alerter. Plus de 700’000 signatures ont été réunies pour exiger une consultation populaire à ce sujet. Le collectif à l’initiative de cette campagne se nomme Yasunidos, par référence à la région protégée Yasuni. Durant six ans, le gouvernement Correa a essayé, à l’échelle internationale, d’obtenir la moitié des fonds que représenterait l’exploitation des ressources pétrolifères dans cette zone considérée comme un réservoir sans pareil de biodiversité. Le gisement de ITT (Ishpingo Tambococha Tiputini) devrait rapporter 18 milliards de dollars et devrait concerner «moins de un pour mille du parc» de Yasuni, selon le président. La mobilisation autour de Yasunidos indique une jonction entre les populations indigènes et d’autres secteurs de la société. Une bataille politique s’annonce ne serait-ce que pour que ce mouvement franchisse les diverses étapes légales afin de soumettre à une votation populaire la décision. (Rédaction A l’Encontre)

[2] Mouvement populaire démocratique (MPD) représente, historiquement, le front électoral du Parti communiste marxiste léniniste d’Equateur. Il dispose d’une base syndicale, entre autres dans le secteur enseignant. Il participa au premier gouvernement de Rafael Correa, avec un ministre, puis entra dans l’opposition. En 2012, il est partie prenante d’une «unification électorale» du nom de Unidad Plurinacional de las Izquierdas (Unité plurinationale des gauches) qui a présenté à l’élection présidentielle de 2013 la candidature d’Alberto Acosta Espinosa. Alberto Acosta, ancien ministre des Ressources naturelles non renouvelables de janvier 2007 à juillet 2007. Il a été l’un des principaux inspirateurs de la «révolution citoyenne» et présida l’Assemblée nationale constituante, mais donna sa démission. Il s’oppose par la suite à la politique de Correa sur diverses questions (politique écologique, gestion gouvernementale, etc.). Lors des élections présidentielles de 2013, Alberto Acosta a réuni 3,26% des suffrages. (Rédaction A l’Encontre)

[3] Movimiento de Unidad Plurinacional Pachakutik, mouvement indigéniste et anticapitaliste. Ce mouvement fut représenté dans les gouvernements de Correa. Ce dernier multiplia, par ailleurs, les remaniements de ses gouvernements.

Le 9 mars 2011, Raul Zibechi écrit un article (http://www.cipamericas.org/es/archives/4087) dans lequel il met en question l’analyse de Rafael Correa – exprimée dans le Monde diplomatique (Cono Sur) datant de janvier 2011 – selon laquelle, le 30 septembre 2010, un coup d’Etat manqué eut lieu en Equateur. Zibechi souligne que le terme «terroriste» n’est pas utilisé contre les forces de droite (dirigées alors par l’ex-président Osvaldo Hurtado de 1981 à 1984), mais contre l’opposition issue de mouvements indigénistes ayant utilisé l’action directe. L’autoritarisme imputé à R. Correa est mis en rapport avec une ouverture plus grande du pays à une politique économique fondée sur extractivisme. Elle nécessite un «Etat fort» pour faire face aux mouvements indigénistes qui la refusent et engagent des actions directes.

Le Mouvement Pachakutik, qui a connu diverses divisions internes depuis sa création en 1995, a réaffirmé – suite aussi à son échec électoral lors des présidentielles de 2013 – un profil indigéniste «plus pur» et a élu lors de son VIIIe Congrès national, en août 2013, Fanny Campos comme coordinatrice nationale. (Rédaction A l’Encontre)

[4] Des entretiens avec l’ambassade américaine avant le voyage de février 2003 ont été rendus publics par Wikileaks. Dès avril 2004, les organisations susmentionnées demandaient la démission de Gutiérrez pour corruption et diverses malversations. Il fut contraint de quitter la présidence le 20 avril 2004 face à une vaste mobilisation populaire, renforcée encore par sa tentative d’instaurer l’état urgence. Il passa la main à Alfredo Palacio, vice-président, avant de le dénoncer comme un «président illégal». Après avoir hésité à demander l’asile à l’ambassade de Colombie, il sera arrêté en octobre 2005. Les accusations pesant contre lui furent levées en octobre 2006. Mais il ne put se présenter aux élections présidentielles de 2006. Son frère le remplaça! Gutiérrez fut l’un des porte-parole de la campagne contre le «socialisme du XXIe siècle», lors des élections de 2009 et par la suite. Il est très lié à divers lobbies américains. Il arriva en troisième position lors des élections présidentielles de 2013, avec un peu plus de 6% des suffrages. (Rédaction A l’Encontre)

[5] Rafael Correa a fait une tournée sur divers campus universitaires. R. Correa a fait ses études à l’Université catholique de Louvain, puis auprès de l’Université de l’Illinois. Il annonça lors de cette tournée que le prêt de 1 milliard de dollars de la Banque mondiale était celui «d’un organisme qui n’exige plus de conditions». (Rédaction A l’Encontre)

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Le bimensuel Opción, publié à Quito, lancé en 2001, se définit comme une publication: «dont la ligne éditoriale s’identifie avec les secteurs populaires et les mouvements sociaux du pays», en opposition «aux intérêts économiques, politiques et sociaux» qui dictent l’orientation des grands médias. (Rédaction A l’Encontre)

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